Après une semaine mouvementée à Tunis marquée par l'arrestation du rappeur Weld El Quinze ( Alaa), condamné à 2 ans de prison ferme pour avoir chanté « El Boulissiya Kleb » ou « les flics sont des chiens » , le procès des trois Femens européennes ( sujet traité dans la chronique précédente ), et la tenue du congrès « contre la violence » qui s'est déroulé dans des conditions plus que violentes avec l'agression d'Adel Almi, président de l'association centriste de sensibilisation et de la réforme Tunisie cherche désespérément des touristes, non sérieux s'abstenir Par ailleurs, cette semaine a été marquée également par le début de la chaleur à Tunis, et vous le savez, qui dit chaleur dit touristes en Tunisie et heureusement qu'il y en a ! Plusieurs algériens affluent sur Tunis, nous les voyons partout, à l'avenue Habib Bourguiba, dans les cafés de la Goulette, à la Marsa, ou les rencontrons simplement à la sortie de l'aéroport porte des arrivées. Nous les reconnaissons de suite avec leurs matricules ou la musique qui raisonne fort lorsqu'ils se baladent en voiture, bref, tout est là pour dire, qu'il y a bel et bien des touristes en Tunisie (algériens surtout). Toutefois, il faut dire que l'arrivée du mois de Ramadan ne facilite pas la tâche, une sorte de cassure entrave la saison touristique au grand désarroi des hôtels, cafés et restaurants qui restent réticents quant au nombre de touristes jadis important. Cependant, il faut dire que les fidèles sont là, contre vents et marrées, ils n'échangeraient le pays de Carthage pour rien au monde. Je me réjouis, du programme plus qu'intéressant du festival international de Carthage où des stars internationales vont venir faire bouger les choses ; nous avons également fêté la musique le 21 juin, à la place du 14 janvier, à Hammamet et partout ailleurs, même dans les voitures à tout le moins. La musique est néanmoins la seule réponse que nous avons trouvé aux obscurantistes qui veulent effacer notre identité, étouffer notre culture et nous « iraniser », une seconde, ai-je dit qu'ils pouvaient y arriver ? Non certainement pas, ce peuple est amoureux de la vie, amoureux de la beauté, amoureux de la musique, de l'art, amoureux de son pays, le pays de Alyssa, de Bourguiba et de Chokri Belaid.... Venez nombreux à la conférence « hallal » Au moment où commencent les vacances a pays du jasmin, nous avons reçu une invitation de la part du parti salafiste « Ettahrir » pour assister à son congrès sur le « Califat » organisé au palais des congrès, une première en Tunisie. Mitigés, nous avons décidé de nous y rendre, non sans crainte, non sans gêne car nous savions que ces gens là n'apprécient que modérément les journalistes qu'ils « qualifient » de « journalistes de la honte ». Samedi 23 juin 2013, nous nous sommes rendus au palais des congrès avec pour armes, notre carte de presse et nos caméras, nous étions deux journalistes, nous avons bien sûr rencontré des collègues qui disaient être venus « par simple curiosité » pour assister au congrès. Pendant que tout le monde abusait du second degré et vannes sur les barbus qui finissent souvent par un rire nerveux et un soupir, quelques personnes cyniques usaient et abusaient donc de discours satiriques. Moi, j'y voyais de l'espoir, la vue des drapeaux noirs d'Atthrir me filait la chair de poule, je me disais, le despote n'est plus là, la Tunisie est libre. Je me rappelle encore de la scène émouvante de l'avocat Nasser Laouini, l'homme qui est descendu crier à l'avenue Habib Bourguiba « Ben Ali hrab » « Ben Ali s'est enfui » « chaab ettounsi horr » « le peuple tunisien est enfin libre », ce fût sans doute une prise de conscience imminente par l'avocat, pour moi, la prise de conscience est continue, je la vis chaque jour, elle constitue plus d'une part de mon quotidien mais samedi, un sentiment de liberté éternelle m'a traversée, les drapeaux, les slogans font peur à certains pour moi, ils témoignent d'une réelle démocratie. Je suis pessimiste à mon habitude mais par la force des choses, je me suis construit une culture sociale, un état d'âme, j'ai compris que la démocratie avait un prix à payer, un prix cher, des âmes humaines et une grande trahison comme après chaque révolution. N'est ce pas là la théorie de la complexité d'Edgard Morin dans toute sa splendeur ? La théorie du chaos que certains refusent de voir, d'autres l'évitent tout court, y résistent, ils la combattent mais permettez moi de vous dire qu'elle est simplement....inéluctable. Inévitable car il faut passer par la case désordre pour rétablir l'ordre, il faut se perdre pour retrouver son chemin, reculer pour mieux sauter. Chers amis tunisiens, tout ceci n'est qu'une déviation, dans un futur proche vous arriverez indemnes à destination : démocratie land. D'ailleurs en économie Shumpeter a évoqué ce phénomène de « destruction créatrice », d'agressivité qui accouche d'une innovation, quelque chose qui manque terriblement aux marchés mondiaux. En l'occurrence, nous n'avons pas besoin de la main invisible d'Adam Smith, ni d'un modèle « turc » qui a d'ailleurs montré ses limites (islam modéré) ni d'un modèle copié collé importé, le prêt à porter ne nous sied guerre. Ici, nous aspirons simplement à une Tunisie libre et démocratique dans laquelle chacun trouvera sa place, modernistes, communistes, salafistes laïques, hommes et femmes libres. Parenthèse fermée, revenons donc à nos moutons à savoir, le congrès du califat. Un congrès qui a commencé le plus normalement du monde sauf que les journalistes non voilées étaient mal reçues voire ahuries dans le silence, c'est-à-dire, avec les regards de haut et le chuchotement entre organisateurs. Heureusement donc que nous avons apporté des « foulards » en plus de nos armes ( carte de presse et caméras », nous avons pénétré dans la salle, avec des « marahba » « bienvenue », une salle bien décorée, un écran géant pour ceux qui étaient loin de la scène, nous avons eu les faveurs de « journalistes », assis au premier rang. Seul souci ? Au moment ou M. Ridha Belhadj, chef du parti Attahrir est arrivé afin de donner une « mini-conférence de presse » mini car monsieur était sélectif dans son choix des journalistes pouvant poser leurs questions et donc faire leur travail, un barbu arrivant de nulle part nous a clairement annoncé via son micro que femmes et hommes journalistes devaient se séparer, femmes à gauche, hommes à droite ; telle a été sa volonté. Cela peut sembler banal pour certains, mais cet ordre a été catégoriquement rejeté par nos confrères et nous-mêmes. Inadmissible, nous étions désemparés et n'avions pas hésité à nous révolter. Une collègue a été ferme avec lui « nous sommes collègues depuis des années, nous travaillons ensemble, nous faisons notre travail, vous n'avez pas à nous imposer quoi que ce soit ». Heureusement donc, que Ridha Belhadj a eu la présence d'esprit d'ordonner à cet inconnu de retirer ses propos, il n'y aurait pas eu de conférence de presse autrement, nous étions prêts à quitter les lieux si la mixité était refusée au palais des congrès construit, justement par des hommes et des femmes ensemble. Après la mini-conférence nous avons eu droit à un discours péroré par le président du parti, et des collaborateurs syriens. En effet, il a été question de la Syrie, « harb esham » qui selon la philosophie du partie, donnera naissance à un califat islamique du Maroc à l'Indonésie. Voici donc l'aspiration du parti Attahrir, qui, rappelons-le est présent un peu parti dans les pays musulmans, si Bachar tombe, le Califat sera instauré selon eux. L'un des collaborateurs à savoir, Othamane n'a pas hésité à « motiver » les tunisiens en leur rappelant que le califat est la promesse de dieu, la révolution tunisienne est donc venue pour révéler le califat, Bouaziz s'est immolé pour que naisse enfin, un Califat. Révolution hallal Foutaise ? Non il ne faut savoir être à l'écouter et respecter ce que les autres pensent et désirent. Le Che n'a-t-il pas dit : « la démocratie c'est mourir en défendant les idées d'autrui même si nous n'en sommes pas convaincus » ? La liberté de penser, nous avons d'ailleurs reproché aux élus de l'assemblée nationale constituante de ne pas l'avoir mentionnée dans le « brouillon » ou « torchon de la constitution», la constitution de la discorde comme l'appellent certains. Cependant, le pro Attahrir hommes et femmes, s'attribuent la révolution, ils s'autoproclament auteurs du changement, rappellent qu'ils ont croupi bien longtemps dans les prisons tunisiennes à l'ère Ben Ali et Bourguiba mais oublient facilement que c'est aussi la gauche tunisienne qui a payé le prix de la liberté. Il aurait été plus intelligent de la part de c rappeler le combat des autres sphères politiques, de Hamma Hammami, de Radhia Nassraoui, de Jaoull Garnit de Ben Brik et tant d'autres qui ont toujours rêvé de cette révolution hélas confisquée. Un mot sur les femmes Femmes qui étaient d'ailleurs présentes voilées, unies, au fond de la salle avec une pancarte indiquant « nisaa el mouatamar » les femmes du congrès « Al Hareem », elles portaient également des banderoles « La Ilaha Illa Allah » sur la tête. D'ailleurs, les chaises de la salle de conférences étaient elles aussi comme les femmes, décorées de drapeaux de « tawhid ». Ces femmes qui nous ont interdit de les filmer, interviewer et photographier n'hésitaient pas à cirer « Allah Akbar » à chaque fois qu'une parti du discours leur plaisait tout comme les hommes d'ailleurs qui n'ont cessé de s'écrier (tous ensemble) « takbiiir » Je suis anti mondialiste mais je porte une casquette New York Pour résumer, nous avons eu droit à un discours haineux anti capitaliste, anti occident, et anti états-unien sous les applaudissements et les takbirs de la foule. Au moment ou je feuilletais le livret distribué au début de la conférence, s'intitulant : « doustour el khilafa » qui mettait en exergue la politique les structures d'organisation du califat (ça parlait même du processus électoral) , tout y est même un projet « djiahd » . Bref une constitution qui a manifestement pris moins de temps de rédaction que celle de l'assemblée nationale constituante... Au moment où un documentaire sur le djiahd en Syrie passait sur le grand écran, l'un des intervenants de la conférence répétait le slogan « Etats-unis ; israel, nous arrivons, nous allons vous détruire avec notre califat », un fervent tahririste s'écriait takbiiir, seul paradoxe – ou presque – il portait une casquette « New York » et des baskets « Nike »si ça ce n'est pas contradictoire, je me pends. La démocratie et moi Dans tout cela, je cherchais leur position quant à la démocratie, ils étaient contre, ils n'y croyaient pas et jugent même que la démocratie est un mensonge galvaudé par ceux qui veulent gouverner d'autres en leur infligeant le chômage et des conditions de vie précaires sous un masque appelé démocratie. La seule question qui me tourmentait l'esprit était : comment arriver un jour à négocier, à expliquer la démocratie aux tunisiens, les convaincre et l'appliquer ? Quand je dis Tunisiens, je pense à tous les Tunisiens bien-entendu, et même les tahriristes, ils pourront peut-être innover et créer un califat démocrate ? Femme supplément d'âme Je retourne donc à la question de la femme ; si les tahriristes arrivent un jour à bâtir leur califat qu'ils jugent meilleur qu'une démocratie, les femmes de ce califat auront-elles des aspirations politiques ? En démocratie toute fois (remplissant des critères précis) peut rêver d'être un jour ministre ou président de la république, les femmes du califat peuvent elles rêver d'être un jour calife ? Non ? Pourtant calife d'écrit avec un e...je dis ça, je dis rien ! Moins d'ironie, plus de sérieux. Ce sont les femmes de tunisiennes, les descendantes de la Kahina, de Alyssa qui vont nous sauver, ce sont elles qui vont nous Restituer notre révolution volée, je crois aux femmes, je crois en la société féminine tunisienne, j'attends simplement le jour ou la révolution féminine va éclater (pas avec des seins nus, les Femens n'y comprennent rien) Finalement, chacun voit midi à sa porte Il a suffit que j'assiste à un congrès anti- démocratie pour réaliser que le bébé-démocratie grandit en Tunisie, il est en pleine croissance et cela ne peut que me redonner le sourire, rallumer ma flamme de femme révoltée, rebelle et au qui vive contre ceux qui veulent nous pousser à faire machine arrière. Merci aux extrémistes pour cette brise de démocratie ... Fin M.E.B Lire les anciennes chroniques : - La Tunisie, entre saints barbus et seins nus -Tunisie, le pays de onze millions de vents Nom Adresse email