Résumé : Louisa voit tout de suite que Nna Daouia allait marier son fils avec une fille du village. Elle doit avant tout organiser une waâda en l'honneur du saint du village, afin que ce dernier exauce ses vœux. Louisa savait que Kamel allait bientôt la prendre pour femme, mais elle préféra en garder le secret. Une voix d'homme attire mon attention. Quelqu'un parlait avec mes parents dans la cour. Je cachais hâtivement les billets d'argent dans mon corsage avant de ressortir. Faisait-il jour ou nuit ? Beau ou gris ? Froid ou chaud ? Je ne pouvais le savoir… Mes yeux étaient rivés sur un seul être : Kamel ! Il était là. Assis sur la natte sirotant un café et discutant avec mes parents. Il sentit ma présence et releva la tête pour me sourire. Je baisse les yeux, avant de m'enfuir. Ce n'était pas convenable pour une jeune fille de mon âge de répondre au sourire d'un jeune homme et de surcroît devant ses parents. Pourtant je l'avais déjà fait le matin même à la fontaine ! Pour éviter toute gêne, je préférais m'esquiver… Quelques jours passent. Nna Daouia organise sa waâda et convia, comme de coutume, tous les villageois. Ces derniers, comme à chaque occasion, ne ratèrent pas le couscous légendaire et surtout la viande. On s'amusa et on se taquina jusqu'au crépuscule. Il était temps de rentrer. J'étais en train de redescendre la pente qui menait vers notre maison, où m'avaient déjà précédée mes parents et Aïssa, lorsqu'une main s'empara de mon bras : - Je ne vais tout de même pas te laisser filer comme ça ! La voix me réchauffe le cœur, et mon âme se réjouit. Kamel était juste derrière moi. Je craignais que quelqu'un nous surprenne. Mais il avait pris ses précautions, car il contourne le sentier pour me plaquer contre un olivier, à l'abri des regards curieux. - Je… Je dois rentrer… Il… il se fait tard… - Je sais… Tout comme toi, moi aussi je dois rentrer. Il rit : Je vais juste t'annoncer quelque chose. - Hein ? Quoi ? - Je vais me marier. Mon sang se glace dans mes veines. - Tu vas… - Oui… Je vais… Il se met à rire : - Cela t'étonne ? - Oui. - Pourquoi… Pourquoi donc ? - Je ne vois pas pourquoi tu m'annonces une telle nouvelle… Qui suis-je donc pour toi ? Il se met à rire avant de relever une mèche de cheveux, qui se baladait sur mon visage : - Qu'es-tu pour moi Louisa ? Tu me poses une question embarrassante. - Pourquoi donc ? Il approche ses lèvres de mes joues et murmure : - Parce que tu seras ma future femme. Je vacille. Mais il me retient de ses bras vigoureux et se met à m'embrasser. Je tente de me dégager. Mais peine perdue… Il était bien plus fort que moi… Il remarque mon air effaré et s'arrête : - Tu ne veux pas de moi Louisa ? Tu ne m'aimes pas ? Le souffle court, les yeux clos, je tente de reprendre mes sens et ma respiration : - Je crois que… je ne pourrais jamais aimer quelqu'un d'autre que toi Kamel. Le mariage eut lieu quelques jours plus tard. Nna Daouia voulait conclure rapidement cette union car son mari, Da l'Hocine, devait reprendre le travail, et donc rentrer rapidement en France. Kamel, par contre, avait bénéficié d'un congé circonstanciel, et demeura plus longtemps au village. J'étais heureuse. Heureuse et comblée. Mon mari prend tout de suite en charge les problèmes de mes parents. Il achète des semences et donne en gérance nos champs. Il s'assure qu'il ne s'était pas trompé sur les acquéreurs et consulte mon père dans ses démarches. Nous pouvions enfin souffler. Les prochaines récoltes de nos champs nous mettront à l'abri du besoin pour longtemps. Mon père ne cessait de remercier le Créateur sur cette aide inattendue qu'il nous envoyait. Il regrettait seulement que Aïssa, son propre fils, ne prenait pas exemple sur Kamel. Mon frère n'aimait pas la terre. Il se détournait des travaux agricoles et préférait plutôt s'enfuir hors du village que de superviser les ouvriers. Je n'aimais pas trop parler de lui à mon mari. Mais ce dernier m'entretint un jour à son sujet. Il m'apprit que Aïssa rêvait de repartir en France. - Tu sais qu'il en était revenu à moitié fou ! m'étais-je écrié. Il es revenu de la guerre dans un tel état que nous avions tous cru qu'il avait définitivement perdu la raison. Kamel sourit : - Tu ne connais pas encore Paris, Louisa… Quand je t'y emmènerai, tu verras que cette ville ensorceleuse retient les plus réticents de nos émigrés. -Mais que va-t-il faire là-bas ? Il ne sait pas lire ni écrire comme toi. Il parle un peu la langue française depuis la guerre… -Peu importe… Il est jeune et vigoureux… La France vient de reprendre son souffle après cette guerre qui avait laissé en elle de profondes séquelles… On cherche des jeunes comme Aïssa pour travailler dans les usines de production… La main-d'œuvre bon marché intéresse les promoteurs. - Tu veux dire que Aïssa va travailler pour rien ? - Mais non… Il touchera un salaire, et sera même déclaré aux assurances… Comment vais-je t'expliquer ça… Il va en quelque sorte assurer ses vieux jours. Je fais la moue : - Je vois que tu l'as bien bourré… Mais as-tu pensé à mes parents ? Kamel lève une main protestante : - Arrête donc tes jérémiades Louisa… Tes parents ne vont manquer de rien… Les champs vont rapporter gros et puis il y a la famille du bled… Tes oncles et tes cousins qui habitent à deux pas de chez toi… De toute manière, Aïssa ne va pas quitter le village de sitôt… (À suivre) Y. H.