Le ministre français de l'Intérieur, Manuel Valls, entame aujourd'hui une visite à Alger, dans le cadre de la préparation de la venue, en décembre prochain, de François Hollande. Dans cet entretien, il évoque notamment la place de l'islam en France, mais aussi “un problème de radicalisation" face auquel Alger et Paris, estime-t-il, doivent “construire une politique commune", non sans rappeler sa détermination à combattre, dans son pays, tout extrémisme et toute pratique qui ne seraient pas en accord avec les valeurs de la République. Liberté : C'est votre première visite en Algérie en tant que ministre de l'Intérieur. Quelles sont les raisons de votre venue ? Manuel Valls : Je connais bien et j'aime l'Algérie. Je suis heureux et fier d'y revenir en tant que ministre de l'Intérieur de la République française. L'Algérie et la France sont des pays amis. Les liens qu'ils entretiennent sont nombreux et riches. L'Algérie est un de nos plus grands partenaires et nous avons des relations intenses faites de confiance et de réciprocité. Ma visite, comme celle de Laurent Fabius en juillet, s'inscrit dans le cadre de la préparation de la venue prochaine, début décembre, du président de la République François Hollande. La France se plaint aujourd'hui d'une montée du salafisme, inconnu sur son territoire il y a vingt ans. Peut-on dire que la gauche a eu tort d'accueillir les islamistes arrivés massivement quand l'Algérie a arrêté les élections qui allaient porter le FIS au pouvoir ? C'est ce que je peux et dois faire maintenant qui m'intéresse. On ne fait pas de politique avec des “si". Les questions sur ce qu'on aurait dû faire ou ne pas faire il y a 20 ans n'offrent pas de solution. Il y a un problème de radicalisation. La France et l'Algérie partagent les mêmes analyses et les mêmes objectifs en la matière, et c'est sur ce socle que nous devons construire une politique commune. Quelle est la stratégie de votre gouvernement pour contenir l'influence des salafistes dans les banlieues ? J'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, notamment lors de l'inauguration récente des Grandes mosquées de Cergy et de Strasbourg : l'islam de France a toute sa place en France. Il appartient aux musulmans de France de décider de son organisation au sein de nos institutions républicaines. Le gouvernement entend favoriser un financement de nouveaux lieux de culte par les musulmans de France. Il convient, également, de former des imams en France, qui parlent français, connaissent la France et ses institutions, de sorte que les messages adressés aux fidèles soient en accord avec les valeurs de la République. Ensuite, et j'ai été très clair, je n'hésiterai pas, comme la loi me le permet, à expulser les ressortissants étrangers qui représentent un danger. Je serai intraitable, quelle que soit l'origine de leur extrémisme. Le CFCM, qui est l'instance représentative des musulmans de France, est paralysé, déserté par deux importantes fédérations. Faut-il le dissoudre et créer de nouvelles instances ou seulement le relancer ? L'intérêt des musulmans de France est de disposer d'une instance représentative capable de porter leur voix et de participer au dialogue avec les pouvoirs publics sur les questions relatives à l'exercice du culte. Je ne me vois pas contraindre les fédérations à signer un accord contre leur gré. J'entends cependant avancer rapidement sur les questions essentielles que sont, je le répète, la formation des imams, les modalités de financement des lieux de culte ou encore le rôle de la fondation pour les œuvres de l'islam de France. Quel rôle souhaitez-vous pour la Grande-Mosquée de Paris qui fut le symbole de l'islam de France du fait de son rôle historique qui s'est cependant affaibli, puisque la France compte aujourd'hui 2 000 mosquées et salles de prière ? La Grande-Mosquée de Paris appartient au patrimoine de la capitale. Elle conserve une place éminente dans un pays qui est pluriel et diversifié et dont l'islam est, lui aussi, pluriel et diversifié. Le rôle d'une institution telle que la Grande-Mosquée de Paris n'est pas qu'historique. Il est également moral et politique, et il se mesurera à sa capacité à entraîner, à fédérer, à construire autour de lui. Quel est l'état de la coopération antiterroriste entre les deux pays ? La France et l'Algérie savent travailler ensemble. La coopération est véritablement excellente. L'information circule, nos responsables se connaissent et leurs relations sont quotidiennes. Je veux saluer l'engagement sans faille des autorités algériennes. Elles peuvent compter sur mon propre soutien. L'accord bilatéral de 1968 fait l'objet de négociations en vue d'un nouvel avenant qui semblent ne pas avancer depuis trois ans. Quels sont les obstacles ? L'accord de 1968 qui, je le rappelle, régit essentiellement l'établissement des ressortissants algériens en France est particulier. Il offre, et c'est légitime, une situation très privilégiée aux Algériens pour leur séjour en France sur certains aspects, et notamment l'immigration familiale. De l'autre côté, comme seul cet accord est applicable aux Algériens, le bénéfice de certains dispositifs liés à l'immigration professionnelle – je pense, par exemple, à la carte compétence et talent –, introduits postérieurement par la loi française, ne leur sont pas applicables. L'Algérie, je la comprends, voudrait conserver les avantages de l'accord de 1968 tout en bénéficiant des dispositions du droit commun français plus favorables. La France, pour sa part, était prête à certaines avancées, mais en revenant sur quelques dispositions de l'accord de 1968. Elle a, par ailleurs, le souci de faciliter la situation des Français vivant en Algérie et souhaite donc que certaines questions plus larges que l'accord de 1968 soient abordées. Les discussions entreprises depuis trois ans, à mon sens, n'ont pas été inutiles. Je crois qu'elles nous ont permis de mesurer ce que nous voulons les uns et les autres. Nous devons continuer à discuter, dans un climat amical et serein. En raison de liens historiques, les Algériens forment la première communauté immigrée en France. En outre, les échanges économiques entre les deux pays sont très importants. Comprenez-vous le souci du gouvernement algérien de ne pas vouloir s'aligner sur le droit commun ? Bien entendu, je le comprends. Comme j'espère que nos amis algériens comprennent nos positions. Je suis sûr que nous pouvons faire des progrès réciproques, en dehors de l'accord de 1968, en ce qui concerne la circulation entre les deux pays. Quelles sont les demandes de la France pour ses ressortissants dans le cadre de cette négociation ? Nous avons un certain nombre de demandes visant à faciliter la venue des Français en Algérie. D'autres portent sur une question difficile, celle des déplacements illicites d'enfants de couples franco-algériens. Enfin, certaines questions se posent en matière de propriété pour les Français qui sont restés en Algérie après 1962. Je suis, là encore, convaincu que nous réussirons à les régler par le dialogue et la discussion. Avant le rétablissement du visa de circulation, il n'y avait pas de sans-papiers algériens en France. Ne pensez-vous pas que sa suppression est de nature à faire baisser l'immigration clandestine en France ? Je mesure parfaitement l'importance des visas pour les Algériens. Comme vous le savez, ils ont été instaurés à un moment où la situation sécuritaire en France les rendait nécessaire. Aujourd'hui, l'obligation de visas pour les ressortissants algériens est imposée par l'Union européenne. Cette politique est décidée en commun par les Etats membres de l'Union, sur proposition de la Commission européenne. Cela étant, la situation des visas est loin d'être négative. Nous avons fait des progrès importants pour qu'ils soient délivrés plus vite, plus simplement et dans des conditions d'accueil qui sont désormais très satisfaisantes. Le nombre de visas délivrés ces dernières années a augmenté dans des proportions importantes. Ainsi, en 2010, 138 000 visas ont été délivrés. En 2011, le nombre est passé à 165 000. En 2012, ce chiffre devrait augmenter encore. Au total, plus de 80% des demandes de visa connaissent une issue favorable. Et, par ailleurs, le nombre de visas à entrées multiples, qui facilitent grandement la vie à leur bénéficiaire, s'élève à près de 50 000. Pour autant, je suis disposé à discuter de ces questions dans un esprit constructif. A. O.