Le Conseil suprême des forces armées cherche-t-il à marquer des points pour négocier en position de force un partage du pouvoir avec les Frères musulmans ? En Egypte, l'incertitude nourrit les tensions. Les Frères musulmans ont menacé le pouvoir militaire de “confrontation avec le peuple" si leur candidat Mohammed Morsi n'était pas reconnu vainqueur de l'élection présidentielle, dont la proclamation des résultats a été repoussée sine die. Très grande confusion au Caire. Dimanche 17 juin, quelques heures après la fin de l'élection présidentielle, le Conseil suprême des forces armées (CSFA), au pouvoir depuis la chute de Hosni Moubarak, a dépouillé le futur chef de l'Etat de l'essentiel de ses attributions, alimentant les spéculations sur un coup d'Etat militaire rampant. La veille, les dix-neuf généraux du Conseil avaient annoncé la dissolution de la Chambre basse du Parlement, dominée par les Frères musulmans, conformément à une décision de la Haute Cour constitutionnelle, hérité de Moubarak et qui avait invalidé l'élection d'un tiers des députés après six mois d'exercice ! L'inquiétude s'est accrue avec l'annonce de la mort de Moubarak puis son transfert de la prison à l'hôpital militaire du Caire. L'ex-raïs, condamné à la prison à vie, serait dans le coma depuis mardi soir, selon des sources militaires. Mais la mort du dictateur est le dernier souci des Egyptiens qui se préparaient à de nouveaux affrontements, cette fois entre les islamistes et l'armée. L'autre annonce qui a mis le feu : les résultats du second tour de la présidentielle, attendus jeudi 21 juin, ont été reportés sine die par la Haute Commission électorale, “qui examine des recours pour fraude." Mohamed Morsi, le candidat des Frères musulmans, s'était donné gagnant, mais son adversaire Ahmed Chafik, général à la retraite et l'ultime premier ministre de Moubarak, revendique également la victoire. Tout indique que le CSFA veut revenir au statu quo anté, c'est-à-dire abolir les acquis de la révolution, sinon cherche-t-il à marquer des points pour négocier en position de force un partage du pouvoir avec les Frères musulmans ? C'est la grande question sans réponse, car au Caire personne n'est en mesure de dire où va l'Egypte post-Moubarak. Le nouveau bras de fer avec les islamistes, qui a commencé, va s'intensifier. Les Frères musulmans ont menacé le pouvoir militaire de “confrontation avec le peuple" si leur candidat Mohamed Morsi n'était pas reconnu vainqueur de la présidentielle. Ils ont planté leurs tentes sur la place Tahrir, l'épicentre de la révolution du Nil qu'ils avaient rejoint sur le tard. Les Frères protestent également contre les dispositions prises par le CSFA lui permettant d'assumer le pouvoir législatif à la suite de la dissolution, la semaine dernière, de l'Assemblée dominée par les islamistes. Cette mesure obligera le prochain président, quel qu'il soit, à avoir l'aval des militaires pour pouvoir faire passer des lois, réduisant drastiquement sa marge de manœuvre. C'est l'armée qui va rédiger la future Constitution, elle s'est également octroyé de larges prérogatives en matière de sécurité : d'importants mouvements de troupes ont été observés dans la capitale et les principales villes. Tout porte à penser que l'Egypte s'apprête à revivre le temps de l'état d'urgence abolie le mois dernier. Les mesures constitutionnelles et sécuritaires sont la dernière indication en date qu'il n'y aura pas de transfert de pouvoir significatif le 30 juin à un pouvoir civil, comme l'armée s'y est pourtant engagée, selon l'ONG. La chef de la diplomatie américaine Hillary Clinton a, pour sa part, appelé la junte égyptienne à tenir sa promesse de céder le pouvoir au vainqueur de la présidentielle. Leçons de ce feuilleton politique égyptien. Le tempo de la transition choisie : d'abord des élections, législatives et présidentielle, ensuite l'élaboration de la Constitution! Il aurait fallu la loi fondamentale pour tracer le projet de société post-Moubarak. Ensuite, le partage du pouvoir : les généraux du CSFA s'étaient d'emblée rabibochés avec les islamistes, pensant éliminer les acteurs du Printemps égyptien, des forces de progrès, il est vrai pas du tout organisés pour l'après-destitution de Moubarak. Mais, trop gourmands, les islamistes ont pensé leur heure venue. D'où cette confusion totale et le clash entre l'armée et les islamistes. À retenir, la majeur partie de la population ne se sent concernée ni par les ambitions des uns ni par les tergiversations des autres. Les Egyptiens se tiennent le ventre, ils craignent que l'épreuve de force entre les généraux et les Frères ne dégénère en un affrontement violent. D. B