Un vieux contentieux oppose l'armée égyptienne aux Frères musulmans Il y a 60 ans, le 23 juillet 1952, les officiers libres égyptiens chassaient le roi Farouk. Entre Nasser et les Frères musulmans s'engagea alors une lutte sans merci qui finit par l'exécution de Sayed El Qotb. A l'époque, le président Boumediene avait même dépêché au Caire, Abdelaziz Bouteflika, son ministre des Affaires étrangères, pour arracher sa grâce...sans résultat. Le nouveau pouvoir égyptien des Frères musulmans, celui de Mohamed Morsi, acceptera-t-il demain de célébrer le 60e anniversaire de la Révolution égyptienne, celle du 23 Juillet 1952? Son geste, s'il a lieu, selon les observateurs, serait perçu, à coup sûr, comme celui d'une réelle volonté de réconciliation avec tous les Egyptiens. Le président égyptien, Mohamed Morsi sera confronté dès ce lundi à un test décisif qui nécessite du courage idéologique, de la clairvoyance politique et de la volonté pour contrer la vague de contre-révolution dont les frémissements sont perceptibles sur le bord du Nil. Le 23 juillet 1952, une élite de l'armée égyptienne a opéré un coup d'Etat qui renversa le roi Farouk. Un système révolutionnaire s'est instauré, présidé par le général Naguib, un haut gradé qui n'a pas participé à la préparation du coup d'Etat mais qui a été choisi par le véritable chef des officiers libres, pour son âge, sa conduite exemplaire et ses sacrifices durant la guerre de Palestine. Le lieutenant-colonel Gamal Abdel Nasser tirait les ficelles. Il présenta aux Egyptiens un projet de société qui transforme le coup d'Etat en une «révolution blanche», selon la terminologie utilisée à l'époque. Le nouveau régime a dissous les partis politiques, mais il a laissé au mouvement des Frères musulmans le champ libre pour mener son activité dans la légalité, étant considéré comme une association socioculturelle. L'arrogance, la précipitation et la naïveté politique poussent les «frérots» à un conflit direct avec Nasser, qui n'était pas né de la dernière pluie. C'était une lutte acharnée pour le pouvoir dans laquelle le général Naguib a été impliqué par les frérots, qui l'ont monté contre Nasser. Puis, à la fin, la situation a tourné au vinaigre quand un disciple des FM a tenté d'assassiner l'homme fort du nouveau régime. Les huit coups de feu tirés à Alexandrie, en juillet 1954, ont avorté la lune de miel entre le Commandement des officiers libres et les Frères musulmans. Leur association a été dissoute et ils ont subi une persécution sans précédent. Au cours de leur traversée du désert, certains de leurs dirigeants ont trouvé refuge dans les pays du Golfe, encouragés par des émirs qui ne portaient pas Nasser dans leur coeur. Mais ceux qui ont choisi de rester en Egypte ont continué leur lutte contre le régime. Les membres de leur nouvelle direction ont été arrêtés et leur guide, l'idéologue islamique Sayed Qotb, a été condamné à mort. Le président algérien Houari Boumediene, grand connaisseur de la culture arabo-musulmane, appréciait le grand écrivain Sayed El Qotb connu surtout par son livre «Fi Zilal El Quoraän» (Sous l'égide du Coran) en six tomes. Boumediene était réfractaire à l'effusion du sang, peut-être comme séquelles à l'exécution du colonel Chaâbani décidée par Ben Bella qui lui restait au travers de la gorge bien qu'il n'était pas chef de l'Etat. C'est ainsi que «Moustache» comme l'appelaient les anciens de l'EMG, a dépêché au Caire son ministre Abdelaziz Bouteflika, pour demander à Nasser de ne pas exécuter le savant. Il était persuadé que c'est la persécution qui a poussé Qotb à suivre la pensée du Pakistanais, El Maoudodi, connu par son radicalisme. Mais la réponse du président Nasser a été un refus très poli mais ferme disant qu'«un Etat qui se respecte ne pardonne jamais à ceux qui lèvent l'arme contre lui». C'est ainsi que l'histoire entre les Frères musulmans et le régime égyptien était une série macabre faite de tortures, de persécution, et d'effusions de sang. Les relations entre les deux partis a été caractérisée par la haine viscérale et la méfiance totale. Le président Sadate a essayé d'utiliser les islamisants (je n'ai pas dit...islamistes) comme bouclier contre la gauche égyptienne, et précisément les nasséristes, mais ça n'a pas marché, et c'est la fin tragique d'octobre 1981, où Sadate a été assassiné par des officiers de tendance, dit-on, islamique. Les dernières élections étaient un dilemme pour une bonne majorité du peuple égyptien. Le courant islamique n'était pas, à lui seul, capable de faire réussir Morsi, qui a arraché une victoire maigre sur le général Chafiq grâce aux électeurs qui craignaient l'instauration d'un moubarkisme sans Moubarak. Cette tranche de la population est constituée par un ensemble de jeunes sans appartenance politique, des intellectuels de tout bord, des citoyens touchés par la crise qu'a connue le pays avec l'ancien régime, et un pourcentage important de victimes des événements du 25 janvier. Tout ce monde est de sensibilité nassériste, qui voit toujours en Gamal Abd Nasser le symbole d'une Egypte qui appartient aux pauvres, qui symbolise le progrès et qui sauvegarde les intérêts nationaux. Il s'est avéré que cette majorité silencieuse n'a pas la chance d'avoir à sa tête une direction clairvoyante, crédible et habituée aux arcanes politiques. C'est à Morsi de récupérer cette masse populaire pour qu'il ne reste pas prisonnier des caciques des islamisants. Pas encore partisans d'un islam pur et dur. Ceux qui espéraient trouver en Morsi l'incarnation d'un nouveau président, discret, peu charismatique, mais courageux et pragmatique, attendent de lui un geste intelligent qui inaugure une réconciliation historique entre le courant islamique et le courant nationaliste. Cela renforcerait la base politique du nouveau président. Un éventail de choix est probable. Se recueillir au mausolée de Nasser le 23 juillet, ou bien, prononcer le jour même un discours bien nuancé dans lequel Morsi rendrait hommage au patriotisme du Raïs, sans être dans l'obligation d'approuver tout son parcours. Certains estiment que le président pouvait choisir l'approche sociale, en recevant Houda, fille aînée de Nasser, et son fils cadet, Abdel Hakim, mais cette hypothèse sera conditionnée par l'accueil de la famille, que j'estime plus intelligent que le porte-parole du nassérisme, Hamdine Sabbahi. Les dinosaures de «frérots» ne seront pas satisfaits, mais la nouvelle génération des islamistes, qui a rejoint le mouvement révolutionnaire tout au début contre l'avis des anciens, verront dans un geste pareil un véritable coup de maître de Morsi qui minimise l'effet de la contre-révolution. Les dirigeants de la gauche, qui n'ont aucune base populaire, resteront toujours les maîtres de la rhétorique car ils n'ont pas appris à prendre le train au moment opportun. Est-ce que Morsi saisirait-il l'occasion qui ne se répétera jamais?