le Chef du Gouvernement défend le Bilan de Bouteflika Ouyahia, l'Avocat de la dernière Heure “Je m'entends avec le président de la République sur tous les dossiers. Nous sommes en symbiose”, a-t-il martelé, hier, devant la presse. Le Chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, a défendu si énergiquement le président de la République, lors de la conférence de presse qu'il a animée, hier, à la résidence Djenane El-Mithaq, qu'il a suscité l'étonnement, tant il donnait jusqu'alors l'impression de garder, en dehors de ses obligations gouvernementales, une certaine distance vis-à-vis du conflit Bouteflika-Benflis. Hier, Ouyahia a clamé haut et fort qu'il ne faut pas s'attendre à ce qu'il se désolidarise d'avec le président de la République “dont je suis le Chef du gouvernement. La morale ne me le permet pas”. Le geste aurait paru normal s'il n'avait pas affirmé : “Je m'entends avec le président de la République sur tous les dossiers. Nous sommes en symbiose.” C'est d'un revers de la main qu'il a balayé ses divergences antérieures, exprimées publiquement pourtant, avec le premier magistrat du pays sur des dossiers lourds dont celui du terrorisme. Il a même tenté d'amender le chef de l'Etat de la compromission — qu'on lui reproche — avec la mouvance islamiste. “Le dossier du Fis dissous est clos et bien clos.” Il a ajouté que Abdelaziz Bouteflika a accompagné, à son arrivée à la tête du pays, le projet de concorde civile auquel il a donné un cadre juridique, insistant sur le fait que cette démarche a été largement approuvée par les Algériens à la faveur du référendum du 16 septembre 1999. “En marge de la concorde civile, la lutte contre le terrorisme se poursuit. La réussite de l'opération des Babors prouve que cet Etat qu'on accuse de faire un compromis avec l'intégrisme est un Etat qui se bat au quotidien et qui enregistre des résultats sur le terrain de la lutte contre le terrorisme.” Comme pour ne laisser aucune ambiguïté dans l'interprétation de ses propos, Ouyahia a clairement soutenu qu'il est “faux de prêter des intentions islamistes et intégristes au président de la République”. Dans le sillage, le Chef du gouvernement a affirmé que Abdelaziz Bouteflika n'a pas rencontré et ne rencontrera pas Abassi Madani en Malaisie. “La presse écrit ce qu'elle veut. La vérité est autre. Le président de la République est parti en Malaisie représenter son pays au sommet des Etats musulmans. Trouvez vos arguments ailleurs.” À partir de là, Ahmed Ouyahia ne cherchera plus à épargner les détracteurs du président de la République en manquant de peu de les citer nommément. Bien qu'il ait refusé au départ de s'attarder sur la crise du FLN, arguant que le gouvernement ne saurait s'ingérer dans les affaires internes d'un parti politique agréé, Ahmed Ouyahia a qualifié l'opposition de Ali Benflis à Bouteflika de “campagne publicitaire, dans laquelle se sont engouffrés des intérêts inavouables — je parle d'argent sale et je pèse bien mes mots. Cette campagne publicitaire fait barrage à l'avancée sereine vers la campagne électorale”. En parlant d'argent sale sans aller au fond des révélations, mais en donnant l'impression de savoir parfaitement de quoi il parle, Ahmed Ouyahia a stupéfié la salle. Etait-ce une manière de mettre en garde les détracteurs cachés de Bouteflika, en rafraîchissant leur mémoire sur les affaires douteuses dans lesquelles ils se sont impliqués ? Peut-être. Ou est-ce juste une manœuvre — une de plus — pour susciter une polémique à même de faire diversion sur les véritables turbulences que traverse la scène politique ? Quoi qu'il en soit, le Chef du gouvernement n'est pas allé de main morte pour encenser le premier magistrat du pays et enfoncer parallèlement son adversaire politique déclaré, le secrétaire général du FLN en l'occurrence. “Nous assistons à un grand vacarme, mais a-t-on entendu parler de programmes ?”, s'est-il interrogé comme pour replacer l'affaire du FLN dans une autre dimension. D'autant qu'il a pris le soin de battre en brèche quelques-unes des attaques des partisans de Ali Benflis contre le locataire du palais d'El-Mouradia. Ahmed Ouyahia a démenti que les opérations annoncées par Abdelaziz Bouteflika lors de ses visites de travail à l'intérieur du pays soient “inconstitutionnelles”. “C'est faux. Elles sont toutes budgétisées.” Il a révélé que le président de la République a, certes, lancé un programme de 86 milliards de dinars au profit des wilayas qu'il a visitées. L'ex-Chef de gouvernement, Ali Benflis, a aussi effectué, selon lui, des sorties qui se sont soldées par l'ouverture de dix nouveaux chantiers qui coûteront 48 milliards de dinars. “À l'époque, on disait que les résultats de ces sorties sont positives. Aujourd'hui, les programmes du chef de l'Etat sont devenus électoralistes, entraînant la dilapidation des biens publics. Ces manœuvres et cette hypocrisie ternissent l'image du pays à l'extérieur”, a martelé Ahmed Ouyahia. Dans sa lancée, il a déclaré que l'affaire des biens détournés du ministère des Affaires étrangères “a été créée pour en faire un dossier contre Bouteflika”, lequel, a-t-il rappelé, a abrogé la loi 81-01 portant cession des biens de l'Etat par un article contenu dans la loi de finances 2001. “Brûler, aujourd'hui, par tous les moyens, ce qu'on a sacralisé, voire déifié, hier, est un exercice qui peut se faire dans la liberté d'expression. C'est toutefois un exercice fait en direction d'une opinion publique qui n'est pas inapte à penser.” Cette opinion publique aura, selon Ahmed Ouyahia, la démonstration que le bilan de la relance économique, la grande réalisation du président de la République, est positif. “Nous présenterons avant la fin de l'année un bilan chiffré de ce quinquennat que certains qualifient de catastrophique.” Souhila Hammadi Les Temps forts de la Conférence de Presse “Les Sinistrés seront relogés” Ahmed Ouyahia a tenu à rassurer les victimes du séisme du 21 mai dernier, en soutenant que les promesses du chef de l'Etat et celles du gouvernement seront respectées. Tous les sinistrés seront relogés avant l'arrivée du grand froid, a-t-il insisté. Pour mieux étayer ses propos, il a annoncé que le bilan établi le 10 octobre fait état de la réhabilitation de 65 000 logements partiellement détruits par le tremblement de terre. Sur le programme de production de 21 000 chalets, 11 000 sont déjà installés. 10 000 familles sinistrées seront relogées dans des cabines sahariennes ou dans des logements sociaux, mobilisés par les pouvoirs publics, avant le début du ramadhan. Six mille autres familles le seront avant la fin du mois sacré. En décembre prochain, le gouvernement lancera des chantiers de 15 000 nouveaux logements pour absorber un éventuel déficit. “L'aventure d'El-Asnam ne se répétera pas”, a conclu le Chef du gouvernement. “Nezzar Exprime sa propre Opinion” Interrogé sur les accusations contre le président de la République et son entourage, portées par le général à la retraite Khaled Nezzar, dans l'entretien publié par Le Soir d'Algérie, Ahmed Ouyahia a refusé officiellement de faire un commentaire. Pourtant, il a fait preuve d'une incroyable éloquence en concédant à l'officier supérieur à la retraite la qualité “d'illustre Algérien qui a mené des combats qu'on ne peut lui effacer et qui ne fait qu'exprimer son opinion”. Il ne s'est pas montré, par contre, très tendre avec l'officier déserteur de l'ANP, Mohammed Semraoui, qui a publié, dernièrement, en France, un livre qui met en cause l'ANP dans des attentats terroristes. “Il en est ainsi du sort de l'Algérie d'avoir à combattre le monstre du terrorisme et de subir des attaques infamantes qui transforment la victime en bourreau. Nous sortirons grandis de cette aventure, nous n'en doutons pas.” Il a ajouté : “L'ANP est une institution républicaine qui a des missions constitutionnelles.” Suspension des Journaux : “Problème Commercial” La suspension de six quotidiens de la presse nationale, en septembre dernier, n'a aucune arrière-pensée politique, selon le Chef du gouvernement. “Ce sont les journaux les plus endettés qui ont eu des démêlés avec les imprimeries. Dès que ces journaux ont réglé leurs dettes, ils ont été publiés. C'est une preuve que c'était un problème d'ordre purement commercial”. “La Présidentielle Aura Lieu dans les Délais” “L'élection présidentielle aura lieu dans les délais constitutionnels, soit à la fin du mois de mars ou début avril. Elle sera crédible”, a soutenu Ahmed Ouyahia, lors de sa conférence de presse. Il a affirmé que le gouvernement a donné son aval au passage au Parlement de la proposition de révision de la loi électorale, élaborée par les députés d'El-Islah, afin de mettre un terme aux appréhensions des uns et des autres. “Nous inviterons des observateurs étrangers à superviser le déroulement de cette élection”, a-t-il ajouté pour mieux assurer. Il a, toutefois, confirmé que ce scrutin sera bel et bien organisé par l'actuel ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, malgré le peu de popularité, voire de confiance, dont lui vouent la classe politique et surtout les animateurs du mouvement citoyen en Kabylie. “M. Zerhouni a organisé de belles élections l'année dernière”, a-t-il avancé comme argument. “Nous ne Voulons pas d'un faux Dialogue avec les Archs” “Nous ne vivons plus la crise de la Kabylie avec pessimisme car, depuis cinq mois, le dialogue, lui, est devenu un élément central”, telle a été la réponse de Ahmed Ouyahia sur l'hypothèse d'échec de l'appel au dialogue qu'il a lancé, au mois de mai dernier, aux animateurs du mouvement des archs. Il a précisé que les autorités publiques sont sorties d'une phase de confrontation pour amorcer celle du dialogue dans ce dossier, ce qui est, en soi, un prélude à un début de règlement du problème, selon son analyse. Preuve en est que les animateurs du mouvement citoyen préparent les bases de ce dialogue, a-t-il ajouté avant de certifier que le gouvernement prendra en charge la mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur telle qu'elle lui sera présentée, ainsi que toutes les conséquences préjudicielles. “Nous préférons perdre quelques jours ou quelques semaines pour voir venir les animateurs des archs ensemble et éviter ainsi un faux dialogue”. Il a reconnu que chaque semaine perdue accuse un retard dans la relance du développement dans la région. Le programme de rattrapage de 20 milliards de dinars devra normaliser la situation, selon ses estimations. “Je ne commente pas les décisions de Justice” “La justice de la nuit, comme vous dites, se poursuit en plein jour au Conseil d'Etat”, tel est le commentaire du Chef du gouvernement sur ce qu'on lui a présenté comme l'instrumentalisation de la justice dans l'affaire du FLN. Il a soutenu fermement qu'il n'est pas de ses prérogatives de commenter autrement une décision de justice. Il n'en demeure pas moins qu'il n'a pas clairement dit si une enquête sera diligentée sur les circonstances de l'interdiction du congrès extraordinaire du FLN, après les dénonciations publiques du président et du procureur général adjoint de la cour d'Alger. S. H. Ahmed Ouyahia a évoqué le sujet sans donner de détails Argent sale ?! Dites tout ! Le Chef du gouvernement a réduit la crise qui secoue le FLN à une affaire d'”argent sale”. Il n'a en revanche soufflé mot sur les différents scandales politico-financiers qui secouent l'actualité depuis des mois. Ahmed Ouyahia, dont on attendait la sortie médiatique, aura été égal à lui-même. Il a profité de l'attente suscitée par sa conférence de presse pour jeter un gros pavé dans la mare déjà trouble du débat politique. Parlant de la crise interne qui secoue actuellement le FLN, il prend tout son monde à revers en disant que cette crise est sous-tendue par “des intérêts inavouables”. Et pour bien marquer son propos, il ajoute sur un ton quasi solennel : “je parle d'argent sale et je pèse mes mots.” Voilà le genre de petites phrases assassines qui ne manqueraient pas de donner du grain à moudre aux commentateurs. Respectant les règles d'usage dans pareil exercice, il se contente de balancer l'insinuation tout en laissant le reste dans le vague et l'indéfini. Mais, en disant bien peser ses mots, le chef du gouvernement aurait pu aller jusqu'au bout et nous en dire un peu plus. Ce qui nous aurait peut-être permis d'être édifiés sur les tenants et les aboutissants de ce “combat de coqs”, qui fait le menu quotidien des gazettes algéroises. En laissant sur leur faim les observateurs, l'homme, réputé être sans état d'âme, en rajoute une couche sur le registre des affaires qui ont déjà défrayé la chronique et dans lesquelles le président de la république et son entourage sont impliqués, comme l'a d'ailleurs confirmé, dans son entretien, le général Khaled Nezzar. L'affaire Al-Shorafa, par exemple, où en est-on des investigations que devait mener la commission d'enquête mise sur place à cet effet ? On se souvient que Khalida Toumi, alors porte-parole du gouvernement, avait promis que “toute la lumière sera faite sur cette affaire”, tout en recommandant à la presse de “laisser la justice travailler en toute sérénité”. Des mois après, force est de constater qu'il n'y a point de commission, encore moins de lumière. L'autre affaire dans laquelle, d'ailleurs, son nom est cité est celle des biens immobiliers des Affaires étrangères. Ahmed Ouyahia s'en lave les mains et profite même pour blanchir le président de la République, en disant que ce dossier est exhibé pour nuire à son image. à propos de l'affaire Khalifa, qui n'a pas encore réellement commencé à livrer ses troublants secrets, le chef du gouvernement se met dans la position de celui qui n'a rien à se reprocher, puisqu'il invite Abdelmoumène Khalifa, “qui a tout perdu, à parler”. Concernant l'affaire de suspension des journaux, Ouyahia persiste à mettre en avant la logique de commercialité, alors que lui-même avait avoué autour de son entourage qu'“à la guerre, c'est comme à la guerre.” Mais au lieu de s'expliquer sur toutes ces affaires qui jettent la suspicion et le discrédit sur le président et son entourage, Ahmed Ouyahia préfère jeter un autre os. La question est de se demander s'il ne s'agit pas d'une manœuvre de diversion de sa part. Histoire de brouiller les pistes et accentuer le “confusionnisme” ambiant. Mais au-delà de ce que pourrait être cette nouvelle affaire, la balle est également dans le camp du FLN qui doit s'expliquer. N. S. Après le défi lancé, Hier, par le Chef du Gouvernement Et si Khalifa parlait… Beaucoup de zones d'ombre : la création du groupe, son expansion, ceux qui en ont profité et ceux qui ont été à l'origine de sa faillite pour de multiples raisons, doivent être éclaircies. “Khalifa n'a rien à perdre à parler.” La déclaration qui s'apparente beaucoup plus à un défi lancé à Abdelmoumen Khalifa a été faite, hier, par Ahmed Ouyahia lors d'une conférence de presse. Le chef du gouvernement avait ainsi répondu à une question liée à l'implication de certains hauts responsables de l'état dans l'acquisition de gros avantages financiers accordés par Khalifa dont de colossales sommes d'argent et des master-cards à crédits illimités. Tout en rappelant les pertes subies par le trésor après l'effondrement d'El Khalifa bank et l'impossibilité pour l'OPGI, ainsi que pour les Caisses de la sécurité sociale de récupérer les quelque 55 milliards de DA qu'elles ont déposés au sein de cette banque privée, le chef du gouvernement a qualifié cette affaire “d'escroquerie” et de “catastrophe du siècle” en Algérie. Et si Abdelmoumen Khalifa, qui fait actuellement l'objet d'un mandat d'arrêt international, venait à parler ? En fait, la formidable expansion de ce groupe en l'espace de quelques années ainsi que sa chute brutale sont autant de zones d'ombre qu'il faudra un jour éclaircir. Qui sont-ils ceux ayant ordonné aux responsables des entreprises publiques ainsi qu'à d'autres structures, à l'exemple des OPGI, qui, elles, n'ont pas le droit de bloquer leurs liquidités dans un compte, de déposer leur argent chez El Khalifa Bank ? Pour quelle raison la Banque d'Algérie a décidé subitement de bloquer les opérations extérieures d'El Khalifa ? La mauvaise gestion, la fuite d'importants capitaux vers l'étranger ou les pressions politiques liées à la campagne pour la présidentielle de 2004 ? Qui sont ceux, dans les rouages de l'état et en dehors, qui ont profité gracieusement des master-cards, des véhicules de luxe, des prêts non remboursables et d'autres avantages au moment où Khalifa était en pleine expansion ? Comment est-ce possible que des ministères demandent par le biais de lettre officielle à Khalifa de payer le cachet d'artistes étrangers qui vont se produire en Algérie et comment se fait-il que des lignes non rentables soient ouvertes par la compagnie aérienne à la demande de hauts responsables de l'état pour satisfaire les besoins d'affaires personnelles avec des opérateurs étrangers, si, au départ, il n'y avait pas une réelle complicité ? Si l'ex-PDG du groupe devait un jour parler — et il le doit d'abord pour les centaines de jeunes qui ont été sacrifiés sur l'autel de la gabegie, et ensuite pour que les Algériens sachent la vérité, toute la vérité sur cette affaire —, la justice aura véritablement du pain sur la planche. SALIM TAMANI