Le secteur des ports a été négligé, accentuant ainsi un décalage déjà fortement marqué par rapport au reste de l'économie nationale, mais aussi au vu du développement des systèmes portuaires à travers le monde. Des chefs d'entreprise et des experts ont tiré, hier, la sonnette d'alarme sur l'état des infrastructures portuaires algériennes, relevant “des retards immenses" pris par notre pays pour le développement d'un secteur aussi vital pour son économie. À l'occasion d'un atelier de réflexion organisé par le Forum des chefs d'entreprise (FCE) sur le thème : “Ports algériens, un gisement de croissance et de compétitivité", le président de cette organisation patronale, Réda Hamiani, a appelé à une “relance résolue et urgente des réformes touchant à ce secteur vital qui impacte directement le fonctionnement et les performances de nos entreprises et de notre économie". M. Hamiani rappelle que la plupart des ports algériens sont construits à l'époque coloniale, pour répondre aux besoins du développement d'un commerce orienté presque exclusivement en direction de l'ancienne métropole. Les efforts de développement économique entrepris depuis l'Indépendance ont, en dehors de quelques projets liés à la promotion des exportations du secteur pétrolier et gazier national, très peu touché la modernisation des ports de commerce nationaux. Le président du FCE a relevé que les investissements que l'Etat a entrepris au cours des dix dernières années ont touché quasiment l'ensemble des secteurs d'activité. Toutefois, en matière d'infrastructures de transport, l'investissement a surtout bénéficié au volet routier, avec notamment la construction de l'autoroute Est-Ouest. Le secteur des ports, quant à lui, a été quelque peu négligé dans ce gros effort de mise à niveau, accentuant ainsi un décalage déjà fortement marqué par rapport au reste de l'économie nationale, mais aussi par comparaison avec les mutations profondes qu'a connues, tout au long des vingt dernières années, le développement des systèmes portuaires à travers le monde. M. Hamiani a indiqué que le volume des échanges mondiaux a plus que doublé, entre 1990 et 2010, passant de 4 milliards de tonnes de marchandises transportées par voie maritime à 8,4 milliards de tonnes, imposant ainsi des mutations profondes en termes de développement des infrastructures d'accueil, de capacité de traitement de navires au tonnage de plus en plus gros, et de gestion de système des enceintes portuaires et des flux logistiques. C'est le cas de Tanger-Med (Maroc) et Enfidha en Tunisie. Une fois les frontières avec le Maroc ouvertes, l'autoroute Est-Ouest aidant, une grande partie du commerce extérieur algérien sera desservie à partir des ports Tanger-Med et Enfidha, parce que les ports algériens n'ont pas la capacité d'accueil et de traitement. Pour bien prendre la mesure des retards causés par le management de notre système portuaire, le président du FCE a mis le doigt sur les délais extrêmement longs et coûteux du traitement des marchandises dans les ports algériens. Ces derniers, censés être de simples lieux de transit, se transforment, le plus souvent, en de véritables lieux de stockage, contribuant ce faisant à congestionnant davantage des espaces déjà réduits. Alors que les délais moyens de transit des marchandises dans les grands ports modernes se comptent en heures, le délai pour les ports algériens se situe aujourd'hui entre 30 et 34 jours. “Les ports algériens sont devenus aujourd'hui de véritables goulots d'étranglement" “Les ports algériens sont devenus aujourd'hui de véritables goulots d'étranglement. Les surcoûts directs des dysfonctionnements qu'ils occasionnent sont extrêmement lourds pour le pays et l'économie. Ils sont estimés, selon des experts, entre 2 et 3 milliards de dollars, annuellement, ce qui correspond approximativement au coût de réalisation d'un port de taille mondiale", souligne le président du FCE. Abdelkader Boumsila, ancien P-DG de l'entreprise portuaire de Béjaïa, actuellement consultant, regrettant l'absence de “statistiques portuaires en Algérie", explique qu'en Algérie, on en est encore aux ports de première génération, alors que le monde a évolué vers des ports de 4e génération, appelés plutôt places portuaires. “Le conteneur s'est généralisé au cours des années 1970, on a continué pendant très longtemps, et même jusqu'à maintenant, à traité le conteneur comme on traite des cargaisons de sac en vrac. Le paradigme n'a pas bougé", a constaté Abdelkader Boumsila, évoquant le coût de la “non-logistique", qui représente dans les pays avancés environ 8% du PIB. Dans les pays émergent, ce coût est estimé à 17%. Le Maroc l'a ramené à 15%. “En Algérie, on ne le sait pas", regrette M. Boumsila. Pour autant, si l'Algérie réduit ce coût de la “non-logistique" seulement de 5%, elle économisera environ 9 milliards de dollars, “de quoi construire des hôpitaux..." Abdelhamid Bouarroudj, expert consultant en transport et logistique, note que l'Algérie, en 1996, était déjà très dépendante des autres places portuaires. Cette dépendance est estimée à 65%. M. Bouarroudj indique qu'il n'y a aucun texte qui traite du conteneur dans la législation algérienne. “Il n'y a aucune législation qui traite de l'intermodalité des conteneurs, à l'exception de la loi sur l'orientation des transports terrestres et la loi sur l'aménagement du territoire de 2001", a-t-il relevé. Selon Abdelhamid Bouarroudj, les armateurs étrangers, qui ont décidé de refuser de prendre en charge l'importation ou l'exportation de marchandises en mode FOB (Free On Board) au niveau des ports algériens, sont revenus à de meilleurs sentiments, sauf Maersk. “L'Association des exportateurs a reçu une correspondance des armateurs dans ce sens", a affirmé M. Bouarroudj qui a évoqué “un début de solution à ce problème". Par ailleurs, le ministère du Transport mène une marge consultation sur un texte réglementant l'activité maritime. Le vice-président de l'Association des agents consignataires rappelle que l'Algérie est classée, dans Doingbusiness de la Banque mondiale, à la 129e place. Le coût d'exportation d'un conteneur coûte 1 260 dollars en Algérie et 1 330 dollars à l'importation. Le coût de transit des marchandises est 40% plus cher en Algérie par rapport au Maroc. La manutention au port (déchargement) et transport terrestre et manutention sont estimés à 400 dollars. “C'est très élevé. C'est énorme", estime le vice-président de l'Association des agents consignataires, expliquant le coût excessif par l'inadaptation des ports et le monopole sur les activités portuaires. Pour le président du FCE, pour un pays comme l'Algérie, dont l'économie a de tout temps été fortement ouverte aux flux des échanges mondiaux de marchandises, il est clair que l'efficacité de la gestion de son système portuaire est un déterminant essentiel des performances d'ensemble de son développement économique et du caractère harmonieux de son insertion dans l'économie mondiale. M. Hamiani estime que le développement du secteur portuaire est aujourd'hui une nécessité et une urgence. “Les retards peuvent être rapidement rattrapés, pour peu que la volonté politique soit au rendez-vous", a-t-il estimé. M R