Le débat sur la “notion de diffamation dans la presse”, qui a vu, outre les journalistes, la participation de nombreux acteurs politiques, a vite tourné à l'état des lieux de la profession. Qu'elle dérange ou qu'elle suscite l'admiration, la jeune presse privée algérienne ne laisse personne indifférent. L'examen auquel elle a été soumise, hier, lors de la conférence sous le thème “La notion de diffamation dans la presse”, organisée par le centre El Khabar pour les études internationales en collaboration avec Freedom House à l'hôtel El-Djazaïr (ex-Saint-Georges) à Alger est révélateur des enjeux qui entourent ce que certains désignent par le quatrième pouvoir. Loin d'être épuisé, le débat qui a vu la participation aussi bien des acteurs politiques comme Mokdad Sifi, Bererhi, Rédha Malek, Hamdani, Sadi, de députés, d'avocats, d'éditeurs, de chercheurs et de spécialistes étrangers ainsi que de journalistes a donné lieu à des interventions diverses et fort intéressantes, quelquefois même avec une dose de passion, à telle enseigne que par moment, il s'est transformé en un diagnostic de la presse. Pour le directeur du quotidien El Khabar, Ali Djerri, s'il concède des insuffisances et juge l'autocritique nécessaire, il n'en accuse pas moins les pouvoirs publics de velléités de museler la presse et de manière générale, restreindre les libertés. “En Algérie, le pouvoir ne traite pas avec la presse comme étant l'un des pouvoirs de la société civile, l'un des fondements de la démocratie et un moyen de développement. La préoccupation fondamentale du pouvoir, aujourd'hui, est vers plus de black-out et d'arbitraire pour empêcher que la corruption qui ronge la société algérienne ne soit dévoilée. Le pouvoir pense que pour pousser la presse à assumer davantage ses responsabilités, il faut restreindre les libertés à travers des lois dissuasives, comme il a été le cas avec l'amendement du code pénal, les mesures répressives et le chantage politique et commercial (…)”, dit-il. Et d'ajouter plus loin : “Pour éviter la diffamation et atteindre un certain niveau de professionnalisme, il est indispensable d'assurer l'autonomie de la justice et le droit sacré de la presse professionnelle, en permettant l'accès à la source de l'information sur tous les niveaux.” Rédacteur en chef au quotidien El Watan, Ahmed Ancer, pour sa part, axe l'essentiel de son intervention sur le manque de professionnalisme de la presse. Il estime que “la presse est dans une situation analogue à celle de nombreux secteurs économiques et sociaux du pays”. “Elle subit, selon lui, de plein fouet les contrecoups de la déliquescence dans laquelle s'enfonce l'Etat depuis plus de deux décennies.” L'absence de formation de niveau autant pour les journalistes que pour les gestionnaires, les interférences politiques, outre l'absence d'un statut ne doivent, cependant, pas, à ses yeux, exonérer l'Etat de sa responsabilité dans la situation de la presse aujourd'hui, mais également de son devenir. “Il serait certainement imprudent de croire en l'avènement d'une presse suffisamment impartiale pour respecter toutes les règles du métier parce que cette presse ne peut pas encore exister alors que l'Etat de droit demeurera encore pendant longtemps une aspiration”, affirme-t-il. S'il estime, nonobstant “ses tares et ses faiblesses”, qu'elle constitue “des îlots de liberté” qu'il convient de sauvegarder, il n'en explique pas moins que l'“une des meilleures manières parmi les plus efficaces de réussite de cette sauvegarde consiste à veiller et à améliorer la qualité des publications en améliorant le niveau des effectifs”. De son côté, l'universitaire Djaballah soutient que c'est l'absence d'organisation chez les éditeurs qui facilitent les abus de pouvoir et le manque d'une formation adéquate des journalistes. Me Belloula estime, pour sa part, qu'il n'y a pas que la formation à l'origine de la faiblesse de la presse, mais également la difficulté d'accès aux sources d'information. Sur un autre registre, il s'est dit favorable au maintien des lois sur la diffamation, mais dont le recours doit se faire dans les juridictions civiles et ce, outre le rôle que doit jouer, selon lui, le Conseil d'éthique et de la déontologie. Ancien Chef de gouvernement, Rédha Malek n'a pas tari d'éloges sur la presse, notamment sur le rôle qu'elle a joué durant la décennie écoulée. “On ne peut pas contester le rôle de la presse dans la constitution de l'opinion”, a-t-il dit. “La presse a été à l'avant-garde de la lutte contre le terrorisme et les journalistes l'ont payé très cher”, a-t-il rappelé. C'est pourquoi, à ses yeux, elle doit bénéficier de circonstances atténuantes. “L'antidote aux dérives, c'est le professionnalisme, il viendra petit à petit”, a-t-il conclu. Bachir Chérif, directeur du quotidien La Tribune se plaint, lui, de l'existence de “lobbies d'argent sur certaines rédactions”, alors que Leïla Aslaoui estime que ce n'est pas la diffamation qui pose problème, mais c'est la liberté de la presse qui est menacée. L'avis de l'ancienne ministre de la Justice est également partagé par le directeur du quotidien El Watan, Omar Belhouchet. “On a constamment fait notre mea-culpa. Il y a des excès, mais le pouvoir politique ne veut pas de cette liberté”, a-t-il tranché. Dans le même ordre d'idées, Me Souidani estime que “la faille est à chercher du côté du pouvoir”. “Il faut des garanties au journaliste, notamment sur les libertés”, plaide-t-il. Chafik Abdi, directeur du Jeune Indépendant pense, lui, qu'il “y a des dérapages qui se sont organisés depuis quelques mois”. Quant à Mohamed Mehdi, journaliste au Quotidien d'Oran, il a évoqué les conditions difficiles de l'exercice du métier et le problème du recoupement de l'information. Enfin, Me Bourayou a axé l'essentiel de son intervention sur la partialité de la justice. Par ailleurs, le professeur Raymond Louw, spécialiste des questions de diffamation en Afrique du Sud, a estimé que “sans société civile, on ne peut promouvoir quoi que ce soit” alors que Judy Yablonky, journaliste au Washington Post, a souligné que “le combat pour la liberté de la presse n'est pas encore gagné”. K. K.