Très tôt, nous sommes tirés de notre sommeil. Les Belhadjistes sont en face de la position que nous occupons sur le mont Doui. Nous nous préparons à les affronter. Quelques minutes plus tard, on nous annonce la présence de soldats français, derrière nous. Ce sont des unités de dragons. Nous avançons vers les lignes des Belhadjistes. Vers 9 h, l'accrochage débute. Ils ne peuvent résister à notre assaut et à notre puissance de feu. Ils replient. Nous continuons à avancer, à leur poursuite. Ils sont contraints de replier encore. Pour nous, c'est la seule tactique. Les dragons sont derrière nous, un bataillon environ. Nous savons qu'ils n'interviendront pas dans nos affrontements avec les Belhadjistes. Ils n'affichent pas ouvertement leur collusion avec la force K (1). Par contre, ils nous barrent le repli. Au cas où les Belhadjistes auraient le dessus sur nous et nous auraient refoulés vers eux, nous serions à leur merci. Les Belhadjistes, au bout de leur retraite, s'abritent derrière une colline et de gros rochers. Les tirs deviennent sporadiques. Il fait très chaud, nous avons soif. à Doui, il n'y a pas de source d'eau. Nous arrivons à déloger les Belhadjistes. Ils fuient en direction de Aïn Defla et quittent carrément le mont Doui. Vers 16 h, nous nous replions et quittons le mont Doui en évitant les militaires français. Nous faisons halte à Dahmane dont les habitants nous offrent du pain et des oignons. Nous nous rafraîchissons. Nous comptons quitter cet endroit calme dès la fin de la journée. Mais c'était compter vite. Vers 17 h, un groupe d'avions arrive sur nous. Décidément, la journée est loin d'être finie. Nous rejoignons les hauteurs, à l'écart de la dechra. Les avions nous mitraillent pendant un bon moment. Aucune perte dans nos rangs. Mais, en fin de journée, au moment où le commando se rassemblait pour entamer sa marche, nous apprenons la mort d'un jeune compagnon, l'après-midi, à Doui. Il est mort de soif. Ce jeune, originaire de Blida, faisait partie du détachement qui nous avait rejoint en région 1, après l'accrochage de Tiyabine. Cette triste nouvelle nous afflige. Ce jeune citadin a traversé une partie de l'Algérie pour ramener un Mauser, sans que rien ne lui arrive. Il a fallu qu'il meure de soif à Doui. Nous rejoignons Amrouna puis Malla où nous retrouvons les deux sections 1 et 2 du commando. Ce fut une grande joie. Si Mohamed Bounaâma et Djamal sont là. Entre djounoud, nous nous racontons les péripéties vécues depuis notre séparation. Le commando de Djamal n'a pas lui aussi été très heureux. Mais il a tenté de grandes actions. Il a donné l'assaut contre le camp militaire fortifié de Boucaïd, près de Molière (Bordj Bounaâma actuellement). Ce camp est implanté près du pic du mont de l'Ouarsenis. Ce fut une grande attaque à laquelle participa une katiba de la zone 4, Wilaya V, sous le commandement de Si Tarik. Cette katiba avait un mortier 60. Le commando a utilisé la mitrailleuse américaine 12/7 récupérée à Marbot. Le grand Abed et le jeune Mustapha, benjamin du commando, y ont trouvé la mort. Abed a sauté sur une mine. Si Mohamed Bounaâma a assisté à l'opération. Non loin de Molière, le commando et une section locale ont tendu une embuscade à un convoi à Béni Zitten. Ils ont dû affronter un ennemi plus nombreux que prévu, un convoi de 36 camions. L'embuscade se transforme en accrochage au cours duquel nos djounoud tuèrent une centaine de soldats. Le commando enregistre treize morts, dont le chef de section Hocine. à Malla, nous restons une semaine. Nous nous retapons. Nous mangeons de la viande tous les jours. Nos moussebiline avaient ramené des milliers de moutons, récupérés des fermes du Sersou. Les habitants n'étaient pas oubliés. Si Abdelkader, le chef de zone, quitte la zone ; le commandant Si Tayeb (Oussedik) lui signifie la décision du Conseil de la wilaya. C'est Si Mohamed qui assure l'intérim. Nous allons, de nouveau, retraverser la route nationale Alger-Oran pour rejoindre la région 1. Nous arrivons à Tiyabine, plaque tournante du secteur. Si Mohamed Bounaâma, encore lieutenant militaire de la zone, nous accompagne. Il est prévu que le commando se rende en région 2, la région de Ténès. Nous savons que cette région et, notamment, le secteur de Bissa, est propice au combat ; ce secteur est doté d'une forêt dense, de petites collines qui facilitent le mouvement. Bissa est le bastion et la plaque tournante. Le commando n'a pas encore séjourné dans cette région. Les djounoud ainsi que la population attendent, avec impatience, son arrivée. Les responsables s'affairent à organiser notre séjour. Ce sont les informations que nous fournissent les commissaires politiques qui sont en contact avec leurs collègues de la région 2. Nous sommes à Beni Merhba, ultime halte avant de passer en région 2. Les responsables locaux nous indiquent un objectif, des camions de paras qui font la corvée d'eau entre Carnot (El-Abadia actuellement) et un camp près de Beni Merhba, nouvellement implanté. Si Djamal décide de tendre une embuscade. Si Mohamed est resté à Tiyabine où il a programmé une réunion avec les responsables de la région. Nous sommes sur un terrain nu ; pas de broussaille, ni d'arbustes au bord de la route pour nous cacher et attendre l'arrivée du convoi. Nous décidons donc de nous poster, en retrait, à une vingtaine de mètres. Nous sommes en fin de journée. Les camions se rapprochent. Au moment choisi, nous bondissons tous vers la piste en mitraillant les véhicules militaires. Si Djamal vise le chauffeur. Tous les occupants des deux camions sont tués, sauf un rescapé ; un para a pu sauter et se placer de l'autre côté de la route. Il est armé d'une MAT 49 (pistolet-mitrailleur). Nous récupérons toutes les armes : 23 MAS 36, crosse pliante, 1 MAT 49, 1 fusil de chasse, arme d'un harki. Le para rescapé résiste. Il est planqué derrière les roues du premier camion. Il faut le déloger de là. Des renforts sont annoncés. Nous nous replions. Nous prenons en charge nos blessés, au nombre de trois (2). Si Djamal retient un groupe avec lui pour protéger notre repli. Les paras arrivent en grand nombre. Ils tentent de nous poursuivre. Nos compagnons parviennent à les stopper. Les paras reculent. Si Djamal libère le groupe. Il reste seul. Il continue de tirer sur les soldats. Nous lui crions de nous rejoindre, nos blessés étant désormais hors de danger. Il n'obtempère pas. Le jour tombe et il fait de plus en plus sombre. Si Djamal court. Il s'abrite derrière un arbre, lâche une rafale en direction des paras. Alors qu'il courait, une énième fois, pour rejoindre un autre arbre et se placer derrière, il tombe, sous nos yeux, fauché par un tir ennemi. Nous ne pouvons pas récupérer son corps. Les paras occupent désormais les lieux où Si Djamal est tombé et nous serions exposés à leurs tirs. La mort de Si Djamal nous afflige. Nous quittons Beni Merhba. Nous rencontrons en route Si Mohamed qui venait vers nous. Il est très peiné quand nous lui apprenons la mort du chef du commando. Nous percevons dans son visage une profonde tristesse. Il aurait souhaité assister à l'embuscade. C'est à partir de ce jour que le commando fut baptisé Commando Djamal. L'armée française allait emprunter à l'ALN, cette symbolique. Elle donnera aussi à ses commandos de chasse le nom du premier chef mort au combat à la tête de l'unité. Ainsi, nous aurons à affronter les commandos Guillaume (3), Touré, Maurice, etc. En compagnie de Si Mohamed, le commando se dirige vers le secteur de Miliana. Au bout de quelques nuits de marche, le commando s'arrête à Beni Bouamrane, douar situé au nord-est du Zaccar, entre Miliana et Hammam Righa. La présence de Si Mohamed Bounaâma a suffi pour résoudre nombre de difficultés que nous avions connues lors de notre premier séjour. En région 1, nous ne connaîtrons plus la faim. Si Mohamed désigne un groupe, dont je fais partie, composé notamment de jeunes de la région. Il y avait, entre autres, Tajeddine Belabdelouahab, Tayeb Bentifour, Abdelkader Ferhat, Miliani Kadi. Nous accompagnait aussi : Djaafar d'El-Harrach, le fidaï auteur de 25 attentats à Alger. Notre mission est de faire des actions militaires et de sabotage. Nous devons créer un climat d'insécurité, mettre les services de sécurité ennemis en alerte, pour "soulager" le maquis dans le Zaccar. Mon frère Ahmed faisait partie aussi du groupe. Ahmed venait de s'évader de la prison de Miliana, après 8 mois de détention. à la prison de Miliana, il devait subir la procédure de reconstitution d'un attentat qu'il avait accompli avec Della Mustapha, à Miliana avant de rejoindre le maquis. à l'occasion de cette mission au sein du groupe, j'ai pu revoir mon quartier, les Annassers ; mais aussi Aïn El-Berkouk, Zougala, Ras El-Akba. Notre groupe mena plusieurs actions : un mitraillage à Miliana, par Tajeddine et Djaafar, un mitraillage sur la route de Khemis Miliana, sabotage de plusieurs transformateurs et de pylônes d'électricité. Notre mission achevée à Miliana et ses environs immédiats, nous montons vers Beni Bouamrane et tout de suite nous rejoignons le commando en région 4 (Teniet El-Had). Nous apprenons, par la suite, qu'après notre départ de Miliana, un groupe de l'ALN, dirigé par Abdelaziz, nous remplaça à Zougala. Une grande opération militaire est déclenchée par l'armée française, le 15 octobre 1957. Elle visait notre groupe, mais c'est le groupe de Abdelaziz, composé de 10 djounoud, qui sera encerclé à Guergour, le quartier jouxtant les remparts. Les moudjahidine ont tenu tête aux paras, avant de mourir, tous, sauf un élément (Alilou) qui fut fait prisonnier. Le groupe élimina 47 paras du 3e RPC de Bigeard. Mustapha Dimama ou Mustapha de la rue de Marine à Alger, armé d'un Mills ou Achaïria, s'est distingué. Il tua 11 soldats. Mustapha a fait partie du commando. L'ennemi, par vengeance, fusilla 24 civils. Depuis la mort de Si Djamal, le commando est dirigé, par intérim, par Bachir Rouis, lui aussi originaire de Médéa. Il était surnommé "Nehru". Si Mohamed Bounaâma est promu chef de zone avec le grade de capitaine. Il désigne M'hamed Raïs à la tête du commando. M'hamed Raïs est originaire de Djelida (Aïn Defla). Il était aspirant militaire dans la région 4, la région de Amrouna. C'est une grande figure de la région, aimé par la population, admiré pour son courage. Au début de l'automne, nous subissons une épidémie de grippe, dite "grippe asiatique". Plus de la moitié de notre effectif est atteint. Les infirmiers sont mobilisés jour et nuit. Ils recourent au traitement traditionnel : faire bouillir des feuilles d'eucalyptus à faire humer par les malades. Sur le plan sécurité, nous ne courons pas de danger particulier, car nous apprenons que les unités françaises sont, elles aussi, touchées et immobilisées. (à suivre) Qui est Si Djamal ? Natif de Médéa (en octobre 1957), Lyès Imam suivait ses études secondaires au lycée Bencheneb de Médéa. C'était un athlète brillant qui avait beaucoup de talent et il aurait pu avoir une carrière sportive prestigieuse. C'était un crossman. Il était champion d'Afrique du Nord, titres qu'il a remportés successivement en 1952, à Sidi Bel-Abbès, et en 1953 à Blida. En 1955, il est convoqué pour faire partie de la sélection française devant participer aux Jeux olympiques de Melbourne (Australie) en 1956. Il répond au mot d'ordre de grève des étudiants et lycéens lancé le 19 mai 1956 par l'Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugema) et il rejoint le maquis, à l'instar de nombreux lycéens de Médéa et d'autres villes. Il fait d'abord partie du commando Ali Khodja. En janvier 1957, il rejoint la zone 3 de la wilaya IV et intègre le commando zonal, dirigé, à l'époque, par Si Nouredine. Au sein du commando, il est chef de section, puis adjoint du chef du commando et, enfin, chef du commando. Il participe à plusieurs embuscades et accrochages : l'embuscade de Marbot (Tarik Ibn Ziad), Toutia (Hassania), l'attaque de la force K, l'embuscade de Beni Zitten (Bordj Bounaama), l'attaque de la garnison de Boucaïd, l'embuscade de Beni Merhba. Il sera tué en août/septembre 1957. Il n'avait pas encore 20 ans. Le commando de la zone 3 sera baptisé Commando Djamal, à partir de cette date. (1) A l'époque encore, sauf en avril 1957, lors de l'attaque du commando contre le PC de Kobus à Zeddine, l'armée française prend soin de ne pas révéler à la population ses relations avec les Belhadjistes. (2) Nos 3 blessés sont: Ayad Benaouda, Benhathat Benmoussa, Mrièche. Benaouda et Benmoussa sont toujours en vie et habitent tous deux Khemis-Miliana. (3) Jean-Marie Guillaume, lieutenant et chef du commando noir, a été tué le 22 mars 1957, à Tamesguida, près de Mouzaïaville. Il est le fils du général d'armée Augustin Guillaume. Ce dernier fût résident général de France au Maroc et c'est lui qui déposa le Mohamed V, Sultan du Maroc, en 1953. En 1954, il est chef d'Etat-major des arméesAprès la mort de Jean-Marie, son frère ainé, le lieutenant de vaisseau Jean-Pierre se porte volontaire pour lui succéder. L'armée lui permit de le remplacer à la tête du commando. Plus tard, il rejoindra l'OAS et fût arrêté et emprisonné.