Le marché financier algérien, si discret depuis sa création voici plus de 15 ans, semble décidé, si on en croît les autorités du secteur, à sortir de sa léthargie. Beaucoup d'opérateurs et d'experts commentent les objectifs annoncés avec prudence. Cette fois, les choses devraient pourtant aller vite. Selon les déclarations récentes de Yazid Benmouhoub, le nouveau et jeune directeur de la Bourse d'Alger, à l'agence économique Reuters, les autorités algériennes espèrent atteindre d'ici cinq ans la cotation de 50 entreprises contre quatre à présent. Le gouvernement avait déjà annoncé, quelques jours plus tôt, que huit sociétés étatiques, parmi lesquelles figurent notamment des cimenteries mais aussi des entreprises aussi connues que Mobilis et le CPA, allaient prochainement entrer en bourse. "Le but est d'introduire sept à huit sociétés par an ; nous en prévoyons 50 d'ici cinq ans", a précisé Yazid Benmouhoud. Il ajoute que le gouvernement prévoit, à terme, une capitalisation boursière de 48 milliards de dollars contre 190 millions de dollars actuellement. "La capitalisation actuelle ne reflète pas la réalité de l'économie algérienne", assure le directeur de la Bourse d'Alger. Les responsables de la Bourse d'Alger ont en outre signé un accord préliminaire avec des conseillers financiers de la Bourse de Paris pour aider la place boursière algérienne, révèle le directeur de la SGBVA, "de manière à préparer l'arrivée d'investisseurs étrangers sur le marché. Nous prévoyons d'autres accords avec des bourses étrangères ; le but étant d'obtenir de l'expertise et d'accélérer le développement de notre stratégie", a également déclaré M. Benmouhoub. Des objectifs ambitieux Un programme aussi ambitieux a-t-il des chances d'être réalisé dans les délais annoncés par les autorités du secteur, et quelles seront les principales contraintes auxquelles il devra faire face ? Les experts auxquels nous avons posé ces questions se félicitent d'abord, à l'image de Adel Si Bouakaz, le P-DG de Nomad Capital, que les pouvoirs publics manifestent depuis quelques mois la volonté d' "impulser une dynamique" au marché financier algérien. Ils se montrent néanmoins assez prudents sur les objectifs de capitalisation annoncés, qui demanderont sans doute un "peu plus de temps que prévu". Pour Adel Si Bouakaz, il existe dans une première étape "un délai incompressible de préparation des dossiers d'entrée en Bourse qui est de l'ordre de 8 à 10 mois". Il devra notamment être mis à profit pour "choisir les sociétés de conseil qui accompagneront les entreprises, auditer les comptes et préparer les business plan prévus par la réglementation". De son côté Slim Otmani, dont l'entreprise NCA est la dernière en date à avoir été admise à la Bourse d'Alger, se montre plus sceptique et nous déclare : "C'est bien d'annoncer un programme. C'est bien aussi de tout mettre en œuvre pour le réaliser". Dans le même sens, Liès Kerrar, qui dirige Humilis Finance, rappelle que ce programme et ces objectifs "sont sur la table depuis près de 3 ans" et qu'il s'agit maintenant de "mener les actions pour l'appliquer." Donner la priorité à l'expertise nationale Pour accompagner les entreprises dans leur admission en Bourse, l'ensemble de nos interlocuteurs expriment le souhait que les pouvoirs publics fassent appel en priorité à l'expertise financière nationale qui est aujourd'hui bien présente dans le secteur ; même s'ils n'excluent pas l'éventualité d'appels d'offres nationaux et internationaux. Liès Kerrar défend cette idée avec vigueur en estimant qu'il est aujourd'hui "très important de faire appel à l'expertise nationale qui est disponible et qui a déjà fait ses preuves". L'entreprise qu'il dirige a d'ailleurs notamment accompagné beaucoup d'entreprises publiques dans les nombreux emprunts obligataires réalisés au milieu de la dernière décennie. Le patron d'Humilis Finance considère qu'une telle démarche "permettra de consolider les firmes locales existantes comme le montre l'expérience de la Tunisie ou du Maroc". Pour Liès Kerrar, le recours à des banques d'affaires étrangères pourrait en revanche se justifier "en cas d'ouverture de la Bourse d'Alger à des investisseurs étrangers, ce qui n'est pas encore le cas". Des entrées échelonnées Le programme d'entrée en Bourse des entreprises retenues par les pouvoirs publics devrait, selon nos interlocuteurs, s'effectuer de façon "échelonnée"» pour tenir compte des capacités d'absorption limitées du marché. D'autant plus que les huit entreprises publiques sélectionnées par le Conseil des participations de l'Etat ont été précédées par "2 ou 3 entreprises privées dont les dossiers de candidature sont déjà au niveau de la Cosob". Sans compter celles qui se préparent également à accomplir cette démarche, et qui seraient au moins au nombre de 4 ou 5. L'ampleur de l'appel à l'épargne que ces nombreuses entreprises vont effectuer risque d'être considérable au regard de la taille actuelle du marché financier algérien. Il dépendra en premier lieu du niveau d'ouverture du capital des entreprises qui sera retenu par les pouvoirs publics. L'hypothèse la plus couramment évoquée aujourd'hui est celle d'un minimum de 20%. En raison de la taille de son capital, le CPA pourrait cependant, nous dit-on, faire exception avec un niveau d'ouverture limité par dérogation à 5 ou 10%. Selon Slim Otmani, l'entrée en Bourse du CPA devrait en outre soulever une série de problèmes juridiques qui "rendront nécessaire la révision de la loi sur la monnaie et le crédit". Liès Kerrar élargi la réflexion en rappelant que les 20% d'ouverture du capital sont en fait "le minimum légal pour la cotation d'une entreprise en Bourse". Il souligne surtout que cette question renvoie à des enjeux plus importants qui sont, d'une part les "objectifs en matière de taille critique du marché financier algérien", et d'autre part "l'enjeu essentiel de la gouvernance des entreprises concernées qui doit évoluer vers plus de transparence et plus de performances économiques". Des conditions favorables En dépit de ses ambitions élevées, les chances pour ce programme de trouver un écho favorable auprès des épargnants ne sont cependant pas négligeables à condition, soulignent nos interlocuteurs, que "les opérations soient bien menées". On s'attend d'abord à ce que le Trésor "instruise les investisseurs institutionnels" pour jouer le rôle de locomotive et ouvrir la voie à l'épargne des particuliers qui n'a jamais été aussi importante. Pour Liès Kerrar, "les banques et les compagnies d'assurances publiques mais également les caisses de retraite ou d'assurance chômage ont un rôle essentiel à jouer dans l'animation du marché financier pour lequel elles n'allouent aujourd'hui aucun montant ; leurs excédents de trésorerie étant placés en totalité en bons du Trésor, notamment depuis l'affaire Khalifa". La réaction du marché pourrait être d'autant plus favorable qu'il a connu dans la période la plus récente très peu d'émissions d'obligations d'entreprises publiques ou privées. Avec l'arrivée de nouveaux titres à la corbeille, un autre chantier qui s'annonce est également celui de l'animation du marché : "Le public a toujours très bien réagi aux appels à l'épargne, souligne encore Adel Si Bouakaz, mais il reste encore sur sa faim, pour ceux qui ont franchi le pas, en raison de l'absence d'animation du marché. Ce que les investisseurs attendent c'est non seulement un rendement mais également une appréciation de leur titre". Dans ce domaine, le rôle des intermédiaires en opérations de Bourse (IOB) est essentiel, et la partie est loin d'être gagnée d'avance, comme le montrent (voir notre encadré) les réactions de certains opérateurs. H. H Nom Adresse email