Aux antipodes des méandres du dogmatisme, Merzak Allouache a pris une sérieuse option pour la réflexion et l'analyse. Si d'aucuns ont estimé que ce n'est là qu'un éphémère effet d'annonce, bien de cinéphiles ne sont pas loin de penser que cela procède plutôt d'une volonté délibérée d'en découdre avec toute vision manichéenne. Le Repenti en est une parfaite illustration. À plus forte raison lorsqu'il n'a pas été sans susciter l'ire de quelques gardiens du temple devenus subrepticement avares lorsque cet enfant terrible du cinéma algérien manifeste une envie frénétique de réaliser des films dont les thèmes sont en relation avec la décennie noire. Ses capacités d'entreprendre ne s'émoussent pas pour autant. En faisant des films, il ne fait qu'essayer d'exprimer ce qu'il ressent, de raconter une histoire, en un mot, de faire de la création artistique : “Je suis cinéaste. J'essaie de parler des problèmes de la société algérienne. Aujourd'hui, je sens que notre société n'est pas apaisée. On a toutes les possibilités pour être apaisé et avoir un projet. Cependant, je ne sens ni le projet ni l'apaisement.” Bien qu'il ait accueilli favorablement la loi sur la concorde, Merzak Allouache continue à se faire l'écho des contradictions qui traversent encore sa société, notamment à travers les familles touchées de plein fouet par l'intégrisme. Mieux, il propose, contre l'amnésie ambiante et les fuites en avant, un véritable débat : “Cette loi ne doit pas exclure le débat. Quand il y a quelque chose de grave, on doit en parler. Parce qu'il y a des victimes, leurs familles, des gens qui sont certainement dans des hôpitaux psychiatriques du fait de traumatismes. Dans un pays où, jusqu'à présent, des associations de victimes et des familles de disparus continuent d'organiser des manifestations bien qu'elles soient foncièrement contre la poursuite des violences, le face-à-face est indispensable.” La confrontation saine des idées s'invite tel un leitmotiv dans sa filmographie. Dans une œuvre comme Normal ! où il met en scène de jeunes Algérois des milieux du théâtre et du cinéma confrontés aux problèmes de la liberté d'expression et à la question de savoir que faire pour que l'Algérie puisse asseoir encore davantage l'idéal démocratique pour préserver sa souveraineté nationale ? S'il n'est pas un simple épigone de Mohammed Zinet, Merzak Allouache nous rappelle l'heureux réalisateur de Tahia Ya Didou, par une évidente liberté d'écriture, un bonheur quasi constant dans l'approche d'un Alger insolite, un humour populaire du meilleur cru. Mais sous le divertissement, le spectacle, les mots d'argot, c'est la mise en images d'une société par trop immobile et de l'ennui d'une jeunesse acculturée qui semble à la base de ses préoccupations cardinales. Ainsi, la décision de Omar Gatlato, émergeant de son égotisme, de réagir, de bouger, ne naît pas, soulignait le critique français Claude-Michel Cluny, d'une dialectique ignorée par l'auteur, mais d'une intuition plus naturelle au personnage et plus en rapport avec ses limites. Microcosme édifiant s'il en est, Alger, la ville qui l'a vu naître, permet au cinéaste de parler des jeunes de son quartier, de pénétrer leur vie, de s'attarder sur les problèmes d'une frange de la population qui s'était invitée sur la scène politique à la faveur de la machiavélique mise en scène d'Octobre 88, d'une manière fracassante, violente. Privilégiant un cinéma de proximité, celui qui défraya la chronique avec L'Autre Monde (2011), un film d'une ambiguïté décapante bien que financé en partie à l'époque par la télévision algérienne, ce talentueux réalisateur met souvent l'accent sur la montée de l'intégrisme, notamment à travers son emprise grandissante sur les jeunes de son quartier. Pour autant, il n'en fait pas son unique fixation. Le désarroi de la jeunesse et les situations aussi nombreuses que complexes dans lesquelles elle est impliquée sont au centre de ses préoccupations. Caméra au poing, Merzak Allouache s'attarde aussi sur ces jeunes qui ont choisi la drogue, le départ vers d'autres horizons (harragas), le trabendo ou la fuite en avant... A. M. [email protected]