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Il fête ses 75 ans parmi les siens à Sétif
Abdelhamid Kermali. (Entraîneur) Le cheikh, toujours jeune
Publié dans El Watan le 27 - 04 - 2006

Il est de notoriété publique, Sétif a été de tout temps un généreux réservoir de talents ayant défendu avec loyauté les couleurs nationales. Par devoir de mémoire, il est important de s'arc-bouter sur un cas précis qui a valeur d'exemple : la carrière de l'un des dignes fils du mouvement sportif national en général, et du football en particulier, en l'occurrence Abdelhamid Kermali, qui fête aujourd'hui ses 75 printemps.
Carrière de loin brillante et féconde en tant que joueur et en qualité du seul entraîneur à avoir offert à l'Algérie la coupe d'Afrique des nations (la seule d'ailleurs), en 1990, et un autre trophée afro-asiatique. La qualification des juniors pour la phase finale du Mondial du Japon en 1979 est l'œuvre du cheikh. En cette période de vaches maigres, le football algérien peut s'enorgueillir de la contribution d'un homme qui a bourlingué plus de 60 ans d'un stade à un autre, d'une contrée à une autre et d'un pays à un autre. Kermali, qui s'est distingué beaucoup plus comme manager, fait partie de cette race d'hommes passionnés qui ont fait et marqué l'histoire du sport roi, chez nous. La vie de Kermali qui a ouvert les yeux à Akbou (Béjaïa) le 27 avril 1931 n'a pas été facile. L'aîné d'une lignée, qui en comptera deux frères et une sœur, devient « majeur » en charge d'une famille, à l'âge de 10 ans. Et ce, suite au décès du père (militaire de carrière) au début de la Seconde Guerre mondiale. La disparition de Lakhdar un Sétifien de souche a beaucoup marqué Abdelhamid (dit Karboua) et sa famille qui ont, dès lors « sombré » dans la misère. Le jeune a de ce fait vécu et grandi dans le dénuement le plus total. Son enfance et adolescence sont faites de pauvreté, de difficultés de tous genres et aussi de rêves devant l'aider à sortir de l'ornière. Jamais il n'occultera le moindre aspect des pénibles conditions d'une jeunesse « confisquée ». L'orphelin sera des années durant livré à lui-même. Son contact avec l'école n'a pas dépassé le seuil du cours de fin d'études primaire. Le bonhomme qui a traversé les bancs d'Albertini (Mohamed Kerouani) comme un météore avait d'autres chats à fouetter que de passer le clair de son temps enfermé entre quatre murs. « Pour avoir négligé puis abandonné mes études, un jour d'examen, j'ai reçu des corrections à n'en plus finir de ma mère, fatiguée de courir les champs à ma recherche. A aucun moment, elle n'eut le moindre espoir de me voir prendre des distances avec le ballon rond », dira Kermali qui a été découvert par Benaouda (Lyass), Abid et Abdelkader Laklif, ces dénicheurs de talents qui sillonnaient les terrains des quartiers populaires, Tels Bel Air, Tandja (cité Yahiaoui), les cheminots, la Gare, Bon marché et le centre-ville où habitait Kermali qui fit son entrée en équipe seniors, en 1948, à l'age de 17 ans. A l'occasion d'un certain USFMS-AS Bône. Avec deux buts à la clé, ce coup d'essai fut, le moins qu'on fuisse dire, un coup de maître. Kermali gagne vite en maturité et s'imposera rapidement comme un incontestable titulaire du flanc droit de l'attaque usmiste. Ses prouesses emballent les initiés, savourant à chaque spectacle le style, les accélérations et ouvertures lumineuses de ce jeune. A l'issue d'un match de coupe USFMS-Etoile de Skikda, disputé à Constantine, un colon qui a été vraisemblablement épaté par la classe du Sétifien, lui signifia qu'il devait tenter sa chance en France. Cette proposition l'enchante, lui donne même des idées. D'autant qu'il voulait faire du ballon rond une profession. Sans se soucier des conséquences Kermali qui s'est fait un nom à côté de Souna, Sahraoui, Assassi, Safsaf, Selami, Lakhlif II, Zaiar, Kari Amara Djeridi et bien d'autres figures, et, sur un coup de tête, prend, un jour, la direction d'Alger où il a signé une deuxième licence à l'USMA. Cette « fugue » n'a pas été du goût des Grenat. A défaut d'une longue aventure à Soustara qui s'est achevée au bout de quelques mois, Kermali est obligé la mort dans l'âme de revenir au bercail. Cette aventure lui vaut une suspension de deux années. La sanction accentue la galère du joueur qui devient du jour au lendemain chômeur. Pour sortir du « trou », l'exil taraude l'esprit de l'aîné d'une famille vivant toujours dans la misère. Un jour, il subtilise 10 000 francs à la vieille et prend le chemin de l'Hexagone. Mulhouse sera la première étape. La première saison (1955/56) en France sera un régal pour les amateurs de la technique raffinée. Cette remarquée et remarquable entrée en la matière, attire les recruteurs et imprésarios. Les sollicitations de l'AS Cannes (un club de D II) où évolue un autre Sétifien, feu Mokhtar Arribi, ne laissent pas indifférents la nouvelle star qui voit désormais grand. Après un round de négociations, Kermali, rejoint à Cannes le grand Mustapha Zitouni.
Un palmarès bien rempli
A la croisette, le petit Sétifien explose, étale toute sa classe, impressionne coéquipiers et adversaires. Malgré, un handicap de gabarit, Karboua, se comporte tantôt comme ailier tantôt comme avant-centre, et des fois comme passeur. A l'issue de la saison (1956/57), l'Olympique lyonnais qui vient de s'attacher les services de Troupel (l'ex-coach de l'AS Cannes), fait les yeux doux à Kermali. La présence de l'entraîneur susnommé et d'une importante communauté d'émigrés à Lyon, le pousse à rejoindre le pays des Gones. Kermali réalise à côté d'André Laurent (capitaine de l'équipe de France), du Brésilien Costantino et d'autres vedettes, une saison de rêve. La seconde s'achève pour lui et pour bon nombre de professionnels algériens, un dimanche 13 avril 1958. A l'appel de la patrie, Kermali (Lyon), Arribi (Avignon), Bouchouk (Toulouse F.C), et Mekhloufi (As Saint Etienne), formant le groupe des Lyonnais, qui a transité par la Suisse et l'Italie, rejoint dimanche 20 avril 1958, Tunis où allait débuter l'épopée de la glorieuse équipe du FLN. « Le combat mené avec mes compagnons qui ont eu la chance de faire l'histoire restera à jamais gravé dans ma mémoire », précisera le cheikh ayant tenu à rapporter le témoignage de Ferhat Abbas : « Les ralliements des footballeurs démontraient, à l'évidence, aux yeux de l'opinion internationale que la révolution et la guerre d'Algérie intéressaient tous les Algériens. » A l'indépendance, le cheikh réintègre l'USMS qui rachète son contrat de Lyon. Kermali a failli disputer à l'issue de la première saison sportive (62-63) de l'Algérie indépendante une inédite et historique finale de coupe (ESS-USMS) mais l'ES Mostaganem, lors de la demi-finale, en a décidé autrement. Avant de rejoindre l'Entente en 1966, avec laquelle il décrocha en 1967, une coupe d'Algérie en qualité d'entraîneur joueur, Kermali s'est durant trois saisons (1962-66) beaucoup investi à l'USMS. Le défunt Dekoumi, président de l'Entente, engage celui qui allait devenir des décennies durant le Héléno Herra algérien. Le « sorcier » va bouleverser le jeu de l'ESS. Un football vivace, fait de petites passes, prend la place des longs dégagements et des folles chevauchées. Ce technicien de première ordre est devenu, en matière de stratégie, un pionnier. Il peut se targuer d'être le premier entraîneur à avoir introduit le 4-3-3 en Algérie. Axé sur un plan, préalablement, élaboré en fonction de l'adversaire, le jeu à Kermali ne laisse rien au hasard. La griffe du cheikh ayant donné à l'aigle noir sétifien une âme, une personnalité, la spécificité d'équipe technique ainsi que le légendaire second souffle marqueront pour longtemps l'ESS, l'autre religion de milliers de supporters. La méthode du Vieu, a fait de lui, l'un des techniciens les plus sollicités. Il est l'un des rares coachs à avoir drivé des formations de l'Est, (USMan- CSC- USC- HBCL- CABBA- USMS et ESS), du Centre (MCA) et l'ES Mostaganem, de l'ouest du pays. Sa réputation a, faut-il le rappeler, dépassé les frontières. Kermali, qui se dit pompier quand il aborde le volet de l'équipe nationale, a dirigé l'Itihad (Libye), Ras El Kheima (Emirats) et l'AS Marsa (Tunisie) où il a effectué durant trois saisons un travail de titan. Ses trois passages au MCA (1983,1988 et 1999) sont les autres faits saillants d'une longue et brillante carrière : « Mon expérience avec le Mouloudia qui occupe une bonne place dans mon cœur était exaltante et enrichissante à la fois. C'est un honneur d'entraîner ce club mythique. Je suis autant fier et heureux d'avoir arraché un titre avec le club le plus populaire du pays. Il m'est impossible d'oublier les moments passés dans cette institution, dirigée à l'époque par des hommes de la trempe de Djouad, Drif, Haouche et bien d'autres dirigeants, dignes d'une formation drainant à chaque sortie, plus de 60 000 supporters », souligne le cheikh qui n'esquive pas la déroute de Ziguinchor : « Les douloureux événements que le pays a connus ont perturbé la préparation de l'équipe nationale obligée d'annuler plusieurs matches amicaux. La question des tenues, des primes, et du séjour au Maroc s'est répercutée négativement sur le rendement de l'équipe qui n'a pas pu défendre le titre acquis deux ans auparavant à Alger. Quatorze ans après, la plaie est toujours entrouverte. Je tiens, une fois de plus à assumer la responsabilité de cet échec », rétorque le cheikh n'ayant jamais tourné le dos à l'appel de la patrie : « Dès que l'équipe nationale est en mauvaise posture, on fait appel à Kermali et à Zouba qui ont répondu présents en 1990 et lors des éliminations de la coupe d'Afrique des nations de 2004. Certaines personnes, aux mémoires courtes, ont tendance à oublier, vite, les services rendus », déclare quelque peu gêné, Kermali qui a tout donné à la nation. Il a même sacrifié sa vie familiale qui a été des décennies durant reléguée au second plan. Dieu merci, de nombreux sportifs qui ont côtoyé ou non ce personnage d'une extrême gentillesse en dehors du périmètre vert lui sont reconnaissants. Le témoignage de Mohamed Djouad, le président du MCA, est à ce titre éloquent : « Parler de cheikh Abdelhamid Kermali constitue pour moi un honneur, et un devoir de mémoire envers une personne qui m'a profondément marqué. Cheikh Kermali restera l'un des meilleurs, si ce n'est le meilleur avec lequel j'ai eu à travailler. En le citant, je ne pourrai occulter les qualités de l'homme d'abord, car il a été pour moi un grand monsieur, fin communicateur, perspicace et pondéré. L'entraîneur Kermali a marqué son temps par sa rigueur et sa gestion sportive. Et au-delà de ses consécrations, il restera celui qui a drivé l'équipe nationale juniors pour être championne d'Afrique et qu'il a qualifiée au Mondial japonais, et celui qui a ramené la seule coupe d'Afrique des nations en 1990 en Algérie. Dommage qu'on n'ait pas associé à ce grand entraîneur des jeunes qui auraient beaucoup appris à ses côtés. La clairvoyance du cheikh nous a permis de remporter le titre en 1999 avec le Mouloudia. Je dirai merci à Si Abdelhamid pour tout ce qu'il nous a procuré comme joie et bonheur. » « Kermali qui est un perfectionniste est un des monuments du mouvement sportif national.
Bientôt un jubilé pour ne pas oublier l'artiste
Il est en matière de choix tactiques inégalable. Le « bétonneur » ne s'est jamais empêché de mettre les jeunes dans le bain. Ce qu'il a fait avec l'USMS à l'indépendance, MCA quand il a congédié les vedettes et l'Entente où il a lancé les Zorgane, Rahmouni, Serrar, les frères Bendjaballah, Rahmani et autres, qui en sont les parfaites illustrations », nous confie Daoudi Saadna, ami et ex-coéquipier de Kermali qui demeure du haut de ses 75 ans toujours disposé à reprendre du service, car il vit pour et par le foot, sa seule et unique passion. L'ami des journalistes qui ne l'ont pourtant pas ménagé, après la déroute de Ziguinchor, trouve, malgré le poids de l'âge, encore du plaisir à parler foot et à vouloir encore exercer l'aussi stressant métier d'entraîneur. Kermali qui vient d'éteindre sa 75e bougie, sera le 19 mai prochain (une autre date symbole, coïncidant avec la journée nationale de l'étudiant), la star d'une manifestation devant être grandiose. Ce jour-là, les Algériens vont à travers un jubilé devoir rendre le plus bel hommage à un seigneur, qui a beaucoup donné et sans contrepartie le plus souvent. « Celui qui a floqué l'unique étoile au maillot des Verts mérite tous les honneurs de la République », nous dira Samir B, un jeune Sétifien.


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