Hier, à J-1 de la manifestation “Millionnaire" à laquelle a appelé la Commission nationale de défense des droits des chômeurs (Cnddc), la tension était largement lisible sur tous les visages à Ouargla. Devant la détermination des jeunes chômeurs qui se sont donné le mot dans les quatre coins du Sud, multipliant davantage leurs rencontres “clandestines" ces derniers jours, pour réussir un rassemblement historique à la grande place du centre-ville sise en face du siège de la commune, les autorités locales tentent de désamorcer la situation. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, qui a fait parler, encore une fois, son sens de l'humour pour qualifier le mouvement des jeunes du Sud de “cherdima", (un vocable arabe intraduisible qui signifie littéralement quelque chose (ou quelqu'un) de mineur, d'insignifiant qui voudrait grandir rapidement), ne réalisera certainement pas la teneur de son propos. Cette sortie, pour le moins inattendue, de la part du Premier ministre, semble ainsi galvaniser davantage les chômeurs et même des citoyens d'un autre acabit des régions du Sud. De l'avis des représentants de la Cnddc, le propos de Abdelmalek Sellal sonne comme pure invective à l'encontre de tous les citoyens du Sud. “Son propos est tellement blessant que nous n'avons d'autre choix que d'investir la rue pour lui répondre et répondre à tous les gens du système, et d'une manière pacifique, que nous sommes des Algériens qui portons la carte verte comme tout le reste des citoyens aux quatre coins du pays. Et que nous devons donc disposer des mêmes droits", répètent en chœur, les chômeurs rassemblés hier au marché El-Hadjar du centre-ville de Ouargla. Cette rencontre a été improvisée pour peaufiner les derniers préparatifs du grand rassemblement prévu dans la matinée d'aujourd'hui. Conscients des réactions que va certainement susciter cette action très appréhendée par les autorités, les “activistes" de la Cnddc ne voulaient rien laisser au hasard pour réussir leur “action pacifique". C'est ainsi qu'ils ont pensé utile de faire une quête pour la confection de badges aux chômeurs qui auront pour mission d'organiser la manifestation. “Nous allons démontrer sur le terrain que nous sommes aussi des citoyens organisés et civilisés, et que nous ne réclamons pas plus que nos droits les plus légitimes", a souligné un chômeur, père de famille venu d'une commune limitrophe. Cette rencontre, qui se veut comme la dernière ligne droite avant de passer à l'action, est l'aboutissement d'une série de conclaves clandestinement tenus auparavant dans différents quartiers de la ville. Le dernier en date auquel des journalistes étaient conviés, a été tenu dans la soirée de mardi au quartier populaire dit Gharbouz. “Nous ne sommes pas des séparatistes..." “Cette fois-ci nous n'abdiquerons ni devant la manipulation ni devant les intimidations. Nous sommes plus que jamais déterminés à faire entendre notre voix. Seules des mesures concrètes visant à améliorer la situation précaire des jeunes des régions du Sud, longtemps marginalisés, pourront nous convaincre. Contrairement à ce qui se dit ici et là, nous n'avons pas de revendications politiques, notre revendication est purement d'ordre social : nous ne demandons pas plus que l'emploi, le logement et bien sûr le développement de notre région", avaient souligné à l'occasion des dizaines de chômeurs issus des quatre coins de Ouargla et d'autres wilayas du Sud. “L'action d'aujourd'hui se veut comme un cri de détresse pacifique, mais jamais un appel au désordre, encore moins au séparatisme, comme on nous accuse à tort", ont ajouté les “activistes" de la Cnddc, présidée par le chômeur populaire Tahar Belabès... Et ce dernier de mettre en garde contre toute tentative d'infiltration du mouvement des jeunes chômeurs. “Gare aux infiltrations ! Faites très attention aux intrus qui vont, il faut s'attendre, tout tenter pour perturber notre mouvement, pour nous discréditer...", a averti Tahar Belabès à la veille de la manifestation, non sans appeler les jeunes à ne surtout pas mettre en danger l'unité nationale. “Ils nous accusent de soutenir le terrorisme, ils nous qualifient de séparatistes, ces gens-là, ces appendices du système, sont prêts à tout pour casser notre mouvement. Car, ils savent bien la situation que nous vivons aujourd'hui, est le résultat de la politique du système", a enchaîné le meneur du “combat pacifique" des chômeurs du Sud. Pour Tahar Belabès et ses camarades, les manipulateurs sont identifiés. “Les notables et les élus ne nous représentent pas" “Nous connaissons bien ces gens-là qui parlent en notre nom et qui se manifestent quotidiennement sur les écrans des chaînes acquises au pouvoir. Ils sont tous des proches d'élus locaux et des députés qui soutiennent le système avec qui ils trouvent bien leur compte. Ce sont aussi ces notables créés par le pouvoir. Tous ces gens ne nous représentent pas. Nous sommes les seuls représentants de notre mouvement, c'est nous qui endurons cette situation, c'est nous qui souffrons du chômage, de la marginalisation (...)", explique Brahim Benmir, agriculteur de la région venu apporter son soutien aux chômeurs... “Aux marginalisés de la nation", pour reprendre ses propres propos. “On cherche à sentir l'odeur des richesses de notre région", reprend avec amertume, un certain Abdelkader Rouabah Ben Belkacem Ben Messaoud, soit le petit-fils du légendaire pasteur, Rouabah Belkacem qui a eu le mérite de découvrir le premier puits de pétrole de Hassi-Messaoud ! Aujourd'hui, les descendants de ce dernier se compteraient par dizaines à faire face au chômage. Au Premier ministre et autres membres du gouvernement qui brandissent souvent le prétexte du manque de qualification des jeunes du Sud qui rend difficile leur recrutement par des entreprises pétrolières, des dizaines de jeunes n'ont pas manqué de brandir hier, leurs diplômes universitaires, une manière de signifier que le prétexte est complètement fallacieux ! Le Conseil interministériel exclusivement dédié aux préoccupations des chômeurs du Sud, “hâté" par le chef de l'Exécutif dans l'espoir de contenir la colère des citoyens de cette région, ne semble à présent guère provoquer l'effet escompté. Lassés des précédentes promesses “non tenues", les protestataires revendiquent désormais des mesures concrètes et leur application immédiate. À défaut, ils comptent durcir leur mouvement... À la veille de la première “démonstration de force" des chômeurs, les services de sécurité de Ouargla rompus à ce genre de manifestations récurrentes depuis septembre 2011 auraient, semble-t-il, reçu des instructions pour éviter d'attiser la colère des citoyens. Du moins, jusqu'à la journée d'hier où aucun dispositif particulier n'a été constaté dans le centre-ville. F. A.