Des dizaines de milliers de Tunisiens et de Tunisiennes ont battu le pavé à l'avenue Habib-Bourguiba à Tunis, à l'occasion de la célébration du 56e anniversaire de la Fête nationale, scandant des slogans qui confirment leur attachement à un état civil. Ces manifestants, jeunes et moins jeunes, issus des différentes franges de la société et des diverses sensibilités politiques, étaient tous unis pour scander haut et fort : “Le peuple veut un état civil”, “Révolution civile, non au Califat”… des slogans pour le moins hostiles aux islamistes d'Ennahda, lesquels avec un tiers des votants (sur plus de la moitié d'abstentions), avaient arraché les législatives de l'Assemblée constituante en automne 2011, inaugurant par ailleurs ce qui est convenu d'appeler l'hiver islamiste après le printemps démocratique arabe parti justement de Tunisie. La manifestation se veut un avertissement, une mise en garde contre Ennahda qui appelle à une constitution qui tienne uniquement sa source de la charia. Les islamistes avaient été déjà avertis par la centrale syndicale (UGTT), principal acteur de la chute du régime de l'ex-dictateur Ben Ali. Ennahda avait tenté de remplacer le syndicat historique par son propre syndicat. Gonflés à bloc par leur succès pourtant relatif en termes de voix, aux élections du 23 octobre, les islamistes ont pensé faire main basse sur les institutions et infiltrer le mouvement démocratique par ses propres réseaux. Ennahda laisse également faire les salafistes qui agissent en toute impunité pour terroriser la société civile, comme la guerre livrée contre les responsables et professeurs des universités pour autoriser le port du niqab et les violences perpétrées contre les femmes qui ne le portent pas. Le gouvernement dirigé par Ennahda fait preuve de laxisme pour ne pas dire de complaisance face à ces dérives contre les libertés acquises pourtant aux époques de Bourguiba et de Ben Ali. Outre ces atteintes préméditées aux libertés fondamentales, bourdes et scandales se sont succédé au niveau du gouvernement. Le bal a été ouvert par le discours du Premier ministre, le numéro un d'Ennahda, qui a parlé de “6e Califat”. Ensuite, des nominations des proches, des amis et des gendres, comme le beau-fils du fondateur d'Ennahda aux affaires étrangères. Puis ce fut au tour du député islamiste Sadok Chourou de menacer de couper les mains et pieds de toute personne participant aux sit-in contre le gouvernement, avant que Rached Ghannouchi, le père de l'islamisme tunisien, ne se permette d'aller “en famille” assister au forum économique de Davos et se permettre de donner une interview à un journaliste israélien. Ghannouchi a juré de copier l'AKP pour promouvoir la démocratie islamiste mais il s'était gardé de copier le premier ministre et chef du parti islamiste turc Erdogan, qui dans la même station helvétique avait remis à sa place le président israélien. Ennahda reproduit par ailleurs les méthodes de Ben Ali. Plutôt que de se remettre en cause, de faire son autocritique, son gouvernement préfère trouver lui aussi un bouc-émissaire pour justifier ses échecs. Il accuse alors les journalistes de tous les maux, les rendant responsables de la défection des touristes et des investisseurs potentiels, laissant faire en paix salafistes qui ont terni l'image de la Tunisie à travers le monde par leurs actions violentes, notamment à Manouba et à Sousse. Pour les observateurs de la scène tunisienne, l'échec annoncé d'Ennahda est dans sa précipitation à instaurer un vrai pouvoir islamique avant les nouveaux rendez-vous électoraux : le référendum pour la nouvelle constitution, la présidentielle et de nouvelles législatives. D. B.