Dans son édition du 5 juillet 2012, votre journal a publié un article signé par M. Djamel Bouatta intitulé “Le procès de la colonisation française. Le chemin de Novembre 1954" dans lequel il revient, entre autres, sur la position de Ferhat Abbas sur la question de la nation algérienne. Beaucoup de choses ont déjà été écrites et dites à ce sujet, le plus souvent avec une passion et une subjectivité qui cachent mal les enjeux liés à l'écriture de notre histoire et à l'usage qui en fait depuis l'Indépendance de notre pays. Ferhat Abbas a été assimilationniste dans la lignée de l'Emir Khaled. Il s'agissait d'une assimilation politique — opposée à l'assimilation-naturalisation — qui correspond à la première étape de son combat politique et qu'il a assumé sans aucun détour. La revendication de l'assimilation politique dans les années 1930 et la lutte qui fut menée pour faire aboutir le projet Blum-Violette — combattu violemment par le gros colonat, les tenants d'un système colonial barbare ainsi que par les porte-étendards du populisme — représentaient la quintessence des revendications portées par la Fédération des élus, les Uléma et communistes : égalité des droits, représentation parlementaire, abolition du code de l'indignant, instruction pour tous, avec la préservation du statut personnel. Loin donc de signifier une adhésion quelconque à un idéal abstrait, qui l'aurait poussé à se défaire de ce qui faisait l'essentiel de son identité, la revendication de l'assimilation politique traduisait chez Ferhat Abbas — alors, membre actif de la Fédération des élus — une compréhension aiguë des barrières pratiquement infranchissables dressées dans les années 1930, face à la lutte pour l'émancipation du peuple algérien. Dans la nuit coloniale, j'avais choisi le chemin qui me paraissait le plus court. Il était urgent de remédier à une situation qui s'aggravait chaque jour. Ainsi, et en raison d'un rapport de forces extrêmement défavorable et de conditions de lutte pour l'émancipation des Algériens. C'est dans ce cadre et dans ce contexte précis qu'il faut relire sa déclaration sur la nation algérienne, déclaration qui, à l'époque, renvoie à la problématique des constructions nationales dans les colonies. Diverses interprétations ont été faites de cette déclaration, les historiens eux-mêmes ne s'étant jamais entendus sur la date de sa publication et le journal qui l'a publiée ainsi que sur la formulation interrogative ou non utilisée par Ferhat Abbas pour parler de la nation algérienne (voir à ce propos le travail fouillé, documenté et objectif de la chercheuse Leïla Benammar Benmansour : Ferhat Abbas, l'injustice). La nation n'était pas, chez Ferhat Abbas, une abstraction ou une catégorie idéale sans aucun lien avec le réel. Elle supposait une communauté de destin et un vouloir-vivre ensemble — musulmans, chrétiens, juifs, paysans, ouvriers, etc. — qui faisait défaut et n'avait pas émergé en raison de l'emprise quasi absolue qu'exerçait le système colonial sur le pays. De même, tout en reconnaissant l'apport de la civilisation judéo-chrétienne. Ferhat Abbas restait attaché à sa culture et à la religion de ses ancêtres reconnaissant avec fierté la profondeur des liens qui unissent les Algériens à la civilisation arabo-musulmane. Dans Autopsie d'une guerre, Ferhat Abbas a clarifié son idée de la nation comme suit : “La notion d'el-ouma n'est pas sans noblesse. Elle est emprunte de grandeur et de puissance. En se perdant au profit d'un nationalisme de clocher, elle nous crée de terribles responsabilités. Nous partons de zéro. Pour édifier notre pays, l'union nationale et la participation de tous les citoyens est le voisin. Ils sortent des entrailles du peuple comme l'enfant de celles de sa mère. C'est la culture, la terre et la nature de l'homme qui forgent et conditionnent les institutions d'un pays." Quant à la déclaration de Abdelhamid Ben Badis — lui-même assimilationniste, au sens politique du terme — elle concernait les “indigènes" naturalisés qui ont renoncé à leur statut personnel. Et Ferhat Abbas, qui avait des relations très cordiles avec ce dernier, n'était pas naturalisé. Pour rendre justice au travail accompli par Farhat Abbas et ses compagnons, le cheikh Ben Badis déclare dans l'Entente du 11 juin 1936, que la Fédération des élus “a appris aux Algériens à se servir du bulletin de vote et à penser politiquement" (cité par Benmansour, dans Ferhat Abbas, l'Injustice). Un dernier mot, Monsieur Bouatta écrit avec désinvolture et légèreté : “Plus tard, le premier président de l'Algérie du temps du GPRA explicitera son constat : jeunesse, air du temps, realpolitik, ce fut tout à la fois." Question : d'où sort-il cette fabulation quand on sait que Ferhat Abbas n'a jamais été l'homme des reniements ou de l'opportunisme ? Nassim Abbas Neveu de Ferhat Abbas