On l'appelait le cheikh à cause de sa tignasse blanche. Je l'ai vu plus renard que cheikh. C'était un malin qui avait toujours un coup d'avance sur ses détracteurs. Râblé, finaud naturellement sans effort comme d'autres sont bêtes malgré tous leurs efforts pour paraître intelligents. Ses yeux vifs et mobiles étaient un scanner qui mettait à nu ses adversaires. Il débusquait leurs tactiques et même leurs pensées. Fort, très fort le cheikh ! De lui, je garde deux bons souvenirs. Le premier à Dakar, à l'occasion de la mini coupe d'Afrique de février 1991. On se promenait avec le défunt ambassadeur d'Algérie au Sénégal, Koribaa, quand un jeune Sénégalais s'approcha de Kermali. "Bojour Cheikh, hé très content de te parler, hé...". Il mit sa main à sa poche et sortit une grosse montre, c'était visible qu'elle était de pacotille, et la tendit au Cheikh : "Moi Mamadou, supporter des Fennecs, j'offre ce présent précieux au grand sorcier le cheikh !" Kermali sourit de ce sourire pataud qui ne trompe que les niais et accepta le présent. L'ambassadeur, qui riait à gorge déployée, lui confia qu'il devrait s'attendre à quelque surprise : "C'est un coup de quelques jeunes Sénégalais qui visent une cible, lui offrent un cadeau sans valeur, je ne t'en dis pas plus...". Après quelques minutes, le même jeune accosta Kermali : "Hé Cheikh, c'est Mamadou, ton ami Sénégalais qui te demande de lui donner un cadeau !" Kermali qui avait totalement oublié Mamadou, leva les sourcils : "Mais je ne te connais pas pour t'offrir quoi que ce soit !" Et il feignit d'oublier l'importun qui s'écria : "Quoi ? Tu as oublié la belle montre que je t'ai offerte ?" L'ambassadeur murmura à l'oreille du cheikh que s'il ne lui donnait pas quelques sous, le gosse allait ameuter tout le quartier en hurlant au voleur ! Kermali eut ce sourire en coin, ce sourire de renard qui voit une brebis le défier en broutant l'herbe sous ses pattes. Alors que des badauds commençaient à s'attrouper autour de nous, le cheikh murmura quelque chose à l'oreille de Mamadou. Miracle, celui-ci partit en silence sans demander son reste. Kermali n'a jamais voulu nous révéler ce qu'il lui a dit, car pour que le jeune Sénégalais lâche prise aussi facilement il fallait que l'argument soit plus dissuasif qu'un bataillon de Sénégalais. L'autre souvenir date de la coupe d'Afrique de 1992, toujours au Sénégal. L'Algérie avait essuyé une sévère défaite de 3 à 0 devant la Côte d'Ivoire à Ziguinchor. Juste après le match, il avait une tête d'enterrement. Le soir, il était souriant. Je m'étonnais. Il s'étonna : "Si on n'accepte pas la défaite alors il ne faut pas jouer au football." Il était ainsi le cheikh. Un philosophe du ballon rond. Un philosophe tout court. Un homme entraînant, un entraîneur d'hommes. H. G. [email protected] Nom Adresse email