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Une avancée importante (décisive ?) des droits de l'homme
REFORME DE L'ONU
Publié dans El Watan le 09 - 04 - 2006

Le Sommet mondial (14-16 septembre 2005), qui a ouvert la 60e session de l'Assemblée générale, devait être celui d'une réforme globale de l'ONU basée sur des recommandations faites par le Secrétaire général dans son rapport de mars 2005, intitulé « Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et droits de l'homme ».
Un triptyque qui place la question des droits de l'homme parmi les activités prioritaires de l'organisation. La question de l'élargissement (avorté) du Conseil de sécurité a éclipsé tous les autres aspects de la réforme, mais les droits de l'homme ont enregistré une avancée importante, sinon décisive, limitant encore davantage la souveraineté des Etats. En effet, une semaine avant l'ouverture du sommet, le président de l'Assemblée générale a mis en place un comité de 33 pays pour mener des discussions sur sept points importants de la réforme de l'ONU dont trois concernent directement la consolidation institutionnelle et conceptuelle des droits de l'homme : Conseil des droits de l'homme, responsabilité de protéger, commission pour la consolidation de la paix. A la séance d'ouverture du sommet, le Secrétaire général a insisté sur ces points qui furent entérinés par les Chefs d'Etat et de gouvernement.
Conseil des droits de l'homme
Le Conseil des droits de l'homme, organe subsidiaire de l'Assemblée générale, remplacera la Commission des droits de l'homme, le 19 juin prochain. Cette dernière a été créée en 1946, au lendemain des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, en tant que commission fonctionnelle de l'Ecosoc pour promouvoir les droits de l'homme dans le monde. Depuis l'adoption de la Déclaration universelle (1948), qui a consacré les droits fondamentaux de toute personne humaine, cet organe a fait un remarquable travail de codification, étendu ses activités, développé son mandat et mis en place des mécanismes, malgré les aléas inhérents à la confrontation entre les blocs durant la guerre froide puis entre les pays occidentaux et ceux du Sud. Les droits de l'homme sont devenus peu à peu un ensemble de normes et de références reconnues, ne relevant plus du domaine de l'éthique, mais des droits contraignants. Depuis la Conférence de Vienne en 1993, l'ONU consacre ses efforts essentiellement à la mise en œuvre des normes existantes, à travers le Haut-Commissaire aux droits de l'homme, les organes conventionnels chargés de surveiller les Conventions auxquelles les Etats adhèrent en toute souveraineté et des organes non conventionnels comme les rapporteurs spéciaux ou les groupes de travail. Enfin, les ONG jouent un rôle important et leur influence s'est accrue depuis la fin des années 1970. Dès lors, était-il besoin de saborder la commission pour la remplacer par un conseil ? Selon ses détracteurs, elle était devenue inefficace et non crédible. Surtout, il faut le préciser, depuis que les Etats-Unis n'y ont pas été réélus pour participer en qualité de membre à la 59e session (2003) qui fut présidée, au nom de l'Afrique (règle de la rotation géographique), par l'ambassadeur de la Libye à Genève, Mme Najat Al Hadjaji. Cela provoqua l'ire des Occidentaux au motif que la Libye avait un triste palmarès dans le domaine des droits de l'homme et ne devait pas accéder à cet honneur. Le groupe africain refusa de reconsidérer sa décision. Passant outre les usages qui veulent que la candidature à la Présidence présentée par un groupe régional soit approuvée par les autres groupes régionaux, les Occidentaux demandèrent un vote (une première dans la longue histoire de la commission) dont le résultat fut favorable à la Libye. Cet incident est révélateur de l'atmosphère détestable qui caractérisait les travaux de la commission des droits de l'homme. Par la volonté des pays occidentaux, cet organe de concertation et de dialogue était devenu au fil des ans une arène de confrontation où certains poursuivaient des objectifs politiques sous le couvert d'intentions généreuses. Au lieu de créer un nouvel organe, il aurait suffi d'introduire quelques réformes dans les méthodes de travail de la commission et la mettre à l'abri d'une politisation excessive devenue, chez certains Etats membres, sa raison d'exister. Maintenant que la création du conseil a été décidée, la question est de savoir quels changements ont été introduits et s'ils seront suffisants pour que le nouvel organe soit crédible et efficace ? Ces changements sont essentiellement au nombre de trois :
1 La composition est plus restreinte puisqu'elle passe de 53 membres pour la commission à 47 pour le conseil. C'est le fruit d'un compromis entre ceux qui souhaitaient la création d'un organe restreint d'une vingtaine de membres et ceux qui proposaient une participation ouverte à tous les membres de l'ONU. Le dégraissage opéré n'est pas significatif, ne justifie pas le changement opéré et, comme tout compromis, il ne satisfait personne.
2 L'élection des membres du conseil n'a plus un caractère automatique. Elle est individuelle, soumise à des critères, comme l'engagement du candidat pour la promotion et le respect des droits de l'homme, et passe par un vote à la majorité absolue de l'Assemblée générale. Ces précautions risquent d'être vaines devant la contrainte du nombre et la solidarité régionale. Par contre, et c'est un changement important, la non-réélection immédiate d'un pays après deux mandats consécutifs au conseil permettra de mettre fin au monopole exercé par certaines puissances qui s'arrangeaient pour être membres permanents de la commission (lors des discussions sur la création du conseil, l'idée de réserver des sièges permanents aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité avait été rejetée).
3 Une autre nouveauté est le pouvoir donné à l'Assemblée générale de suspendre tout membre du conseil pour violation systématique des droits de l'homme. Cela n'est pas sérieux. D'une part, la notion de violation grave et systématique des droits de l'homme est vague et donc difficile à établir sauf dans certaines situations extrêmes comme ce fut le cas au Rwanda ou en Bosnie. (Il faut rappeler que la procédure spéciale de la commission a été rendue inopérante en raison du manque de clarté de la notion précitée). D'autre part, la suspension doit être obtenue par un vote à la majorité des deux tiers, lequel vote risque fort d'obéir à des motivations politiques. Pour ces deux raisons, la mise en application de cette disposition sera exceptionnelle et entachée de suspicion. La création du Conseil des droits de l'homme répond à la volonté de certaines puissances qui poursuivent des objectifs surtout politiques. Elle n'est pas une décision basée sur un bilan sérieux du travail fait par la Commission des droits de l'homme. Il y a donc risque de jeter le bébé avec l'eau du bain car, malgré les précautions prises dans la résolution portant création du Conseil pour corriger les lacunes et faire de ce mécanisme un instrument efficace et crédible, la partie est loin d'être gagnée. Le nouvel organe n'est pas à l'abri des maux dont la commission a souffert : politisation excessive par certains Etats qui en ont fait un instrument de politique étrangère, pratique de deux poids, deux mesures, sélectivité, non-respect des différences culturelles, civilisationnelles et religieuses, non-respect des principes d'universalité, d'impartialité et d'objectivité, entre autres. L'un des défis que le conseil aura à affronter consiste à concilier les positions de ceux, pays occidentaux en général, qui voient dans les droits de l'homme des valeurs universelles s'imposant à tous et ceux qui invoquent certaines particularités incontournables. Par ailleurs, ce nouvel organe est né avec un handicap dans la mesure où la résolution portant sa création n'a pas été adoptée à l'unanimité des Etats membres de l'ONU, mais passé au vote à la demande de la délégation américaine. Celle-ci défendait un point extrême qui, s'il avait prévalu, aurait fermé le conseil à certains Etats, créant ainsi deux catégories inégales de souveraineté au sein de l'ONU, et transformé le nouvel organe en une sorte de Conseil de sécurité des droits de l'homme. Malgré cette tare de naissance et ses insuffisances, le conseil mérite d'être soutenu en s'assurant que son objectif est uniquement la défense et la promotion des droits de l'homme, c'est-à-dire le respect de la dignité humaine. Pour ce faire, il doit être un organe de consultation et non de confrontation et d'exclusion. L'élection de ses 47 premiers membres, le 9 mai 2006, sera pleine d'enseignement.
Responsabilté de protéger
La « responsabilité de protéger » est une notion émergente depuis plusieurs années. Plus large que le « droit d'intervention », qui est une réaction à une situation donnée, elle devrait, en principe, impliquer en plus les dimensions de prévention et de reconstruction. Les échecs des années 1990 au Rwanda, en Somalie, en Bosnie (Srebrenica) ont mis en péril les normes humanitaires fondamentales et fait surgir la nécessité de leur protection par la Communauté internationale. En 1997, à l'occasion des réformes qu'il a entreprises, le Secrétaire général de l'ONU a placé les droits de l'homme au centre des préoccupations de l'organisation. En 1999 puis en 2000, il a souligné devant l'Assemblée générale la nécessité de dégager des normes pour faire face aux « violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l'homme ». En septembre 2000, le Canada, dont la responsabilité de protéger est une dimension importante de son programme de la sécurité humaine, a mis en place une Commission sur l'intervention pour se pencher sur les limites de la souveraineté des Etats lorsque des populations sont en danger. Cette commission, qui a présenté son rapport final en décembre 2001, a essayé de trouver un difficile équilibre entre les deux notions. En résumé, le principe de base est que la responsabilité de protéger les populations menacées de génocide, de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de crimes contre l'humanité incombe à chaque Etat qui l'exerce dans le cadre de sa souveraineté. Cependant, ce devoir incombe aussi à la Communauté internationale qui se substitue à l'Etat défaillant lorsque, pour une raison quelconque, celui-ci ne veut pas ou se trouve dans l'incapacité de remplir son devoir de protection. La Communauté internationale doit, alors, mettre en œuvre tous les moyens pacifiques appropriés lesquels seraient relayés, en cas de nécessité, par une action collective menée dans le cadre du chapitre VII de la Charte de l'ONU. L'action armée, conçue comme le dernier recours, doit reposer sur des critères rigoureux, clairs et multilatéralement agréés (autorisation préalable du Conseil de sécurité) pour réunir toutes les garanties de légitimité et éviter tout unilatéralisme, comme ce fut le cas en Irak. L'action préventive n'est pas exclue. Le Canada a joué un rôle de premier plan dans la promotion de la responsabilité de protéger. Grâce à un travail patient de sa diplomatie, il a fini par s'assurer le soutien de la majorité des Etats membres de l'Assemblée générale. Cependant, faut-il préciser, certains ont exprimé des nuances et nourri des craintes de voir la responsabilité de protéger prendre le pas sur les principes de souveraineté et de non-ingérence. Il y a donc nécessité de trouver le moyen de concilier ce principe avec d'autres principes fondamentaux consacrés par la Charte des Nations unies. Par ailleurs, outre les génocides et les crimes contre l'humanité, il existe d'autres situations extrêmes, comme les pandémies, qui menacent des peuples de disparition, ou encore l'extrême pauvreté qui interpelle la Communauté internationale, laquelle a le devoir d'aider l'Etat en difficulté à faire face à ses obligations, pour prévenir sa faillite qui le mettrait dans l'incapacité de protéger sa population. La prévention est primordiale pour éviter les conflits dont les signes avant-coureurs sont détectables. Cela implique l'existence de mécanismes adéquats et d'une volonté politique ferme de la Communauté internationale qui, malheureusement, se manifeste uniquement lorsque les intérêts des grandes puissances sont en jeu. Enfin, le développement ou encore la lutte contre le terrorisme, préalablement défini dans une Convention internationale, constituent une prévention efficace contre la déliquescence des Etats. En dépit de ses insuffisances, la responsabilité de protéger a été endossée par le Sommet mondial. Elle constitue désormais un principe opposable en droit international, une des lignes directrices que la Communauté internationale doit adopter pour préserver la vie et la dignité des populations.
Commission de consolidation de la paix
La responsabilité de protéger est complétée par la Commission de consolidation de la paix créée le 20 décembre 2005, par l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité, en tant qu'organe consultatif intergouvernemental conjoint. Cette création participe des efforts déployés par l'ONU pour gérer les difficiles transitions de la guerre vers la paix. La Commission de consolidation de la paix a pour fonction la mobilisation des ressources et la préparation de stratégies intégrées pour « répondre aux besoins particuliers de relèvement, de réinsertion et de reconstruction qu'ont les pays sortant d'un conflit et d'aider ces pays à jeter les bases d'un développement durable » par une démarche « coordonnée, cohérente et intégrée » et par « une attention et une assistance internationales soutenues », grâce à une coopération renforcée entre les différents organes des Nations unies. Il s'agit de stabiliser ces pays afin qu'ils ne sombrent pas à nouveau dans la violence, comme ce fut le cas pour Haïti. La composition du Comité d'organisation permanent chargé d'élaborer le règlement et de régler les questions d'organisation est la suivante : sept membres du Conseil de sécurité dont les cinq membres permanents, sept membres du Conseil économique et social, cinq pays choisis parmi les contributeurs importants au budget de l'ONU et aux différents fonds, cinq pays figurant parmi ceux qui mettent le plus de militaires et de membres de la police civile à la disposition des missions de l'ONU et sept autres pays choisis par les groupes régionaux. Des représentants de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et d'autres bailleurs de fonds institutionnels seront invités à participer à toutes les réunions de la commission. Créée pour combler des lacunes institutionnelles, la Commission est née avec des faiblesses qui nourrissent des doutes sur son efficacité : 1-Il aurait fallu confier un rôle plus grand à l'Ecosoc dans la mesure où il s'agit de consolidation de la paix, donc de développement, et non de maintien de la paix et de la sécurité internationales, qui relève de la compétence du Conseil de sécurité. Il est donc regrettable que des sièges permanents au Comité d'organisation aient été confiés aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité. La composition dudit comité est contraire au principe d'égalité souveraine des Etats. 2-Le fonds permanent pluriannuel pour la consolidation de la paix après les conflits sera financé à l'aide de contributions volontaires. Cela ne permet pas une disponibilité suffisante de fonds immédiatement déblocables. La nature des opérations de relèvement exige un financement prévisible qui ne peut être garanti que par le budget de l'ONU. 3-Les fonds, mais aussi les contingents et tout le personnel nécessaire pour mener une entreprise de consolidation de la paix sont fournis par les Etats. Comment stimuler leur volonté politique ? Par ailleurs, il s'agira de savoir quand prendra fin l'opération de maintien de la paix et quand commencera l'entreprise de consolidation de la paix. Il y a un risque de conflit de compétences entre la commission et le Conseil de sécurité ou la phagocytose de la première par le second ; surtout lorsqu'on sait que la commission prendra toutes ses décisions par consensus et que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité ne se priveront pas de peser de tout leur poids sur lesdites décisions. 4-La dimension prévention et règlement des conflits n'entre pas dans le mandat de la commission. Les pays concernés sont ceux où un conflit vient de prendre fin ou risque de reprendre. Consolider la paix retrouvée après un conflit pour éviter sa répétition est une bonne chose, mais prévenir un conflit devrait être l'objectif prioritaire. La création du Conseil des droits de l'homme et de la Commission de consolidation de la paix et l'émergence de la notion de responsabilité de protéger constituent une véritable avancée institutionnelle et conceptuelle dans un domaine sensible qui touche directement à la souveraineté des Etats. Celle-ci a subi une érosion proportionnelle à la montée en puissance d'acteurs non étatiques et d'organisations internationales qui s'est accélérée avec l'approfondissement de la mondialisation. Ce développement, aussi nécessaire soit-il, soulève quelques problèmes dont la clarification est un préalable à une bonne entente, voire à une coexistence pacifique entre les nations. En effet, lorsque les pays développés cèdent une part de leur souveraineté, ils le font sur la base du principe de l'équilibre des intérêts. Par contre, les pays en voie de développement sont en général contraints de le faire à la suite de pressions exercées par des Etats puissants qui agissent conformément à leurs intérêts. Certains d'entre eux restent attachés à une notion de souveraineté (elle se confond avec indépendance) qui appartient désormais au passé. La souveraineté ne pourra plus être opposable dans les cas de violations flagrantes et systématiques du droit à la vie, car la responsabilité de protéger les populations n'est plus une obligation morale seulement, mais une obligation légale pour la communauté internationale. Et cette fois-ci, les pays en voie de développement ne pourront plus se prévaloir de l'argument selon lequel on a légiféré en leur absence. Outre les trois points traités dans ces paragraphes, il faut signaler, pour mémoire, d'autres acquis ou initiatives qui participent au renforcement du domaine des droits de l'homme : La Cour pénale internationale, créée en juillet 1998, punit individuellement les responsables de crimes. Elle a retenu trois grands crimes imprescriptibles : le crime de guerre, le crime contre l'humanité et le génocide. Quant au Fonds des Nations unies pour la démocratie, il a été créé par le Secrétaire général de l'ONU en juillet 2005, à la suite d'une proposition faite par le président Bush en septembre 2004. Il a pour objectif « d'apporter un soutien à des projets visant à consolider et à renforcer les institutions démocratiques, l'Etat de droit, l'indépendance de la justice, la liberté de la presse, le pluralisme politique et syndical ». (Ceci rappelle l'Initiative du grand Moyen-Orient). Il est financé par des dons et subira inévitablement l'influence des pays riches qui en seront les grands contributeurs. Son Conseil consultatif a tenu sa première réunion le 6 mars, à New York, pour examiner ses mécanismes de fonctionnement et ses programmes. En outre, il reste à finaliser une Convention internationale sur le terrorisme, un phénomène qui a une relation étroite avec les droits de l'homme dont le premier d'entre eux est le droit à la vie, à éliminer la pauvreté, terreau fertile pour le terrorisme, à promouvoir une croissance économique soutenue, un développement durable et une prospérité partagée par tous les peuples. Un très vaste programme qui ne se réalisera pas de sitôt. Rappelons le triptyque : développement, sécurité, droits de l'homme. Ignorer une composante revient à compromettre les autres.
Diplomate, ancien vice-président de la Commission des droits de l'homme de l'ONU


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