Le consensus n'a pas eu lieu sur l'abolition de la peine de mort entre défenseurs des droits de l'Homme et autres personnalités acquises à cette cause et leurs détracteurs qui sont d'avis que la peine capitale appartient à la charia, et qu'elle devrait donc rester dans le corpus des sanctions prévues par la loi islamique. Certes, la conférence régionale de deux jours sur la réforme de la sanction pénale en Algérie et la mise en œuvre de la résolution des Nations unies portant moratoire sur la peine de mort, organisée à l'hôtel El-Aurassi, conjointement par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme et l'Organisation internationale de la réforme pénale, n'avait pas cette prétention. Le but déclaré étant d'ouvrir un large débat sur la question en respectant, comme l'a précisé Me Farouk Ksentini, président de la Commission des droits de l'Homme “toutes les sensibilités”. Il n'en reste pas moins que cette rencontre a montré qu'il serait très difficile d'aplanir les divergences sur ce dossier, qui sera probablement l'un des thèmes de la campagne présidentielle. La difficulté réside dans l'existence d'articles dans les constitutions arabes qui imposent l'application de la charia, ou affirment que l'islam est religion d'Etat, comme c'est le cas dans notre pays. Ces règles font que les textes légaux sont délimités par les principes inspirés de la charia. Le Dr Youcef Ben Mehdi, conseiller charia au niveau du ministère des Affaires religieuses, s'est insurgé contre la vision des abolitionnistes en déclarant que ceux qui appliquent la charia ne sont pas moins développés que ceux qui se proclament défenseurs des droits de l'Homme et jettent des bombes sur des enfants. “Est-ce que cette abolition est dans l'intérêt de la société ou des criminels ? Allons-nous alléger la peine d'un tueur d'un enfant de 4 ans et pousser ses parents à la vengeance ? Allons-nous protéger les barons de la drogue, les auteurs d'une trahison contre l'Etat et oublier le reste de la société ?”, s'est-il interrogé en ajoutant : “Je pense qu'il faut examiner les choses avec calme. Cela ne veut pas dire que je suis hors de la civilisation.” Plus nuancé a été le professeur Mahfoud Smati, membre du conseil supérieur islamique, qui pense que la peine capitale a “un sens, c'est l'équité dans la sanction entre les personnes quel que soit leur rang social. Tout acte odieux doit être sanctionné par Dieu. Toutefois, la consécration de la peine capitale n'est pas chose facile. L'islam prône le pardon, la fraternité et la clémence. Le versement d'une Dia peut éviter la mort d'une autre personne, si le pardon est prononcé par l'héritier ou les parents de la victime”. Différent est l'avis de l'avocat Miloud Brahimi qui considère que “l'unanimité dans le monde se fait de plus en plus autour de l'abolition de la peine de mort. Le pays observe un moratoire de la peine de mort depuis 1993 à l'initiative d'Ali Haroun membre du HCE. C'est une décision sage et courageuse. À son initiative également, un projet d'abolition de la peine de mort rejeté a été proposé déjà à l'indépendance. Depuis, il y a eu l'exécution de Chabani et celle de Khalef pour des raisons autres, en l'occurrence un détournement mineur, alors qu'aujourd'hui, les auteurs d'un détournement majeur écopent au maximum de 10 ans de prison. Si on a pas exécuté pendant ces dernières années de sang les auteurs de crimes contre l'humanité, on ne doit pas exécuter l'auteur d'un crime passionnel”. Miloud Brahimi estime qu'il ne faut pas se contenter d'un moratoire et dire “qu'on n'est pas pressé. C'est faux. La reprise des exécutions peut intervenir à tout moment, même si le ministre de la Justice affirme qu'on va progressivement vers l'abolition de la peine de mort. Soit, on est abolitionniste, soit on ne l'est pas”. Le président de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme abonde dans le même sens en soutenant qu'“il est temps d'ouvrir le débat autour de l'abolition de la peine capitale en Algérie et son remplacement par d'autres peines de substitution, d'autant que l'Algérie observe un moratoire sur l'application de cette peine depuis 1993”. L'actuel débat a pour but de trancher sur cette question : “Ou bien maintenir le moratoire et laisser les juges prononcer encore des peines de mort, ou oser abolir cette peine en lui substituant d'autres peines”, déclare Me Ksentini. Les divergences entre les pour et les contre l'abolition de la peine de mort ont pris une ampleur qui a poussé l'ex-présidente du conseil d'Etat, Mme Aberkane, à inviter les participants à se pencher sur la manière de concilier “les dispositions coraniques et le progrès qui va vers l'abolition. Car si on n'abolit pas la peine de mort, on se retrouvera devant le problème d'extradition de gens qu'on recherche et que certains pays refusent de nous livrer parce qu'ils risquent la peine de mort”. Quant au directeur régional de l'Organisation internationale de la réforme pénale, Tahar Boumedra, il pense que cette conférence vise à “créer un lobby pour l'abolition de la peine de mort”. Il salue la position de l'Algérie, le seul pays arabe, dit-il, à avoir voté les deux résolutions des Nations unies sur le moratoire de la peine de mort. À noter que cette rencontre se poursuit aujourd'hui par des témoignages sur les positions et avis sur la peine capitale dans d'autres pays arabes comme la Tunisie, la Jordanie ou le Liban. Nissa Hammadi