Après la Côte d'Ivoire, la Libye, le Mali et maintenant la Syrie, la question de la légitimité de certains états à intervenir militairement se pose avec beaucoup plus d'acuité au plan international. “L'intervention d'humanité" Au XIXe siècle, il existait déjà “l'intervention d'humanité", par exemple pour venir en aide aux chrétiens du Liban en 1860. Mais en 1939, nous ne sommes pas intervenus contre Hitler alors que nous savions ce qu'il projetait d'abominable. Récemment, le Tribunal pénal International (TPI) a été créé pour le Rwanda et la Yougoslavie. Le “droit d'ingérence" des French doctors prétendait intervenir partout où il y avait des victimes, même sans mandat, notamment lors de la guerre du Biafra. Les guerres qui s'annoncent seront de plus en plus à prétention morale. Mais, il faut faire attention, car “les guerres à prétention morale ont l'apparence de guerres justes, alors qu'elles peuvent entraîner des conséquences dramatiques". Aujourd'hui, contrairement au temps de St Thomas d'Aquin, eu égard à la doctrine de la “guerre juste", il ne suffit plus de défendre une bonne cause pour avoir le droit et le bien avec soi. La guerre juste Selon le philosophe américain Michael Walzer, “les guerres justes sont des guerres limitées, menées conformément à un ensemble de règles destinées à éliminer, autant que faire se peut, l'usage de la violence et de la contrainte à l'encontre des populations non combattantes". Elles doivent donc être envisagées comme le dernier recours possible, de façon proportionnée, en vue de désarmer un agresseur et de rétablir la paix, conformément au souhait de la guerre civile, sans usurper le droit à la souveraineté de celui-ci une fois la guerre terminée. En fait, selon lui, trois questions doivent être posées : -L'entrée en guerre est-elle juste ? -La guerre est-elle conduite de manière juste ? -Et l'issue du conflit est-elle juste ? (sort des forces occupantes, reconstruction de l'autorité politique après la guerre) . Rappelons-nous, sous le mandat de Koffi Annan, l'ONU, pour sortir du dilemme du “droit d'ingérence", a évoqué un “droit de protéger". Le devoir d'ingérence est décidé au niveau de la communauté internationale De nos jours, l'intervention militaire doit être décidée à l'ONU par le Conseil de sécurité au nom de la communauté internationale et, depuis, notamment, la deuxième guerre d'Irak, défendre la démocratie ou combattre la tyrannie ne suffisent plus à légitimer une intervention militaire dans un Etat souverain (droit à l'autodétermination), intervention qui pourrait aggraver les souffrances des peuples concernés. Une souveraineté des Etats conditionnelle Nous partageons l'avis de ceux qui proposent de faire du respect et de la protection de la vie des personnes un principe de justice internationale à part entière. Leur théorie consiste à rendre la souveraineté des Etats conditionnelle. Selon ces derniers, les Etats sont légitimes que s'ils protègent adéquatement les droits de l'homme et cette protection conditionne le droit à l'autodétermination de chacun des Etats. Le cas de la Syrie En Côte d'Ivoire et en Libye, le mot ingérence n'a pas été utilisé et a été remplacée par la “responsabilité de protéger la population". L'ONU n'était pas intervenue lors du génocide rwandais en 1994, ou à l'impossibilité à obtenir un mandat de la communauté internationale afin de protéger les civils lors de la guerre au Kosovo en 1999. Le Conseil de sécurité des Nations unies a en effet rappelé le devoir qui incombe désormais aux autorités de chaque pays de “protéger ses populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité". L'expression “responsabilité de protéger" est née en 2001 dans le rapport Evans-Sahnoun rédigé à l'initiative du Canada. L'ONU approuve ce rapport en 2005 et en adopte définitivement la mise en œuvre le 12 juin 2009. En septembre 2005, le sommet mondial des Nations unies a adopté un document “sur la responsabilité de protéger lorsqu'un Etat se montre incapable ou non désireux de protéger sa population face aux crimes les plus graves". La première application de ce principe a été fait en Libye. Le problème de l'intervention militaire ou pas en Syrie intervient chronologiquement juste après le vote par l'ONU de la résolution 1973 et de l'intervention militaire de certains pays occidentaux et de certains pays membres de la Ligue arabe (la zone d'exclusion aérienne a aidé en fait au renversement du pouvoir, alors que ce n'était pas le mandat de l'ONU que de renverser le président Khadafi). La Russie, outre ses intérêts géopolitiques bien compris, se rappelle l'intervention de l'Otan au Kosovo en 1999 et fait barrage, avec la Chine, contre toute résolution visant, de près ou de loin, à une intervention militaire en Syrie. Ne nous leurrons pas, les Etats, même s'ils invoquent des motifs humanitaires, interviennent d'abord par intérêt, et cela n'est pas près de changer, et donc la question que les Etats se posent n'est pas faut-il intervenir ou pas, mais l'intervention est-elle préférable à la non-intervention? Nous en sommes toujours, comme Raymond Aron le disait au niveau des Etats et de la Communauté internationale, “ce n'est jamais la lutte entre le bien et le mal, c'est le préférable contre le détestable" qui compte et qui est pris en considération pour la décision d'intervention militaire. Dans ces conditions, nous devons intervenir face aux massacres des civils et ne plus nous contenter de phrases creuses. La guerre d'Espagne doit rester dans nos esprits, nous Occidentaux, pour nous motiver à intervenir en Syrie et nous rappeler ce qui peut nous arriver quand on laisse faire. Michel Fourriques Enseignant chercheur associé Sciences Po Aix (France) Professeur à l'ESAA (Algérie) V. “Guerres justes et injustes, Argumentation morale avec exemples historiques", éd. Belin, 1999 ; “De la guerre et du terrorisme", éd. Bayard, 2004. “A Liberal theory of internationa justice", A. Altman et C. Heath Wellman, Oxford Unviversity Press, 2011. J.-B. “Jeangène Vilmer, la guerre au nom de l'humanité, Tuer ou laisser mourir", éd. PUF, 2012.