“Nous devons d'abord faire une évaluation de la situation, et le Président devra faire sa propre évaluation pour rendre cette visite favorable”. Dixit le ministre de l'intérieur. Le président de la république pourrait être tenté de faire un saut en Kabylie avant le début de la campagne électorale. C'est ce que suggère son ministre de l'intérieur Yazid Zerhouni, à l'occasion d'une conférence de presse qu'il a animée, jeudi, à l'aéroport d'Oran. Interrogé par Liberté sur les raisons qui ont poussé Abdelaziz Bouteflika à bouder cette région alors qu'elle est en quasi-rébellion, le ministre estime que cette visite est envisagée. Un peu gêné par la question, Zerhouni fait d'abord “une mise au point”, en affirmant que la Kabylie “est de moins en moins en rébellion et qu'elle s'est remise au travail”. Particulièrement élogieux à l'égard de la population de cette région qu'il a pourtant réussi à se mettre à dos, depuis trois années, le ministre de l'intérieur se félicite que la Kabylie “a eu une attitude responsable”. À qui faisait-il allusion ? Sans doute, parlait-il du processus de dialogue, engagé par son chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia avec l'aile Abrika du mouvement citoyen. Bien sûr, le ministre n'a pas jugé utile de dire pourquoi le Président a toujours évité l'escale de Kabylie alors qu'il a fait le tour d'Algérie pratiquement deux fois depuis l'éclatement de la crise dans cette région. Mais il ne désespère pas de voir les portes de Tizi Ouzou et de Béjaïa se rouvrir devant le président Bouteflika dans les meilleurs délais. Zerhouni laisse entendre cependant que cela ne se fera pas dans l'immédiat. “Il faut d'abord faire une évaluation, et le Président lui-même doit faire sa propre évaluation de la situation pour rendre cette visite positive”. Ce propos du ministre trahit ses craintes et celles du Président, d'oser pointer le nez dans le bourbier kabyle au risque d'avoir à subir une réaction hostile de la population. Il faut donc tâter le terrain avant d'annoncer cette visite. Comment ? Même s'il ne le dit pas, le ministre de l'intérieur fait référence, certainement, au rapprochement avéré entre le chef du gouvernement et une aile du mouvement des archs dans la perspective du règlement de la crise de Kabylie via la mise en oeuvre de la plate-forme d'El-Kseur. Il paraît donc clair que Bouteflika compte sur Ouyahia — qui vient d'annoncer officiellement son allégeance au président, lire l'article de K. Kébir — pour lui baliser la route qui mène vers la Kabylie. C'est que, implicitement, Zerhouni reconnaît que cette hypothétique visite dépend dans une large mesure du succès du dialogue entre le gouvernement et le mouvement citoyen des archs. A contrario, si le processus aboutit à un cul-de-sac, Bouteflika ne serait pas en mesure de s'aventurer dans un terrain miné, à en croire Yazid Zerhouni. Il va donc falloir lever l'hypothèque de la crise pour voir, enfin, le président reprendre langue avec des citoyens, des électeurs, qu'il a oubliés depuis bientôt trois années. Et à moins de cinq mois de l'élection présidentielle, cette éventuelle visite à Tizi Ouzou ou à Béjaïa ne peut, à l'évidence, être interprétée que comme une précampagne électorale dans l'espoir de récupérer ne serait-ce qu'une partie d'un réservoir électoral estimé à plus de un million de voix. Zerhouni n'hésite pas, pour les besoins de la cause, de rappeler le fameux programme de rattrapage de 2 000 milliards de centimes accordés aux trois wilayas de Kabylie. Bouteflika va-t-il braver prochainement “l'interdit” et aller affronter en “live” les citoyens de Kabylie ? Cela relève, à l'heure actuelle, d'une simple hypothèse, même si la tentation est forte, très forte chez le président et néanmoins candidat à sa propre succession. H. M.