Depuis vendredi l'armée syrienne lance une contre-offensive à Damas et à Alep, la capitale économique du pays. Les populations civiles quittent le pays par milliers pour se réfugier dans les pays voisins, notamment au Liban. La Syrie est en pleine guerre civile. Désormais, l'heure n'est plus aux prudences sémantiques tant la réalité dramatique s'impose aux plus optimistes. Lorsque les insurgés ont réussi à porter le combat au cœur de la capitale, surtout après l'attentat qui a décapité le commandement des forces loyales au président Assad, tous les observateurs ont parlé d'un “tournant", et les insurgés ont fait montre d'un certain triomphalisme en affirmant que c'était la dernière bataille avant la chute du régime. C'était sans doute vendre un peu vite la peau de l'ours... Certes, l'insurrection a pris une nouvelle dimension. Elle semble mieux organisée, même si toutes ses factions n'agissent pas de manière coordonnée et ne poursuivent pas les mêmes objectifs, la chute de la dynastie Assad étant leur seul dénominateur commun, ce qui donne une apparence d'unité très fragile. L'armée rebelle s'est renforcée en enregistrant des milliers de déserteurs parmi lesquels pas moins de 24 généraux, le dernier d'entre eux ayant rejoint la rébellion il y a à peine 48 heures. Cette armée est mieux équipée et mieux organisée. Le Qatar et l'Arabie saoudite financent et organisent l'acheminement d'armes avec la bénédiction de la CIA. Les services français sont sur le terrain pour prêter main-forte à l'insurrection et fournissent l'équipement dit cyniquement “non létal". Après le dernier veto sino-russe au Conseil de sécurité empêchant le vote d'une résolution contre le régime de Damas, Washington et Londres ont clairement annoncé qu'ils allaient agir désormais en dehors de l'ONU. Cela signifie au minimum que l'insurrection bénéficiera de moyens supplémentaires conséquents. De plus, les insurgés ont indéniablement marqué des points ces derniers jours, notamment en contrôlant la frontière avec l'Irak et un poste frontière entre la Syrie et la Turquie. Est-ce pour autant que la situation est irréversible et que la chute du régime de Damas est imminente ? Rien n'est moins sûr. D'abord parce que l'armée loyale au régime reste très puissante malgré les défections et dispose de moyens qu'elle s'est sans doute interdite d'utiliser jusqu'ici. L'appui logistique avéré de puissances étrangères à l'armée insurrectionnelle pourrait agir comme un catalyseur qui lève ses derniers scrupules à ce sujet. Elle pourrait l'utiliser comme facteur légitimant la mise en œuvre de son armada. La violence de la contre-offensive de Damas, qui a fait reculer les rebelles, donne un avant-goût de ce que pourraient être les affrontements futurs. Sans compter que son aviation lui donne un avantage incommensurable sur la rébellion. Il est faux de comparer l'armée syrienne à l'armée irakienne qui s'est effondrée lors de la deuxième guerre du Golfe. Celle-ci sortait d'une première guerre qui l'a affaiblie et de plusieurs années d'embargo. La Syrie n'est pas non plus la Libye. Or, y compris dans ces deux pays, la chute des régimes n'a été possible que par une intervention militaire extérieure massive. Un tel scénario est exclu, du moins dans l'immédiat. D'abord parce que c'est matériellement très compliqué. Ensuite parce que les conséquences d'une telle intervention sont tout simplement impossibles à prévoir, tant la région est faite d'équilibres complexes et fragiles sous-tendus par des conflits larvés en tous genres et par des intérêts énormes qui dépassent ses frontières géographiques. Enfin, parce que la Syrie n'est pas, à l'instar de l'Irak et de la Libye, un réservoir de matières premières. Tant que la Russie et la Chine camperont sur leurs positions, ni Washington, ni Londres, ni Paris, pour des raisons diverses, ne tenteront l'aventure militaire en Syrie. Et, dans de telles conditions, le conflit syrien est parti pour durer. M. A. B