Demain, l'Algérie célébrera, avec le reste du monde, la Journée de la liberté de presse. Les nombreux journaux privés légitiment la place parmi les pays de libre expression que le pouvoir revendique. Malgré le terrorisme qui en a fait une cible prioritaire et la répression judiciaire qui a pris le relais de la violence islamiste essoufflée, certains titres pionniers ont su survivre à la longue marche qui nous sépare des premières éditions du début de la décennie 1990. Aujourd'hui, la presse écrite privée ne représente plus le même épouvantail subversif contre lequel furent testées toutes les formes de répression judiciaire et administrative : procès en diffamation, imprimatur, suspension administrative, redressements fiscaux… La gestion politique de la manne de la publicité institutionnelle et l'usage des imprimeries comme moyens de subvention des titres sympathisants ont contribué à convertir l'essentiel de la profession en presse “responsable”. En même temps qu'il pousse les journaux établis à réformer leurs lignes éditoriales, l'ordre établi se renforce par l'initiation régulière de titres qu'il suscite lui-même, alors que l'accès à la publication est strictement contrôlé par la procédure arbitraire de l'agrément. La tentation individuelle de se rendre disponible pour un régime qui pratique la corruption politique à large échelle achève enfin d'assurer au pouvoir le contrôle quasi total de l'expression médiatique. Par ces différents procédés, le pouvoir a su convaincre les éditeurs et les journalistes, que leur destin est entièrement dépendant de leur rapport politique au pouvoir, ou tout au moins à des cercles de pouvoir. Conformément à la pratique dominante qui, depuis une décennie, a instauré une étroite solidarité entre l'argent, le pouvoir et les carrières, la culture d'un journalisme de complaisance a, lentement mais inexorablement, restructuré le paysage éditorial de ce qu'il est convenu d'appeler “la presse indépendante”. Faute d'imposer le message, gênée qu'elle est par la vigilance naturelle du lectorat, cette presse guidée par le principe d'échange de bons procédés, le parasite. Du coup, les responsables de la normalisation médiatique commencent à brandir l'intention de revenir sur la pénalisation des délits de presse. Celle-ci fait figure d'une arme disproportionnée contre les écarts d'une presse revenue à de bien meilleurs sentiments et qui se révèle plus sensible aux arguments économiques et statutaires qu'elle ne le fut aux arguments judiciaires. Jusqu'à Belkhadem qui nous proposait, très récemment, gratuitement de supprimer la notion de délit de presse ! Il n'y en a plus que pour la déontologie. La balle serait donc dans le camp de la profession. Après tant de renoncements éditoriaux, le mot d'ordre officiel est : “éditeurs, journalistes, encore un effort !” L'un des derniers régimes à s'agripper à l'ordre de la télévision unique s'offre un débat sur déontologie de presse indépendante. Un déplacement de problématique qui devrait faire oublier que la télévision unique est la caractéristique d'un régime d'exclusion médiatique. Le monopole de l'audiovisuel, c'est l'état d'urgence en matière d'information. Là où l'information a encore besoin d'être, on lui propose de se soigner. M. H. [email protected]