L'avocat de renom a abordé, à cette occasion, la révision de la Constitution, les affaires de corruption et l'abolition de la peine de mort, un sujet qui lui tient particulièrement à cœur. “Depuis l'Indépendance, la Constitution n'a jamais beaucoup pesé dans la vie des Algériens. Les autorités ont fait grand cas de l'installation d'une commission d'éminents juristes alors qu'amender la Constitution n'est pas l'affaire des seuls constitutionnalistes." Pour Me Brahimi, le débat est, dès lors, biaisé. Il en veut pour preuve les déclarations du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, qui avait assuré aux membres de cette commission qu'ils étaient “libres" sauf de toucher aux constantes nationales. “En somme, ils ne sont libres de rien du tout", conclut Me Brahimi pour qui, cette révision est propice pour parachever le recouvrement de l'identité nationale en officialisant dans la Constitution algérienne le tamazight, “une revendication légitime et un facteur de cohésion nationale". “Rien ne s'y oppose et nous le devons à nos origines et aux racines de ce peuple." Pour l'ancien président de la Ligue algérienne des droits de l'Homme (Ladh), il faut également “désenclaver" cette demande car “le tamazight n'est pas l'apanage des régions berbérophones, mais il concerne toute la société civile algérienne". En outre, malgré certaines avancées, il serait utile, selon lui, de renforcer davantage dans le nouveau texte les droits de la femme. Se voulant plus explicite quant à sa conception des changements à apporter, Me Brahimi a livré sa philosophie : “Une Constitution républicaine dont le but est d'asseoir la démocratie comporte un aspect technique qui réside dans le suffrage universel et un aspect éthique beaucoup plus important, à mes yeux, puisqu'il regroupe des valeurs universelles telles que les droits de l'Homme, les droits de la femme, l'alternance au pouvoir, etc." D'après lui, beaucoup s'attachent à l'aspect technique de la Constitution pour finalement “tordre le cou à la démocratie". Pour lui, il n'y a qu'à voir ce qu'il est advenu du vote dans les pays voisins à la faveur du Printemps arabe, “si mal nommé", d'ailleurs, d'après lui. L'avocat recommande surtout de sortir du “mimétisme occidental", notamment français, auquel la législation algérienne continue à faire des emprunts. Me Brahimi propose, ainsi, la création d'une institution qui serait chargée de veiller à la protection de la Constitution. “Un peu à l'image de la Turquie, le seul pays musulman où des islamistes n'ont pas remis en cause le caractère républicain du pays, les droits de la femme, etc., la Constitution doit tracer une ligne rouge." Interrogé, par ailleurs, sur la mise en œuvre de l'article 88 de l'actuelle Constitution qui prévoit la destitution du chef de l'Etat pour empêchement, Me Brahimi, qui a souhaité un prompt rétablissement au président Bouteflika, actuellement alité à l'hôpital militaire français du Val-de-Grâce à Paris, s'est borné à répondre qu'il n'était pas constitutionnaliste et que, par conséquent, il ne saurait donner son avis sur le fonctionnement de cette disposition... La nouveauté des commissions rogatoires Revenant sur l'actualité judiciaire du reste chargée, ces jours-ci, par les affaires de corruption, “l'avocat, dont le rôle n'est pas de défendre que de bonnes causes", a tenté alors de minimiser le phénomène en déclarant que “tant qu'il y aura des hommes, il y aura de la corruption". Et puis, pour lui, la corruption n'est pas seulement l'affaire de la justice. “Si l'on parle de corruption, cela veut dire que celle-ci a déjà fonctionné et que l'infraction a bien eu lieu". Me Brahimi recommande, ainsi, la mise en place d'instrument de contrôle et de prévention. “La corruption doit être une lutte quotidienne et non pas se résumer à des campagnes ponctuelles." Plus explicite, il révélera que le rôle des services de sécurité est de faire des rapports qui montent en haut. “Et il arrive parfois à la justice de se saisir de certains dossiers selon le desiderata des gens d'en haut". S'agissant de l'affaire Sonatrach 1, il soupçonne son éclatement sur la scène nationale pour des raisons purement politiques. “Je suis de ceux qui ont la conviction absolue que cette affaire est venue précipiter le départ de l'ancien ministre de l'Energie Chakib Khelil." Quant à l'affaire Sonatrach 2, Brahimi réfute l'idée que la presse étrangère, qui avait éventé, rappelle-t-on, les affaires ENI, Saipem ou SNC Lavallin, soit derrière l'instruction judiciaire en cours. Cette dernière affaire est née, selon lui, à la suite “de commissions rogatoires qui sont parties d'ici". Il reconnaît néanmoins que “c'est la première fois que nous allons travailler sur des documents venus de l'étranger". Me Brahimi, qui dit ne pas vouloir trahir le secret de l'instruction, a simplement indiqué que les faits étaient avérés. S'agissant de la justice “par fibre optique", Brahimi assurera à son auditoire que “le pouvoir n'intervient grossièrement que dans une infime minorité de dossiers", à savoir les plus gros. Le reste, à l'en croire, est laissé au trafic d'influence et à la corruption ordinaire. Questionné au sujet de la grève du bâtonnat, l'avocat a insisté sur le fait qu'il n'y a pas d'Etat de droit sans droit de défense. “Au tribunal, les robes noires doivent se frayer une place au milieu des justiciables et des parents de justiciables." Me Brahimi rejoint, ainsi, la revendication de ses confrères, à savoir “un meilleur traitement lors des audiences". Quant à “l'incident d'audience" qui a mis aux prises récemment le bâtonnier national avec le président du tribunal criminel, il renseigne, à lui seul, selon lui, sur le statut de l'avocat en Algérie. Préconisant enfin de vite dépasser cet “incident" afin d'aborder les choses sérieuses, Me Brahimi estime qu'il serait malhonnête d'incriminer uniquement les magistrats quant au mauvais fonctionnement de l'appareil judiciaire. “Si, parmi eux, il y a des corrompus, il y a nécessairement quelque part des corrupteurs", indique-t-il sans donner de plus amples précisions. Abolitionniste convaincu, Me Brahimi a rappelé que le leader kurde, Ocalan, a eu la vie sauve grâce à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne qui, note-t-il, fait de l'abolition de la peine de mort un préalable avant toute discussion. Au-delà des réactions passionnelles suscitées par le meurtre abject des enfants Haroun et Brahim à Constantine, Me Brahimi a rappelé que depuis le moratoire de 1993, la peine de mort n'est plus appliquée en Algérie. “Ce qui amène, dès lors, nombre de juges à condamner à mort, à tort et à travers, estimant que les sentences ne seront pas appliquées." Une tendance observée, selon lui, dans toutes les juridictions. L'invité du Forum de Liberté dit, en outre, ne pas comprendre que l'Algérie puisse militer pour un moratoire international alors qu'à l'intérieur, elle est plutôt frileuse. “Je respecte l'avis des uns et des autres qui ont une conviction religieuse ou intellectuelle s'agissant de l'application de la peine de mort. Mais je m'inscris en faux contre ceux qui prétendent que cela ferait diminuer le nombre de crimes. Cela n'a aucun rapport avec la nature ou le volume de la violence enregistrée." Me Brahimi regrette, par ailleurs, que lors du moratoire de 1993 qui est intervenu, rappelle-t-il, au début de ce qu'il nomme la “décennie rouge", “personne n'a jamais dit qu'il fallait rétablir la peine de mort pour faire diminuer le terrorisme alors que le pays vivait une violence inouïe et une barbarie affirmée". L'abolition de la peine de mort est, pour lui, “une norme de modernité". D'après lui, “tout militant des droits de l'Homme qui se respecte se doit d'être abolitionniste". Aussi, il garde bon espoir que l'Algérie se soumette un jour à cette tendance “universelle", “le plus tôt sera le mieux", espère-t-il. M C L Bio express n Né le 2 février 1939 à El-Azizia, dans la wilaya de Médéa, Me Miloud Brahimi est titulaire d'une licence et d'un DES en sciences politiques et droit. Avocat depuis 1969, il a été également président de la Ligue algérienne des droits de l'Homme (Ladh) et enseignant à la faculté de droit de Ben Aknoun d'Alger. Miloud Brahimi est le frère cadet de Lakhdar Brahimi, diplomate algérien et actuel émissaire de l'ONU pour la Syrie. Nom Adresse email