On a toujours envie de savoir ce qui trotte dans la tête d'un écrivain. Est-ce que l'écriture est une succession de hasard et de coïncidences, ou alors un travail mûrement réfléchi ? C'est peut être les deux. C'est certainement les deux. Mais le plus impressionnant est de constater la cohérence d'une œuvre, contraster avec le désordre intérieur d'un écrivain. Samir Kacimi propose l'archéologie de la création, dans un roman remarquable. Il est des situations ou des pratiques dans la vie qui, simultanément, vous remplissent de bonheur et vous donnent un sentiment de vide. Ces situations trouvent leur parfaite expression dans le processus, long et pénible, de la création. Mais lorsque le créateur atteint cet état d'enchantement et de vide, de ravissement, de bonheur extrême, pourra-t-il revenir à son état initial ? Réussira-t-il à reprendre le court de son existence après avoir produit l'œuvre de sa vie ? Et s'il a produit l'œuvre de sa vie parviendra-t-il à créer encore ? L'inspiration restera ou disparaîtra-t-elle ? Et dans le cas où elle disparaîtrait ne faudrait-il pas tirer sa révérence ? La création a-t-elle des limites ? Conduit-elle inéluctablement vers la mort (dans un sens plus large qui impliquerait dans ce cas précis recommencement) ? Cette multitude d'interrogations, qui suscitent autant de commentaires, sont posées et développées, dans une remarquable œuvre de fiction. Paru en septembre 2012 aux éditions El Ikhtilef, le roman dense et complexe, «El-Halem» (le rêveur), de Samir Kacimi, fait voler en éclats toutes nos certitudes. L'auteur va plus loin encore, en proposant un roman sur le désordre intérieur d'un écrivain en quête de sens, dans un monde qui en est, bien souvent, dépourvu. «El-Halem» est l'histoire de Samir Kacimi (une mise en abyme où l'auteur se met lui-même en scène, mais on finira bien plus tard par comprendre la mascarade de cet exercice) qui a écrit le même roman qu'une personne internée dans un hôpital psychiatrique. Non ! «El-Halem» c'est l'histoire de Réda Khebbad, un infirmer dans un hôpital psychiatrique qui a écrit le même manuscrit qu'un certain Rimas Imissak (anagramme de Samir Kacimi), et qui essaie de se justifier face à une journaliste après avoir été accusé de plagiat. Rimas Imissak, quant à lui, est un écrivain de renommée, arrogant et en panne d'inspiration depuis quatre ans, après 34 années d'une brillante et grande carrière couronnée par un dernier livre (écrit quatre années auparavant) intitulé «Thalatoun» (trente). Non ! «El-Halem» c'est l'histoire d'écrivain qui n'arrive plus à créer, qui n'arrive plus à donner du sens à sa vie parce qu'il ne lui trouve plus aucun sens, après le décès de sa femme et le départ de sa fille. Plus l'inspiration ne vient pas, et plus son état de santé se dégrade. Mais Rimas Imissak ne va pas vers la mort, mais plutôt vers une disparition. Non ! «El-Halem», c'est tout cela. Samir Kacimi joue avec les certitudes du lecteur, avec son confort de lecteur. Avec des récits enchâssés, des mises en abyme, des clins d'œil artistiques et littéraires (notamment à Paul Auster), Samir Kacimi, écrivain plus accompli que jamais dans ce cinquième roman, propose une construction romanesque complexe. A la manière des écrivains postmodernes américains, il (s') interroge sur le rapport fiction/monde réel, l'identité d'un créateur (double mouvement à soi et à l'autre. L'autre étant la société dans laquelle il évolue). Il questionne également l'art, en utilisant ses différentes déclinaisons, pour trouver un sens à la fiction et à l'art de manière générale. En toute humilité, Samir Kacimi écrit le désordre, l'archéologie de l'écriture, et interroge la création pour trouver un sens à son existence en tant que créateur. Le hasard, les coïncidences, la contingence sont les procédés qu'il utilise pour dire la condition humaine et sa condition d'écrivain, ouvert sur le monde, sur les autres arts, et proche des questions relatives à l'homme. Rien n'est banal ou insignifiant dans le roman, «El-Halem», qui rehausse le rêve, l'illusion romanesque et la fiction au rang de baromètre de la condition humaine. S.K