Mounira El Bouti, est une jeune Algéro-Tunisienne de 22 ans, Actuellement à Tunis, elle a envoyé à la rédaction web de Liberté ce texte dans lequel elle décrit la situation sur place et surtout sa rage devant ce qu'elle voit, "La Tunisie n'est pas un gâteau à partager » A l'heure où j'écris, des coups de feu retentissent non loin de ma fenêtre, non, il ne s'agit pas de Kairouan, mais Tunis. La Tunisie qui vit depuis bien longtemps en apnée, retient à nouveau son souffle.... A Tunis, la tension monte entre le gouvernement provisoire (j'insiste sur le terme provisoire) et une mouvance bien organisée du monde salafiste, Ansar Al Charia, une phrase qu'on ne risquait pas d'entendre dans la Tunisie de Ben Ali. L'extrémisme religieux, c'est ce danger qui guette la Tunisie depuis le lendemain du 14 Janvier 2011, le jour où les Tunisiens ont dit « dégage » au despote Ben Ali et ont pris le chemin le plus court vers la démocratie. Toutefois, j'ai toujours été confiante car ma foi en la société civile tunisienne est grande, je voyais une lueur d'espoir en ces jeunes, instruits et cultivés qui allaient bâtir la Tunisie post révolutionnaire. Confiante jusqu'au jour où je me suis réveillée, effrayée et désorientée après avoir appris la triste nouvelle « Ils ont tué Chokri !». En tuant Chokri Belaid ils avaient tué tout espoir en moi, cette douleur que j'avais ressentie à ce moment là, cette blessure d'une profondeur abyssale, est encore là, une douleur plus lancinante que jamais. Les 5 coups de feux au Menzah ont tué notre Grand Chokri et ils ont tué la vie en nous... Quand l'envie d'écrire me submerge, je me laisse aller à quelques lignes « Pardonne-nous Chokri, d'avoir été aussi lâches, plus de cent jours sont passés après ton assassinat et nous ne connaissons ni le tueur ni le commanditaire, c'est que sans toi nous ne valons rien, tu étais tout, tu était l'autre Tunisie, sa moitié Chokri, Martyr de la Dignité, de la Liberté, Démocrate et Patriote assassiné pour ses idées nous ne laisserons point ces terroristes vendre le pays à Qatar, le pays d'Hannibal, Alyssa et Tahar Haddad, le pays de Bourguiba et Aziza Othmana ne tombera pas, il faudra nous marcher sur le corps avant». Je ne pleure pas Chokri, je pleure ma Tunisie. En deux ans, ils sont arrivés à nous épuiser, à nous désorienter, à nous déprimer. J'arrête de parler de Chokri, tous les journaux du monde ne suffiraient pas pour décrire ma peine, retour donc à la réalité, aujourd'hui dimanche 19 mai, un dispositif sécuritaire impressionnant mis en place dans les rues et les fouilles sont minutieuses et systématiques. Alors que les yeux sont braqués sur Kairouan, la ville dans laquelle devait se tenir le sommet d'Ansar Al Charia, ils attaquent de Tunis, Hay Ettadhamon, l'un des quartiers les plus populaires en Afrique. Au marché, dans le métro, chez le boulanger, les Tunisiens n'ont qu'un seul mot à la bouche « Ansar Al Charia », ils sont conscients que si l'Etat cède à ce bras de fer avec les terroristes d'Ansar Chariâa, ce sera un signe de plus, et pas des moindres, qui laisse présager l'effondrement de l'Etat. En Tunisie, les gens ont peur car tout ce qui se passe s'intègre dans un même projet celui de pousser l'Etat à l'effondrement et d'ériger sur ses vestiges la dictature théocratique. Je poursuis donc le récit, ils se rendaient à Kairouan, une ville sacrée de par son histoire, non pour acheter le délicieux « makroudh » (gâteau célèbre dans la région) mais pour se réunir contre les « taghout », se réunir pour trouver un moyen d'imposer l'application de la loi de dieu « charia » et déclarer la guerre au peuple tunisien, pacifiste et anti violence de tous bords. Ce congrès n'aura pas lieu en Tunisie, qu'ils aillent le faire en Afghanistan, Iran ou autre, ce congrès risque de salir les terres tunisiennes, il n'a pas sa place ici, tout comme ces djihadistes venus de nulle part qui veulent nous chasser de nos terres, nous apprendre l'islam et nous imposer leur règles du jeu, non ! La Tunisie n'est pas un gâteau à partager, les tunisiens ne sont pas encore tombés, nous continuons la bataille. Par ailleurs, 99% de l'actualité et des commentaires tournent autour d'Ansar Chariaa. On a complètement oublié bien d'autres priorités, à savoir la constitution... A qui la faute ? Ennahdha est le premier responsable des maux de la transition démocratique. Ils ont toujours œuvré pour que cette révolution à laquelle ils n'ont jamais participé, cale définitivement.Ils ont refusé d'assurer la neutralité des mosquées. Ils ont tenu un discours haineux, incitant à la violence, excommuniant implicitement et parfois ouvertement leurs adversaires, ils ont bipolarisé la société, semé la discorde entre les enfants d'un même pays. Ils ont formé des milices violentes et au dessus de la loi, en l'occurrence les LPR, afin de saboter les meetings des adversaires et de les terroriser. Ces LPR ont lynché feu Lotfi Nagdh, victime du premier assassinat politique post-révolution. Ils ont nourri ce monstre devenu incontrôlable que sont les salafistes. Ils s'en sont servis comme des pions pour se remettre dans la partie, quand leur popularité était au plus bas. Ils essayent maintenant de les provoquer et de les pousser à la confrontation pour affaiblir l'Etat et y substituer leur dictature théocratique, une fois le boulot accompli. Ils ont dénigré, sali, refusé désespérément tout consensus. Ils ont tout fait pour avoir la mainmise sur les médias. Ils ont indéfiniment allongé la période de transition et ont refusé l'initiative de l'UGTT qui était censée leur imposer une feuille de route afin de sauver la transition démocratique. Ils ont accusé nominativement, à tort, les leaders de l'opposition. Ils ont parlé de "conspiration contre le gouvernent" pour camoufler leur faillite politique, avant d'avouer qu'il n'en était rien, en réalité. Ils ont vendu le pays au FMI en faisant des concessions hallucinantes, troquant la dignité, la souveraineté et les quelques acquis sociaux des tunisiens contre une somme qu'il nous sera pratiquement impossible de rembourser à temps. Ils ont accueilli en grandes pompes les prédicateurs de la haine et de la violence qui viennent dans notre pays pour inciter une partie de la population à haïr l'autre partie. Le peuple tunisien épris de liberté, de dignité et de justice sociale les vomira comme il a payé au prix du sang de ses glorieux martyrs, sa révolution. Ce n'est plus qu'une question de temps. Qu'ils complotent autant qu'ils voudront, leur fin approche, inévitablement. Vive la démocratie ! Une fille de la gauche... Mounira El Bouti, jeune Algéro-Tunisienne de 22 ans, journaliste pour un groupe média tunisien et étudiante chercheuse à l'école supérieure de commerce de Tunis. Membre de l'association femmes et leadership Nom Adresse email