Pour ceux qui ne le connaissent pas, cet enfant terrible du cinéma algérien est un habitué des sections parallèles du Festival international de Cannes. Sa présence à la Quinzaine des réalisateurs est loin d'être le fait du hasard. Le prix qu'il vient d'y remporter avec Le Repenti, son dernier film, ne fait que consolider un palmarès particulièrement riche et irrigué, pour mémoire, par Omar Gatlato, sélectionné pour la Semaine de la critique à Cannes en 1977, Bab-El Oued City à la section Un certain regard en 1994. Merzak Allouache est, à l'évidence, le cinéaste algérien le plus prolifique mais aussi, et surtout, l'un des plus enracinés, bien que ces dernières productions aient été montées financièrement du côté de l'Hexagone. Sous des cieux où il semble jouir d'une très grande considération et d'avances sur recettes qui lui permettent de se passer d'aides à la production de son pays. Le mépris ou l'incompréhension, c'est selon, dont il semble y être victime ne l'éloigne cependant pas de l'essentiel, à savoir la réalité objective d'un peuple, le sien. Avec pour toile de fond, la crise plurielle vécue dans sa chair par la société algérienne où la bête immonde et l'intégrisme castrateur occupent une place privilégiée. C'est justement ce signifié lourd de sens qui lui vaut l'ire de quelques commis de l'idéologie dominante qui n'arrivent pas, intégrisme politique aidant, à tolérer le fait qu'une problématique aussi douloureuse soit abordée avec la distanciation chère à Berthold Brecht. Ses fréquents rapports au petit écran en France, pour Arte et France 2, et en Algérie pour le compte de la télévision nationale, ne l'empêchent pas pour autant de renouer avec le champ cinématographique national auquel il appartient pleinement. Un secteur en complète décomposition qu'il représenta dignement en décrochant de nombreuses distinctions internationales mais qu'il quitta très tôt pour monter sa propre maison de production, loin de toutes les pesanteurs bureaucratiques… Du moins c'est ce qu'il croyait. Même s'il demeure foncièrement opposé à toute résurgence des entreprises audiovisuelles publiques dissoutes, il n'en reste pas moins convaincu que le désengagement de l'Etat pourrait être fatal au rôle que peut jouer la culture nationale dans le domaine de la promotion et de l'épanouissement de tout un peuple. Il faut reconnaître à l'auteur de Salut cousin ! cette faculté de se remettre en question et de placer la création artistique au-dessus de toute considération, loin de toute surenchère démagogique. Ce qui est loin d'étonner le cinéphile averti, a fortiori votre chroniqueur du samedi qui, en tant que premier responsable de la Fédération algérienne des ciné-clubs, avait eu tout le loisir d'apprécier et le talent et la dimension humaine d'un cinéaste qui donne souvent l'impression d'être le chantre du dogmatisme politique, un chantre patenté d'idées reçues où la conception jdanovienne demeure la pierre angulaire de l'édifice culturel. Merzak Allouache faisait partie de ces jeunes loups qui, tenus en lisière jadis, n'avaient pas manqué de mettre l'accent sur le fait que l'analyse politique de certaines superproductions algériennes laissait grandement à désirer. Son premier long métrage, Omar Gatlato, témoigne, si besoin est, pour lui. Il était, on s'en doute, en rupture avec les cinémas de la guerre et de la “révolution agraire” tant il lui avait permis de raconter la vie des jeunes d'Alger en restituant leurs bavardages, leurs tics, leur impatience face à une société figée, leur oscillation entre la fidélité à la tradition et l'ouverture sur l'Occident. Ce n'est donc pas sans raison s'il cadre merveilleusement bien avec les personnages de ses premiers longs métrages, de Omar Gatlato (1973) à L'Homme qui regardait par les fenêtres (1983) en passant par Les Aventures d'un héros (1977). Mais au fil des débats que j'organisais avec lui dans les ciné-clubs des communes, des lycées, de centres universitaires, d'entreprises et de villages agricoles, son caractère énigmatique et l'impression de timidité qui semblent s'en dégager s'estompent chaque jour davantage pour laisser place à un homme plein d'hésitations et de principes, d'orgueil et de générosité. Un cinéaste qui, loin des arcanes et des méandres du dogmatisme, préfère désormais la réflexion et l'analyse à toute négation de l'autre, comme peut en témoigner Le Repenti, le film primé à Cannes. (À suivre) A. M. [email protected]