Les députés qui achèvent leur mandat ces jours-ci ont approuvé au cours de la dernière législature un accroissement sans précédent du train de vie de l'état algérien, avec des dépenses de fonctionnement qui ont plus que doublé entre 2008 et 2012. Ce qui n'empêche pas les candidats à leur succession de rivaliser de propositions et d'ingéniosité pour gonfler encore des dépenses qui ont déjà atteint un niveau insoutenable. Un député algérien candidat à sa propre succession déplorait la semaine dernière sur les ondes d'une radio nationale le placement des réserves de changes du pays “dans les banques étrangères” et proposait l'adoption d'un “programme d'éradication de la pauvreté en Algérie” au moyen de l'utilisation de ces réserves qui, précisait-il, sans doute pour prouver son souci de la préservation des deniers publics, ne devraient pas être “consommées en une seule année, mais seulement au cours de la prochaine mandature”. Un autre candidat, ancien ambassadeur auprès d'une institution internationale, affirme très sérieusement que “le vrai problème de l'Algérie est la gestion de ses réserves de change et d'or” dont il dénonce, dans un grand quotidien national, l'“opacité” en regrettant que les citoyens algériens ne soient pas informés du lieu exact du placement de ces réserves. Sans doute pour pouvoir les vendre plus rapidement en cas de besoin… C'est une véritable frénésie de dépenses qui semble s'être saisie de l'ensemble de la société algérienne, gouvernement et classe politique comprise, au cours des dernières années. Les dépenses prévues par le budget de l'état, pourtant en augmentation exponentielle, et adossée à une fiscalité pétrolière dont les recettes n'ont jamais été aussi importantes, ne suffisent plus, et les regards semblent se tourner désormais avec gourmandise vers les économies réalisées et les réserves constituées dans une conjoncture exceptionnelle au cours de la décennie écoulée. Même les réserves d'or ne semblent pas devoir échapper à cet appétit boulimique. Dans ce domaine, l'exemple vient de haut, et la responsabilité est d'abord celle de l'exécutif. L'exemple le plus illustratif reste certainement le discours de présentation du programme de son gouvernement prononcé, en 2009, par Ahmed Ouyahia devant les députés. Le premier ministre s'était, à cette occasion, livré à un intéressant calcul destiné à apaiser les craintes de la représentation nationale face à la baisse des cours pétroliers enregistrée au cours du premier semestre 2009 en expliquant en substance que “même avec un baril à 30 dollars, les réserves de change du pays nous permettent de financer nos programmes de développement pendant 5 ans”. Ce qui semble indiquer que l'éventualité de la consommation des réserves de change du pays en une seule législature n'est apparemment pas considérée comme une idée farfelue par les plus hauts responsables algériens. Une croissance irrésistible des dépenses courantes de l'état La genèse politique de l'évolution récente des finances publiques dans notre pays n'a pour l'instant fait l'objet d'aucune analyse approfondie des causes de l'emballement des dépenses observé au cours des dernières années. Tout au plus peut-on constater, au sujet de la dernière législature, qu'après un démarrage très “sage” en 2007, la loi de finances 2008 a inauguré, avec une croissance des dépenses de fonctionnement 2 fois plus rapide que le budget d'équipement (10% contre 5%), un dérapage qui s'est amplifié au cours des années suivantes. Dès 2009, les dépenses courantes de l'état rattrapent pour la première fois les dépenses d'équipement en représentant chacune 2600 milliards de dinars. Une véritable accélération se produit avec la loi de finances complémentaire 2010 qui enregistre une croissance du budget de fonctionnement de plus de 30%. L'explication essentielle de cette explosion réside dans la prise en compte par la LFC 2010 du versement du nouveau régime indemnitaire des fonctionnaires avec un effet rétroactif à partir du 1er janvier 2008. On notera avec intérêt que ce dérapage est constaté dans des termes sans équivoque dès le Conseil des ministres du 25 août 2010 par le président de la République lui-même : “Le budget de fonctionnement a désormais atteint des seuils insoutenables et cette situation doit être transitoire. C'est à ce prix que nous poursuivrons le développement de notre pays sans léguer aux générations futures une dette publique très lourde.” Le chef de l'état poursuit son commentaire de la loi de finances en affirmant que “le budget de fonctionnement qui aura à faire face l'année prochaine à une dépense encore lourde liée au nouveau régime indemnitaire des fonctionnaires ne devra connaître aucune autre augmentation”. On connaît la suite. L'exercice 2011 va de nouveau enregistrer, dans le sillage des décisions prises au mois de février, une croissance des dépenses de fonctionnement de l'état qu'une mission du FMI a estimé au mois de novembre 2011 à plus de 34% ! En cause, toujours les salaires des fonctionnaires, mais aussi les mesures en faveur de l'emploi des jeunes et l'élargissement du dispositif de soutien des prix à l'huile, au sucre et aux légumes secs. A priori, l'année 2012 s'annonçait plus calme, mais dès le mois de février dernier, une loi de finances complémentaire adoptée de façon précoce augmentait de nouveau les dépenses de fonctionnement de l'état de 15% en les portant au niveau record de près de 5000 milliards de dinars, soit l'équivalent de près de 65 milliards de dollars. Au menu, cette fois, l'augmentation des pensions de retraite, financée pour la première fois dans l'histoire du pays par le budget de l'état, et toujours les statuts particuliers des fonctionnaires. Au total, des dépenses de fonctionnement de l'état qui auront donc doublé en 4 ans entre 2008 et 2012, ainsi que l'indique d'ailleurs sans ambages l'exposé des motifs de la dernière loi de finances. Vulnérabilité Cet emballement apparemment incontrôlable des dépenses courantes de l'état a, pour la plupart des spécialistes, deux conséquences majeures tout aussi inquiétantes pour l'avenir. La première est le renforcement de la vulnérabilité de nos finances publiques et du fonctionnement de nos institutions à l'égard de la fiscalité pétrolière et donc d'un retournement éventuel du marché pétrolier. En 2012, les dépenses courantes de l'état algérien ne sont plus financées qu'à hauteur d'environ un tiers par la fiscalité ordinaire. Ce sont désormais plus de 60% des dépenses de fonctionnement (en plus de la totalité des dépenses d'équipement) qui dépendent du niveau et de la pérennité des recettes pétrolières. Un expert financier, consultant auprès d'une organisation patronale, nous a confié en outre que le prix du baril qui assure l'équilibre entre les dépenses et les recettes du budget de l'état est en augmentation constante. Estimé en 2011 à plus de 130 dollars, il aurait largement dépassé le niveau de 140 dollars en 2012. Un sabrage des dépenses d'équipement Compte tenu du caractère réputé “incompressible” des dépenses de fonctionnement, la mission du FMI qui a travaillé à Alger à la fin de l'année dernière annonçait un risque portant sur “la réduction des marges de manœuvre budgétaire et la place moins grande laissée aux dépenses d'équipement”. Un risque presque aussitôt concrétisé par la loi de finances 2012. Il a suscité pour le moment très peu de commentaires. Le sabrage opéré dans les dépenses d'équipement, qui représente désormais moins de 40% des dépenses de l'état, est pourtant impressionnant. Leur montant total, proche de 2 800 milliards de DA, est en baisse de près de 30% par rapport à la dotation de 2011. Karim Djoudi a tenté de justifier, de façon très peu convaincante, cette évolution en expliquant que “près de 85% des investissements inscrits au titre du programme quinquennal 2010-2014 ont déjà été pris en charge par les dernières lois de finances”. Le ministre des Finances a ajouté qu'“il n'y aura pas d'augmentation des dépenses en capital, car les projets avancent bien. Les seules augmentations programmées concernent les secteurs de l'habitat et de l'agriculture”. On peut en déduire que la tendance à la réduction des dépenses d'équipement, enregistrée pour la première fois depuis très longtemps avec le projet de loi de finances 2012, a de fortes chances de se poursuivre au cours des prochaines années et augure donc d'un ralentissement sensible et durable du rythme de programmation des projets d'investissement publics. Notre expert financier résume les enjeux de la période présente de façon volontairement provocante : “Tout se passe comme si, ne pouvant pas utiliser la rente pétrolière pour le développement, on avait décidé de la distribuer en dépenses de consommation.” H. H.