Ils sont favoris ou outsiders, partisans ou indépendants. Mais tous seraient en mesure de répondre au profil cherché par Bouteflika. C'est à celui-ci de choisir en fonction de ses objectifs immédiats ou lointains. La formation du nouveau gouvernement suscite moult supputations et la classe politique essaye de lire entre les lignes pour déceler la direction du vent. Tout le monde est suspendu à la décision que devrait prendre le président Bouteflika. Ce dernier a préféré laisser l'actuel gouvernement gérer les affaires courantes, en attendant de trancher la question de la reconduction ou le changement de l'Exécutif. Contrairement aux usages, le gouvernement Ouyahia n'a pas présenté sa démission juste après l'installation de la nouvelle assemblée. Le président Bouteflika veut se donner le temps de choisir le staff à qui il confiera la tâche d'exécuter son programme. Le chef de l'Etat a toutes les cartes en main et pourrait choisir de reconduire l'actuel gouvernement, avec quelques remaniements, comme il pourrait opter pour un gouvernement de technocrates ou, alors, conforter le FLN, grand vainqueur des législatives. Il pourrait, aussi, réserver une grande surprise, en nommant une personnalité que personne n'attendrait à ce poste. Mais, pour l'instant, les trois scénarios possibles sont les suivants. Le changement dans la continuité Le président de la République a lancé un vaste chantier de réformes politiques, avec un calendrier bien précis, notamment pour ce qui est de la révision constitutionnelle, les élections locales en octobre prochain, mais aussi des urgences : la loi de finances 2013, la mise en route du plan quinquennal qui traîne encore et surtout la célébration du 50e anniversaire de l'indépendance. Des chantiers qui devraient lui dicter de garder la même équipe, du moins, jusqu'à ce que ces chantiers soient exécutés. Trois favoris se dégagent pour briguer le poste de premier ministre. Ahmed Ouyahia, l'éternel commis de l'Etat S'il est une personne qui a toutes les chances de prendre les rênes de l'exécutif, c'est bien lui. Parfait commis de l'Etat, Ouyahia est surtout connu pour sa maîtrise des dossiers sensibles. Si le chef de l'Etat opte pour la continuité, le patron du RND serait l'homme idéal, même si cela ferait grincer des dents, notamment du côté du FLN, majoritaire au parlement. L'avantage avec Ouyahia, c'est que tous les chantiers en cours, il les connaît parfaitement et n'aura aucune difficulté à accélérer la cadence de leur exécution. La célébration du 50e anniversaire de l'indépendance, c'est dans un mois, et ce n'est pas facile de confier cet important événement à quelqu'un qui vient de “débarquer”. Juste après, deux événements majeurs attendent l'exécutif : la révision constitutionnelle et les élections locales avant la fin de l'année. Ouyahia semble être l'homme de la situation, en tout cas, le mieux placé pour exécuter ces chantiers urgents. Mais l'homme traîne derrière lui une sacrée “impopularité” qui pourrait lui valoir son poste. Le président Bouteflika pourrait le sacrifier, histoire de donner l'impression d'avoir apporté des changements. Même Ouyahia en serait content, dans ce cas-là, et pourrait se préparer, en se faisant oublier un peu pour l'échéance de 2014. Youcef Yousfi, le choix de la raison L'actuel ministre de l'énergie est idéalement placé pour prendre les commandes de l'exécutif. Discipliné, faisant l'unanimité autour de lui, c'est un parfait homme d'Etat qui reste détaché des soubresauts de la classe politique. Un homme neutre, en quelque sorte. En plus, pour des considérations de dosage régional au sommet de l'Etat, un gars des Aurès à la tête de l'exécutif ferait bien l'affaire, sachant que la présidence de l'assemblée est allée à un Kabyle et que le Sénat reste entre les mains d'un Tlemcénien. Youcef Yousfi, qui a fait pratiquement toute sa carrière à Sonatrach, avec un premier passage au ministère de l'énergie durant la présidence de Liamine Zeroual, suivi d'une carrière diplomatique, a toujours su tirer son épingle du jeu, y compris lors de la succession de Chakib Khelil à la tête du ministère de l'énergie, sur fond de méga-scandale de Sonatrach. Pas trop loquace, certes, mais très efficace, il pourrait faire l'affaire de Bouteflika en cette période charnière, d'autant plus que l'homme est “apolitique” et on ne le soupçonne pas de nourrir des ambitions présidentielles. Abdelmalek Sellal, ce bon vieil outsider Son nom revient à chaque remaniement gouvernemental, Abdelmalek Sellal a, de tout temps, été parmi les personnalités les mieux placées pour occuper les postes sensibles et s'acquitter des missions délicates. Déjà ministre de l'intérieur sous Zeroual durant les années difficiles, Abdelmalek Sellal, qui avait entamé sa carrière en tant que diplomate, a une certaine longueur d'avance sur ses collègues : il bénéficie d'une grande sympathie au sein de la presse nationale. Son sens de l'humour, son ouverture sur le monde de la communication font de lui le candidat idéal pour le poste de premier ministre, d'autant plus qu'il n'aura aucune difficulté à assurer la continuité de l'exécutif. Apolitique, l'actuel ministre des ressources en eau bénéficie d'un avantage de taille : il a été directeur de campagne du président Bouteflika durant la dernière campagne électorale. Toutefois, Sellal risque de faire, encore une fois, les frais de considérations régionalistes ou de circonstances, lui qui, comme Yousfi, n'est pas soupçonné d'avoir des ambitions présidentielles. Tayeb Louh, pour conforter le clan de M'sirda L'ex-ministre du Travail, comme Harraoubia, a été déterminant dans la confection des listes du FLN aux législatives. Proche du président Bouteflika, cet influent élément du clan de M'sirda est sur les starting-blocks. Tayeb Louh représente une région, celle du président et de tous ses proches. Cela compte énormément dans le jeu d'équilibre au sommet de l'Etat. Mais, comme Harraoubia, son choix, s'il venait à être confirmé devrait être éminemment politique. C'est le FLN que l'on conforte et que l'on renforce en prévision de la présidentielle de 2014. Seulement, Tayeb Louh traîne un sacré défaut : c'est un piètre orateur et risque, donc, de passer à côté des exigences de la mission qui l'attend. Abdelaziz Belkhadem, un choix par défaut Le patron du FLN pourrait être appelé, une nouvelle fois, à diriger l'exécutif, pour consacrer la traditionnelle pratique qui consiste à faire une rotation entre lui et Ouyahia, par intermittence. Personne ne crierait au hold-up, sachant que le patron du FLN a déjà occupé ce poste et que, logiquement, son parti devrait présider l'exécutif. Mais l'enjeu de la conjoncture actuelle fait que la désignation de Belkhadem pourrait avoir de nombreuses lectures : on pourrait croire que le président Bouteflika lui offre une porte de sortie honorable de sa crise avec les membres du Comité central. Comme on pourrait y voir une volonté de l'impliquer davantage dans cette période, dans la perspective de 2014. Mais cela comporte un énorme risque : l'homme décrié au sein même de sa formation pourrait ne pas recueillir l'assentiment de tout le monde au niveau des cercles de décision. Il pourrait également être “grillé” pour la course à la présidentielle de 2014, en s'acquittant du “sale boulot” qui l'attendrait à la tête de l'Exécutif. Le sort du gouvernement pourrait réserver bien des surprises, comme Bouteflika aime en faire. La Constitution actuelle lui donne une sacrée marge de manœuvre et il pourrait puiser son Premier ministre là où bon lui semble. Trois personnalités semblent, toutefois, figurer parmi les mieux placées à créer la surprise. Amar Ghoul, l'option surprise L'ex-ministre des Travaux publics y travaille depuis que le président Bouteflika a “flashé” sur lui et que les caméras de l'ENTV le suivent partout. Le plus médiatisé des ministres a fait forte impression lors des élections législatives en ramenant pratiquement la moitié des sièges au profit de sa formation, le MSP. À coups de milliards, il a mené une campagne sans pareille à Alger, qui n'est pas n'importe quelle ville. Le hic, c'est que son parti a décidé de boycotter le futur gouvernement et lui a dû s'en désolidariser. Bon calculateur, ne cachant jamais ses ambitions, il sacrifie son parti pour “une place au soleil”. Amar Ghoul n'est pas un aventurier. Son geste est calculé et il a dû sûrement recevoir des assurances pour agir de la sorte. Sa désignation pourrait répondre au souci de nommer un gouvernement qui rassemble plusieurs tendances, pas forcément celles qui ont réalisé les meilleurs scores aux législatives. Elle pourrait également soigner l'image que veut donner le pouvoir de lui à l'étranger : “on n'a rien contre les islamistes, la preuve on nomme l'un d'eux à la tête de l'exécutif.” De plus, cette nomination affaiblirait davantage l'Alliance verte et accentuerait la fissure qu'on a d'ailleurs du mal à cacher. Mohamed-Seghir Bab7s, l'option technocrate Le président du Cnes pourrait être appelé à diriger le gouvernement au cas où les cercles de décision ne se mettraient pas d'accord sur un candidat précis. Mohamed-Seghir Babès est une personnalité qui maîtrise de par sa fonction, les grands dossiers de l'heure, et semble faire l'unanimité autour de lui. Apolitique, il pourrait être à la tête d'un gouvernement de technocrates, comme le laisse entendre la rumeur. Cet universitaire pur et dur aura, toutefois, du mal à adopter un discours politico-démagogique, pour être “à la page”, comme il pourrait avoir du mal à imposer son autorité, notamment pour ce qui concerne les ministères de souveraineté qui devraient, quoi qu'il en soit, rester du domaine exclusif du président de la République. En tout état de cause, le président Bouteflika pourrait réserver d'autres surprises, faire appel à une personnalité indépendante ou mettre en place un gouvernement de technocrates chargé d'expédier les affaires courantes. Mais tout plaide pour la constitution d'un gouvernement éminemment politique, en raison de la nature de la conjoncture. A B