L'instruction du Premier ministre relative au départ forcé à la retraite des fonctionnaires ayant atteint l'âge de 60 ans (55 ans pour les femmes) est entrée en vigueur et beaucoup d'entités publiques l'ont appliquée à la lettre. Dans l'air, depuis plusieurs années, cette mesure est à la fois salutaire et trop risquée. Salutaire, parce qu'elle permet à des milliers de jeunes cadres, bloqués dans leur carrière, d'accéder à des postes de responsabilité jusque-là réservés à une catégorie bien déterminée. Salutaire aussi par ce qu'elle dégage des milliers de postes d'emploi dans un pays qui connaît un fort taux de chômage notamment chez les diplômés. L'instruction de M. Sellal reste, toutefois, entourée de flou, sachant que le secteur privé ne se sent pas, pour le moment, concerné. Mais surtout, en guise de sérieux, le gouvernement, qui compte en son sein plusieurs ministres ayant dépassé les 70 ans, devrait donner l'exemple, en faisant appel à de jeunes compétences. Dans le prochain remaniement, annoncé depuis plusieurs mois ? Peut-être. Partout, à travers les administrations publiques, les entités étatiques, des voix se sont élevées pour protester contre le règne des "gérontocrates". Dans certains secteurs, des directeurs, des conseillers ont dépassé les 70 ans et certains ne peuvent même pas se déplacer sur le lieu de leur travail. Des cadres sont à la tête de départements depuis plus de 20 ans et y font la pluie et le beau temps, malgré toutes les crises, malgré toutes les imperfections constatées dans leurs gestions respectives. Certains ont acquis un pouvoir tel que même des ministres n'ont pas réussi à les dégommer. D'autres ont transformé les entreprises publiques en véritables sectes familiales, tribales ou régionales, au point même si un "extraterrestre" est nommé à la tête de l'entité, il ne pourra rien faire. Mais la pratique la plus répandue et la plus nuisible concerne ces centaines de hauts cadres qui ont pris leur retraite tout en restant en poste, rétribués doublement, et pas avec n'importe quel salaire ! La circulaire de M. Sellal, signée en février dernier, n'est en fait qu'une réactualisation d'une mesure prise par son prédécesseur, Ahmed Ouyahia, mais qui n'a jamais pu voir le chemin de l'application. Une application qui reste encore difficile à mettre en œuvre, notamment pour les cas des personnes cooptées et éternellement protégées qui font jouer leurs appuis, lesquels exercent présentement de terribles pressions sur les dirigeants des entités publiques. Certains dirigeants d'entreprises publiques de grande envergure se réjouissent de l'instruction du Premier ministre, la considérant comme un cadeau inespéré pour se débarrasser des "éternels" cadres fort encombrants et jusque-là classés "indéboulonnables". Mais cette instruction comporte de gros risques et fait grincer des dents. Quand bien même cette instruction va dans le sens de l'application de la loi sur le travail, qui fixe l'âge de départ à la retraite à 60 ans, il n'en demeure pas moins que le retard pris dans son application a créé des situations inextricables. Des entités publiques dirigées par des dizaines de vieux cadres auront du mal à remplacer cette matière grise par des jeunes cadres inexpérimentés et non rompus à la gestion de situations complexes. À un certain niveau de la responsabilité, l'expérience est plus que nécessaire, elle est incontournable, voire vitale. On ne peut pas jeter, comme ça, des centaines de cadres, dont la valeur est inestimable, au risque de compromettre le devenir des entités publiques. Ailleurs, ces cadres chevronnés et, surtout, compétents, sont très prisés par les grandes compagnies qui mettent de gros paquets pour bénéficier de leurs expériences et de leur savoir-faire. Tomber dans la généralisation aveugle comporte de gros risques, sachant que parmi les personnes poussées à la retraite, certains pourraient encore donner, encadrer et diriger. Il est vrai que, dans beaucoup de cas, des cadres ont tout fait pour créer le vide autour d'eux et leur remplacement s'avère problématique. Dans certaines grandes entreprises publiques, les patrons avaient eu recours aux retraités comme conseillers, moyennant des salaires hors norme. La mode avait tellement pris de l'ampleur que dans certaines entreprises, on a eu affaire à des administrations parallèles. L'instruction Sellal pose un sérieux problème, notamment pour la gent féminine qui est priée de plier bagage à l'âge de 55 ans. Une mesure que beaucoup de femmes n'arrivent pas à avaler, elles qui affirment haut et fort vouloir et pouvoir continuer à travailler au-delà de cet âge. Lorsqu'on sait que trois secteurs névralgiques que sont l'éducation, la santé et la justice sont à forte prédominance féminine, on imagine un peu la saignée que cela provoquerait et la difficile tâche d'en assurer la relève. L'instruction du Premier ministre a le mérite de bousculer les pesanteurs, notamment dans le secteur public, considéré durant longtemps, comme la vache à traire où l'on perçoit salaires et avantages sans contrepartie. Mais, il aurait été plus sage de procéder graduellement, dans sa mise en application, et surtout, de traiter les cas où les départs à la retraite pourraient créer des situations préjudiciables. De plus, et c'est le plus important, il ne faudrait pas que les compétences avérées, la matière grise, soient sacrifiées, jetées dans l'oubli, juste pour respecter une disposition d'âge légal de départ à la retraite. Ce capital expérience et compétence appartient à toute la communauté et il serait suicidaire de ne pas l'utiliser à bon escient. 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