Dans cette contribution, ce spécialiste des questions énérgétique dresse un état du potentiel des ressources d'hydrocarbures non conventionnelles en Algérie et dans le monde et esquisse les enjeux qui renvoient beaucoup à une vision globale du développement de nos ressources fossiles. Une telle question a suscité la polémique entre experts et décideurs en 2012 en Algérie. En 2012, la question énergétique a fait une irruption remarquée sur le devant de la scène, à travers la très controversée problématique de l'exploitation des gaz de schiste. Pour une fois affranchies de l'hégémonie ombrageuse et somme toute abstraite et stérile de la thématique “rentière" et de “la malédiction des ressources", les perspectives de redéploiement de ce domaine vital de l'économie algérienne vont se décliner, pour reprendre la terminologie managériale consacrée, en termes à la fois de défis, de menaces et d'opportunités, que pose aujourd'hui la valorisation de cette ressource-clé pour le développement national. Elles mettent en lumière le besoin impérieux d'une vision globale qui prend en considération non seulement les aspects économiques et financiers et l'horizon court et moyen terme mais aussi les aspects développement durable et l'horizon moyen et long terme. Comment assurer la pérennité du rôle des ressources hydrocarbures en tant que source d'accumulation pour financer le développement national et de source d'approvisionnement énergétique national à long terme dans un contexte d'inflexions majeures des choix énergétiques à l'échelle mondiale. Outre la tendance au désengagement du nucléaire consécutif à la catastrophe de Fukushima, on assiste à l'amorce d'un tournant vers les hydrocarbures non conventionnels attesté par le développement spectaculaire, ces quatre dernières années, de l'exploitation des gaz de schiste aux Etats-Unis. Ces gaz, intimement liés à la roche mère, en très grande profondeur, étaient inexploitables mais deux innovations techniques ont transformé les données du problème : le forage horizontal et la fracturation hydraulique des roches, et, dès les années 1998 la production a commencé. Les réserves mondiales de gaz de schistes représenteraient près de 900 000 milliards de mètres cubes, selon l'Institut français du pétrole, plus de quatre fois les ressources de gaz conventionnel. Selon un classement partiel (il ne comprend pas notamment, la Russie, l'Iran et les pays du Proche-Orient) établi par ARI (Advanced Resources International, Inc.) pour le compte de l'AIE, l'Algérie détiendrait 3% environ des réserves mondiales, occupant le neuvième rang mondial avant le Brésil, la 1ère place revenant à la République populaire de Chine qui devance largement les Etats-Unis. Des pays dépendants (et pour certains très, voire totalement dépendants) de l'importation de gaz naturel et dont les réserves estimées de gaz de schistes sont importantes par rapport à leur consommation propre de gaz naturel figurent dans ce lot. Il s'agit, par ordre décroissant de niveau de réserves, des pays suivants : Chine, Etats-Unis, Argentine, Mexique, Afrique du Sud, Brésil, France, Pologne, Chili, Ukraine, Turquie, Maroc. En perspective, donc, la mise en valeur d'énormes réserves de pétrole et de gaz, en particulier dans les pays aujourd'hui gros importateurs d'énergie, qui augure d'un bouleversement d'envergure de la donne énergétique mondiale. Ainsi, selon les estimations de l'AIE, les Etats-Unis pourraient même devenir le 1er producteur mondial de gaz en 2015 devant la Russie.et le premier producteur de pétrole de la planète vers 2017, devançant même l'Arabie Saoudite ! En même temps, l'émergence et la montée en puissance de nouveaux acteurs gaziers accroissent fortement la concurrence internationale sur les marchés notamment sur les débouchés traditionnels de Sonatrach. Des mutations qui préfigurent un remodelage à très moyen terme, tant de la structure de la demande que de celle de l'offre énergétique. Fait significatif de cette évolution, l'Agence internationale de l'énergie(AIE) vient d'intégrer dans son rapport le pétrole et le gaz de schistes à ses prévisions. Cependant, ces lignes d'évolution aux apparences de fondamentaux incontestables masquent des enjeux controversés et des préoccupations contradictoires. Au souci de l'indépendance et de la sécurité de l'approvisionnement énergétiques qui pousse à une course effrénée et grosse de périls écologiques et humanitaires pour s'approprier les ressources énergétiques de la planète, s'oppose la préoccupation de plus en plus largement partagée de protéger et de préserver l'environnement en optant pour les énergies propres et renouvelables. Ainsi, compte tenu des dégâts sur l'environnement qu'elle engendre, la question de l'opportunité de l'exploitation des gaz de schistes ne fait pas l'unanimité. Des Etats comme le Québec ou la France, par exemple, y sont pour l'instant, très réticents. Cette nouvelle industrie consiste à injecter sous pression des millions de litres d'eau chargés de produits chimiques pour créer de petites fissures sur la roche-mère et libérer le gaz(ou le pétrole) qu'elle contient. C'est cette technique de forage qui concentre l'essentiel des critiques qui mettent en cause l'utilisation de quantités énormes d'eau(des milliers de tonnes pour chaque fracturation), le risque de polluer les nappes phréatiques par les produits chimiques toxiques, dont du méthanol, de l'éthylène glycol ou de l'acide sulfurique, qui sont mélangés à l'eau injectée dans les couches de schistes, le méthane qui, libéré par la fracturation hydraulique(3,6 à 7,9% de la production, selon les chercheurs) remonte vers la surface en s'échappant à travers les fissures rocheuses pour atteindre la nappe phréatique, puis l'air libre. D'autre part, l'option pour les gaz de schistes contredit les politiques proclamées visant à privilégier un avenir énergétique “décarbonné". On le voit, les questions pétrolières (et gazières) sont loin d'être seulement une affaire technique et de paris d'experts. Comme le souligne un spécialiste du domaine, “la compétence spécialisée d'un joueur ne garantit pas l'issue de la partie, mais ses hypothèses et supputations et les choix qui en découlent, engagent, en revanche, le sort de la société entière". En Algérie aussi, la question de l'exploitation des gaz de schistes provoque des points de vue contradictoires. Nombreux, dans l'opinion publique, sont ceux qui expriment leurs craintes des risques que fait peser cette exploitation sur l'environnement et sur l'intégrité des ressources aquifères de l'Albien. Pourquoi recourir à cette source d'énergie très problématique en termes de coûts de fracturation hydraulique et de forage horizontal, de consommation d'eau, de risques et de menaces pour l'environnement ? De plus, l'exploitation des gaz de schistes est plus exigeante sur le plan technologique, plus coûteuse financièrement et plus compliquée d'une manière générale, que celle des hydrocarbures traditionnels. De nombreux spécialistes, sans compter les écologistes, ont appelé à un moratoire sur cette opération très risquée et trop anticipée. Deux grandes inconnues n'ont pas été résolues : les réserves dont dispose l'Algérie, difficiles à estimer en l'absence de forages, et l'impact sur les ressources en eau et l'environnement, inévitable en utilisant le seul procédé existant actuellement, la fracturation hydraulique. Tout récemment, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, déclarait que l'exploitation du gaz de schistes en Algérie relève du très long terme, citant même l'échéance de 2040, tout en considérant que cette exploitation pouvait se faire de manière propre. D'anciens responsables de Sonatrach estiment également que les conséquences “indéniables" sur l'environnement des gaz de schistes sont “gérables". Il s'agit de promouvoir une démarche de “diversification des sources d'énergies où cohabitent les hydrocarbures conventionnels et non-conventionnels ainsi que les énergies renouvelables notamment solaire". Quoi qu'il en soit, l'irruption, sur la scène médiatique nationale, de la question de l'opportunité d'exploiter les gaz de schistes a permis de projeter au grand jour la nature des contraintes qui pèsent sur le développement du secteur de l'énergie dans le pays et la problématique cruciale des choix qui détermineront son profil dans le futur. Au cœur de cette problématique, la difficile équation de “l'équilibre entre notre consommation croissante, le besoin des ressources financières de l'exportation, et les besoins des générations futures", comme l'a pertinemment résumée l'ancien P-DG de Sonatrach Abdelmadjid Attar qui estime qu'au rythme actuel, “l'Algérie ne pourra presque plus rien exporter dans 25 à 30 ans, à moins que la Sonatrach ne nous surprenne avec de nouvelles découvertes susceptibles de reporter cette échéance". Une approche nouvelle globale, qualitativement supérieure de la question énergétique dans notre pays et qui ne s'épuiserait pas dans les seuls impératifs de découvrir plus, d'extraire plus, d'exporter plus, d'investir plus, peine encore à se frayer un chemin. Pourquoi une valorisation d'une source d'énergie fossile réputée risquée, au prix d'investissements colossaux, et avec, de surcroît, une implication dérisoire de l'outil productif national, pour, au final, produire des surplus financiers qui seront immobilisés dans des placements financiers, en bons du Trésor américain à rendements bas et négatifs, à dollars constants ou aspirés par des programmes d'infrastructures dont la composante devises dépasse 70%? Plus fondamentalement, il y a nécessité d'inscrire les perspectives du secteur des hydrocarbures dans une vision globale et de long terme qui intègre tous les domaines d'activité et tous les aspects du développement national. N'est-il pas temps de passer de la vision de Sonatrach “machine à fabriquer de l'argent" à celle de locomotive qui entraîne tout le train du développement du pays ? Comment intégrer le critère des effets d'entraînement sur les autres secteurs économiques, du contenu en emplois nationaux, des retombées en termes de développement du potentiel scientifique et d'innovation national, d'intégration des PME-PMI. C'est aussi du modèle énergétique national qu'il est question : l'Algérie peut-elle continuer à faire des choix énergivores pour répondre à ses besoins industriels et domestiques raisonnables et la maîtrise de la demande d'énergie relève-t-elle de la seule tarification ? En définitive et comme le fait constater à juste titre un spécialiste averti des problèmes énergétiques, les gaz de schistes font partie d'une problématique globale qui est celle d'un «cap pour le futur». A. R. (*) Economiste de formation, ancien cadre supérieur du secteur de l'énergie, chercheur indépendant et auteur des ouvrages : notamment Economie algérienne : le dévelopement national contrarié (2012), Sonatrach, une entreprise pas comme les autres (2006).