Invités officiellement en Allemagne, deux cadres de l'Entreprise nationale des arts graphiques ont vécu trois journées cauchemardesques à l'aéroport de Frankfurt, où ils ont subi les pires humiliations de la part des agents de la police allemande des frontières. Hier matin, les deux responsables de l'Enag sont venus nous conter leur mésaventure allemande. MM. Damèche et Aïssou, cadres dans les filières développement production et développement commercial de l'Enag, sont conviés en Allemagne pour une mission officielle. Clients d'une entreprise allemande, KBA, ils sont attendus à la Foire des arts graphiques qui se tient à Frankfurt. Ces fonctionnaires sont en possession d'un visa Schengen délivré par le consulat de France à Alger. Ce visa est valable six mois et est à entrées multiples. Ils disposent, également, d'une invitation de la société KBA. Leur programme est de séjourner à Frankfurt trois jours, soit la durée de la foire, puis de s'envoler pour Paris afin de rendre visite à la famille. Leur vol retour pour Alger est prévu le 19 mai. Après un voyage confortable en classe affaires, les deux employés de l'Enag atterrissent à l'aéroport de Frankfurt le 11 mai à 15h30, heure allemande, par le vol AH 1005 en provenance d'Alger. M. Damèche passe le premier au poste de police des frontières. Inspectant son passeport, la policière sollicite des renseignements complémentaires. Elle lui demande quel est l'objet de son voyage à Frankfurt. “C'est une mission professionnelle”, répond-il. Pourquoi le visa a-t-il été délivré par une autorité française et non allemande ? “J'ai fait mon visa avant l'invitation de la firme allemande. Et comme c'est un visa Schengen, donc valable dans tous les pays bénéficiant de la convention ; il n'était pas nécessaire d'en faire un nouveau.” Suspicieuse, elle lui concède toutefois l'autorisation de pénétrer sur le territoire allemand. Elle appose un cachet d'entrée sur son visa. M. Damèche attend son collègue un peu plus loin. Cependant, la police des frontières s'oppose à l'entrée de son collègue sur le territoire. À l'incompréhension de M. Aïssou, la police ne répond que par un tampon : “annulliert” sur son visa. M. Damèche, qui a rejoint son collègue, s'indigne. “Pourquoi l'un est autorisé à entrer et l'autre non ?” L'agent se saisit alors de son passeport, barre le cachet d'entrée et le tamponne également. La police les conduit alors dans une salle sombre, en sous-sol de l'aéroport, où sera mené un interrogatoire en règle. Les agents de police se succèdent alors face à eux, mais leurs questions, traduites par un interprète marocain, demeurent les mêmes. Aux mêmes questions, les mêmes réponses. L'interprète leur apprend que le procès-verbal de ce questionnaire sera soumis à un juge. Nos compatriotes perçoivent alors la gravité de leur situation. “Avez-vous de l'argent sur vous ?” Bien sûr, il leur faut couvrir leurs frais de voyage. On les somme de verser 300 euros afin de défrayer la procédure engagée à leur encontre. “Et si nous refusons de payer ? Si nous avions répondu que nous n'avions pas d'argent ?” On les menace. Ils cèdent et déboursent la somme rackettée. Ils quittent la pièce pour rejoindre une salle d'attente. Ils sont rappelés et les questions reprennent. “Pourquoi avez-vous un visa émis par la France ?” On les reconduit dans la salle d'attente. On les mène dans un autre bureau. Les questions s'enchaînent, inlassablement identiques. L'interrogatoire glisse vers le harcèlement moral et psychologique. MM. Damèche et Aïssou sont exténués. Le second, souffrant d'hypertension, est en proie à des douleurs. On lui refuse un médecin. Puisqu'on ne les autorise pas à entrer sur le territoire allemand, ils demandent à aller en France, à Paris, où devait s'achever leur voyage européen. “Non”, leur répond-on. “Vous êtes en passe d'être expulsés par le juge.” Il est 23h30, leur interrogatoire se poursuit depuis huit heures. On leur réclame à présent 400 euros. Pourquoi ? “Pour financer le procureur.” S'opposant à ce qu'ils voient comme un vice de procédure, MM. Damèche et Aïssou refusent catégoriquement. “Faites ce que bon vous semble. Trop, c'est trop !” lâche l'un des deux cadres. Leur expulsion vers l'Algérie est prononcée et organisée. Seulement, le prochain vol pour Alger n'est que pour dimanche, soit le surlendemain. Ils sont entraînés hors du poste de police. On leur impose de patienter, plus de 37 heures durant, dans la zone franche. Placés sous contrôle judiciaire, ils sont contraints de se rendre au poste frontière toutes les deux heures afin d'attester de leur présence. Les voilà donc prisonniers de la zone internationale. Le 13 mai, à 13h30, après une journée d'errance et deux nuits d'insomnie dans l'aéroport de Frankfurt, ils sont de nouveau pris en charge par la police. Humiliés, ils sont escortés jusqu'à l'avion. Ils sont conduits à travers une entrée spéciale. Une feuille leur a été remise. On y énumère les motifs officiels pour lesquels l'entrée à la frontière allemande leur a été refusée. “N'est pas détenteur du ou des document(s) approprié(s) attestant du but et des conditions de séjour” ; “est considéré(e) comme représentant un danger pour l'ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique, ou les relations internationales d'un ou plusieurs Etats membres de l'Union européenne”. Contactée, la direction générale de l'Enag nous a annoncé qu'elle saisira le ministère des Affaires étrangères pour élucider cette affaire. Missiva Chermak