Venant de la part de Mohamed Mecherara, expert-comptable, ex-président de la ligue de football professionnel (LFP), qui a lancé lui-même le projet il y a deux ans, cette affirmation paraît étonnante. Mais notre interlocuteur explique que la feuille de route tracée au début par la DNCG (direction nationale de contrôle de gestion des clubs) n'a pas été suivie. Les lois n'ont pas été respectées au sujet de la cession des clubs. Le professionnalisme, avoue-t-il, c'était de la poudre aux yeux, juste bon pour calmer les esprits. Mais Mecherara ne s'arrête pas au constat, il préconise aussi et surtout des solutions pour relancer le projet. Liberté : Tout d'abord, M. Mecherara peut-on expliquer qu'est un club professionnel et comment transformer un club en société par actions ? Mohamed Mecherara : Un club professionnel est par définition un club qui répond aux dispositions du cahier des charges du professionnalisme, mises en place par les autorités compétentes, et aux exigences du règlement de 2006 de la FIFA. Et dans le cahier des charges, il existe 7 ou 8 points qui sont fondamentaux qu'un club doit respecter et qui, par la suite, l'autorisent à avoir l'appellation de club professionnel. S'il n'a pas la licence de club professionnel délivrée par la FIFA, il ne l'est pas. Il y a aussi le championnat professionnel qui est joué exclusivement par des clubs pros. Prenons l'exemple des pays du Golfe ; ce sont en fait des petits pays qui ont de gros moyens. Mais si vous allez au Qatar, au Bahreïn, ils n'ont pas de quoi faire 14 clubs pros, alors ils ont mis en place un championnat professionnel des pays du Golfe, hebdomadaire, de 14 clubs Chaque pays a 2 ou 3 représentants, titulaires de licences pros. En Algérie, aucun club n'est titulaire d'une licence professionnelle. Donc, on n'a pas de championnat professionnel. Lorsqu'on a entamé en Algérie, il y a deux ans, nous avons décidé d'aider les clubs à se transformer en sociétés commerciales (SSPA). La DNCG devait justement aider les clubs à s'organiser financièrement et du point de vue comptable. Il y avait donc une démarche à suivre qui est malheureusement tombée à l'eau ; aucun club n'a suivi notre plan. La loi de 2004 qui a été remplacée par celle de 2013 (juillet) indique que tout club qui, en dépenses ou en recettes, utilise un montant supérieur à 50 millions DA doit se transformer en club professionnel. Le décret concernant le football indique que toute personne physique ou club amateur peut créer un club pro ou une section de football pro. Alors, soit cette personne crée un club pro et débute donc son parcours en ligue de wilaya, soit le club amateur crée la section football pro, auquel cas il continue à jouer dans le palier où il est déjà (L1 ou L2). Donc, dans ce cas précis, c'est le club amateur qui crée le club professionnel, la SSPA. Une fois celle-ci créée, le CSA ouvre son capital aux investisseurs. Mais c'est quoi au juste le capital d'un club ? Le capital d'un club, c'est d'abord sa place en Ligue 1 ou 2. C'est un patrimoine immatériel qui a un prix. Car si l'homme le plus riche du monde ou une société publique ou privée veut créer un club de foot en Algérie, ils doivent passer par tous les paliers, à commencer par la ligue de wilaya. Cela veut dire qu'ils doivent débourser beaucoup d'argent et perdre du temps pour faire accéder le club en Ligue 1. En revanche, s'ils rachètent directement un club de Ligue 1 ou 2, il est tout à fait naturel qu'il paye le prix fort de ce patrimoine immatériel. En plus bien sûr des avoirs du club. Un expert peut donc fixer la valeur commerciale de cette place en Ligue 1 ou 2. Bien entendu, cette valeur diffère d'un club à l'autre. La valeur du MCA n'est pas la même que celle de Aïn Fakroun par exemple, avec tous le respect que je dois à cette charmante ville. Il existait en 2010, à l'époque où j'étais à la LFP, une sorte de feuille de route pour expliquer aux clubs justement la marche à suivre pour professionnaliser les choses. Personne ne l'a suivie. Justement, le non-respect de cette feuille de route a conduit à des situations loufoques où une société comme Sonatrach peut racheter un grand club comme le MCA avec seulement 75 millions de centimes, alors que le commissaire aux apports désigné par un tribunal avait évalué la valeur marchande du MCA à 75 milliards de centimes. C'est hallucinant, non ? D'abord, je tiens à dire que le commissaire aux apports n'a pas tort dans son estimation, car le MCA est un grand club qui attire des milliards de sponsors. Maintenant, il faut d'abord expliquer la démarche : quand un club veut évaluer ses biens, il confie cette tâche à un expert-comptable et à un expert immobilier, comme c'est le cas du MCA qui possède aussi une villa. Quand ces biens physiques sont évalués, vient l'étape de l'évaluation des biens immatériels (place en L1, palmarès...). Les deux évaluations sont soumises ensuite au tribunal. Ce dernier désigne un expert-comptable ou un commissaire aux apports, agréé auprès des tribunaux, et le charge de conforter les études faites sur le club. Cet expert établit donc son rapport, qui est ensuite avalisé par le tribunal. à partir du moment où le tribunal entérine l'évaluation chiffrée du commissaire aux apports, c'est la valeur financière du club qui est connue. Si le MCA a été évalué par le tribunal à 75 milliards de centimes, c'est là le prix de vente du club et rien d'autre. Mais ce n'est pas fini, car il faut aussi évaluer les dettes du club. Si par exemple le club amateur du MCA a 20 milliards de centimes de dettes, alors la valeur du MCA est le résultat de la soustraction entre la valeur fixée par le commissaire aux apports et le montant de la dette. Dans notre exemple donc du MCA, Sonatrach aurait dû donc payer 50 milliards pour racheter le MCA. Je dis ça juste à titre illustratif, car je n'ai pas tous les documents en ma possession. Sonatrach, selon le CSA, n'a payé que 75 millions pour racheter le MCA... Je ne connais pas tous les documents de cette transaction, donc je ne peux me prononcer, mais j'ai expliqué la démarche à suivre avec un exemple précis, et c'est là la voie commerciale à suivre. De toutes les façons, une fois la transaction conclue suivant ce qui précède, Sonatrach est obligée de payer la dette, puisqu'elle est censée être déjà défalquée du prix de vente. Or, selon ce que je sais, Sonatrach n'a fait qu'acheter des actions qui n'appartenaient du reste pas aux actionnaires qui les ont vendues, puisque c'est l'argent du CSA qui a contribué à la création de la SSPA le Doyen. Pis, j'ai appris aussi que le CSA n'a rien touché en retour, alors qu'il aurait dû recevoir un chèque équivalant au montant du prix de rachat (évaluation du commissaire aux apports moins les dettes). Le décret fait aussi obligation aux deux parties de signer une convention où le CSA précise que le club amateur cède l'exploitation du sigle du club et des couleurs. Le document doit aussi préciser la contrepartie financière. Justement, le CSA, MCA accuse Sonatrach de refuser de signer la convention et a révélé que la SSPA le Doyen n'a même pas changé de statuts... Pourtant, cette convention doit être exigée par la FAF et le MJS, mais visiblement personne ne s'en inquiète. Mais encore une fois, ce n'est pas seulement le MCA qui est dans cette situation mais tous les clubs. S'il y avait une autorité de régulation du professionnalisme mise en place par les pouvoirs publics, il n'y aurait pas eu tous ces problèmes aberrants. Pourquoi, selon vous, le projet du professionnalisme n'a pas avancé ? Tout simplement parce que la feuille de route et les orientations de la DNCG n'ont pas été suivies. Le problème dans le football algérien est que les lois sont très claires. Elles sont très bien faites d'ailleurs. Les textes expliquent parfaitement tout, mais malheureusement il n'y a plus personne pour gérer ce dossier du professionnalisme. Plus de stage, plus de formation de cadres pour les clubs, plus de commission qui pilote ce projet. Pour revenir au cas du MCA, il n'y a eu ni recours à l'évaluation du commissaire aux apports ni signature de convention. Il y a eu donc entorse à la réglementation, n'est-ce pas ? Tout à fait, il y a eu entorse à la réglementation. D'ailleurs, si le CSA poursuit en justice Sonatrach, il ne peut logiquement qu'avoir gain de cause, car la loi, encore une fois, est claire en ce qui concerne la démarche à suivre dans le rachat d'un club. Pour résumer, comment peut-on procéder pour relancer le projet du professionnalisme ? Il faut tout de suite mettre en place une structure du professionnalisme. Le ministre et la FAF doivent le faire en collaboration avec les clubs. Cette structure doit être composée de personnes compétentes. Il faut lui donner le temps d'analyser la situation, d'établir une feuille de route, et il faut surtout que son plan soit obligatoire pour tous les clubs. Je préconise d'ailleurs à ce que le MJS subordonne l'attribution des subventions de l'état au respect du plan de cette structure du professionnalisme. Il faut que le MJS ait d'abord l'aval de la commission du professionnalisme pour accorder ses subventions. Cette commission a été d'ailleurs déjà installée auparavant, mais il s'est avéré finalement que c'était juste de la poudre aux yeux, histoire de clamer les esprits. J'avais demandé au ministre de l'époque, M. Djiar, de le faire, mais rien n'y fit... À vrai dire, vous préconisez de refaire le travail à zéro, c'est cela ? Malheureusement oui ! Nous avons perdu deux ans pour rien. Tenez, par exemple, la loi oblige le président d'un club à signer un contrat de travail avec la SSPA. Sur les 32 clubs en poste actuellement, aucun président de club ne possède ce contrat. Or il doit y avoir un contrat de P-DG. On n'entend jamais parler d'assemblée d'actionnaires. Rien n'est fait... En fait, tout le monde a compris que le professionnalisme c'est du bluff, c'est du pipeau ! Est-ce vrai que vous êtes le nouveau conseiller juridique du CRB ? Première nouvelle ! Peut-être que les gens ont fait le lien avec le fait que j'ai conseillé gratuitement la direction du CRB dans le dossier Angan. D'ailleurs, je conseille régulièrement beaucoup de clubs. Mais je ne postule pas pour un poste au CRB, un club cher à mes yeux. S. L Nom Adresse email