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Interview de Liès Kerrar, P-DG d'Humilis Finance et président de Hawkama El-Djazaïr, Institut algérien de gouvernance des entreprises "Les banques ne doivent pas simplement prêter plus, elles doivent prêter mieux"
Liès Kerrar est, au cours des dernières années, un des experts financiers algériens les plus en vue et les plus actifs, tant sur les scènes professionnelle que médiatique. Réputé proche du FCE, il s'exprime sur les évolutions récentes d'un secteur bancaire algérien qui conjugue une rentabilité élevée avec une efficacité contestée. Liberté : Quelle appréciation portez-vous sur l'annonce récente de l'ouverture du capital du CPA via la Bourse ? Quels pourraient être, selon vous, les effets de cette ouverture du capital sur la gestion de cette banque publique ? Quel impact sur la Bourse d'Alger ? Liès Kerrar : Je ne commenterai pas le cas particulier du CPA, car, pour l'instant, il n'y a pas eu d'annonce sur le sujet par le management ou par l'actionnaire de la banque. De façon générale, il est positif et nécessaire que le secteur bancaire soit suffisamment représenté en Bourse. L'épargnant algérien doit pouvoir investir dans les entreprises de ce secteur de son pays, tout autant que dans les autres secteurs importants comme les télécommunications, l'énergie, le bâtiment et travaux publics, les matériaux de construction. Pour l'ouverture du capital en Bourse des banques publiques, il y a naturellement tout un travail professionnel à faire pour que cela se fasse dans les meilleures conditions et que cela réponde aux objectifs recherchés, tant pour le secteur que pour l'épargnant. Au niveau législatif, la loi bancaire a besoin d'être adaptée, car elle ne prévoit pas aujourd'hui la possibilité d'avoir des banques cotées en Bourse. Par exemple, les autorités bancaires doivent donner leur accord préalable à chaque changement d'actionnaire. Ce n'est naturellement pas compatible avec une banque dont le capital est coté en Bourse et dont l'actionnariat est appelé à changer tous les jours à chaque transaction boursière. Ce changement de loi n'est pas compliqué à faire : dans la plupart des pays, les banques sont cotées en Bourse et ont des autorités de supervision. Mais il faut le faire. Nous avions d'ailleurs transmis à la Cosob, il y a déjà plusieurs années, des propositions précises à cet effet. Ensuite, l'introduction en Bourse d'une banque publique nécessite une certaine préparation. En sus de la préparation qui est visible (évaluation, préparation d'une notice d'information...), il y a une certaine préparation stratégique à faire pour que l'introduction en Bourse se fasse dans les meilleures conditions, pour le management, l'actionnaire actuel et l'épargne algérienne. Dans la préparation d'une introduction en Bourse, nous prévoyons aussi généralement de préparer la gouvernance de la société à cet effet. Cela concerne, entre autres, le reporting et la publication des informations financières. Lorsqu'une entreprise est cotée en Bourse, elle est soumise à des obligations de publication périodique (états financiers et rapport de gestion semestriel) et continue (tout événement qui est susceptible d'influencer le prix des actions). Ainsi, la société est préparée pour que l'on s'assure que ses processus lui permettent de publier et diffuser cette information de façon complète, adéquate et en temps opportun ; et l'on s'assure que la direction et les administrateurs sont adéquatement informés sur la particularité de la gouvernance des entreprises cotées. Cette préparation est liée à la vision stratégique que l'on aurait de la banque et de sa gouvernance future. Ainsi, par exemple, il peut être envisagé, avant l'introduction en Bourse, de sortir des bilans de la banque tous les actifs qui ne correspondent pas à une exploitation commerciale normale. Le management de la banque cotée en Bourse n'aurait ainsi ni les rentes ni les boulets du passé, et pourrait se concentrer sur le développement d'une banque sur la base de son réseau et de ses ressources humaines. Le même CPA vient d'être annoncé comme la future "banque du logement" par les pouvoirs publics. Comment interprétez-vous cette décision ? Toutes les banques ont normalement vocation à intervenir dans le financement du logement. Traditionnellement, la Cnep était la banque qui était la plus investie dans ce secteur. Il n'est pas surprenant que d'autres banques se développent aussi dans ce secteur, car cela reste aujourd'hui le seul segment de crédit aux particuliers accessible depuis la suppression du crédit à la consommation. Néanmoins, les banques doivent rester attentives à la structure de leurs bilans, et l'appariement de leurs actifs avec leurs passifs. Le financement du logement a tendance à être sur de longues échéances et doit être financé par des ressources longues aussi. La Cnep vient d'opérer depuis la fin 2011 un "repositionnement stratégique" à travers des crédits d'investissements massifs octroyés essentiellement à des entreprises publiques, particulièrement à Sonelgaz. Cette concentration des crédits au profit d'une seule entreprise n'est-elle pas un facteur de vulnérabilité ? Je ne pense pas qu'il s'agisse vraiment d'un "repositionnement stratégique". La Cnep est une des institutions qui a connu des excès de liquidités importants ces dernières années. Cela provient de sa traditionnelle aptitude à récolter des dépôts, souvent placés par les particuliers à moyen ou long terme. Il est donc naturel que cette banque cherche à placer ses liquidités. La Cnep a toujours été un acteur majeur sur les marchés obligataires par exemple. La participation à des financements de Sonelgaz, par le biais du marché obligataire, de syndication bancaire, ou de façon directe, n'est qu'une façon de placer les liquidités. Il ne faut pas oublier que la Cnep rémunère ces dépôts. Il faut donc qu'elle trouve des emplois à ces ressources. En termes de concentration, la règle prudentielle de la Banque d'Algérie est que la banque ne doit pas être engagée envers un seul emprunteur à plus de 25% des fonds propres de la banque. Rien ne porte à croire que la Banque d'Algérie n'ait pas assuré le respect de cette règle. Le concept et la pratique de la "banque spécialisée" semble faire un retour en force dans la doctrine des pouvoirs publics algériens. Quels commentaires cette évolution vous inspire-t-elle ? Si c'est le cas, c'est lié à une conception étatisée de l'économie. Mais cela ne correspond pas au développement d'un système bancaire performant et compétitif. Le concept de banque spécialisée, c'est de l'histoire ancienne. Cela fait longtemps que le Crédit Agricole (maintenant Calyon) intervient dans autre chose que l'agriculture, et que la Banque nationale de Paris (maintenant BNP Paribas) a des agences ailleurs qu'à Paris. Le nom des banques n'est qu'une identité historique. De façon prudentielle, c'est plutôt l'inverse qui garantit la stabilité de notre système financier. Si les engagements d'une banque sont concentrés dans un secteur particulier, elle devient vulnérable à une mauvaise conjoncture du secteur, ce qui met à risque les dépôts. D'autre part, la "spécialisation" a tendance à diminuer la concurrence, alors que nous avons besoin de plus de concurrence dans notre secteur bancaire. Existe-t-il aujourd'hui, selon vous, un risque d'accentuation du dualisme entre des banques privées, surtout actives dans le financement du commerce extérieur, et des banques publiques fortement sollicitées par l'Etat pour financer l'investissement ? Toutes les banques sont impliquées dans le financement et les services liés au commerce extérieur : un volume d'affaires lié à nos 50 à 60 milliards de dollars d'importations. Depuis 2009, l'obligation du recours au crédit documentaire a "injecté" des revenus supplémentaires de l'ordre d'un milliard de dollars, juste en commission de crédit documentaire, dans le secteur. Cette activité concentre de fait la plus grande partie des ressources managériales des banques et est la principale source de leurs revenus. Si l'on combine cela avec nos carences en termes d'infrastructure du système financier, notamment la disponibilité et la fiabilité de l'information financière et des statistiques, il y a ainsi peu d'incitatifs pour le développement de la gestion du risque crédit. D'un autre côté, ce sont effectivement de façon vraisemblable les banques publiques qui interviennent plus massivement dans le financement de l'investissement, avec l'intervention directe ou indirecte de l'Etat. C'est utile et essentiel. Néanmoins, l'examen de l'historique des banques publiques montre que leur intervention "volontariste" a souvent nécessité des assainissements successifs par la suite. C'est pour cela qu'un travail de fond est nécessaire sur notre système bancaire, en remettant la gestion du risque de crédit au centre des activités des banques, privées ou publiques. Cela demande notamment à court terme du travail sur la disponibilité des informations financières (base de données disponible en ligne, des états financiers déposés au CNRC), l'implication de toutes les banques dans les initiatives reliées à la bonne gouvernance des entreprises, et la valorisation des fonctions d'analyste de crédit. Les banques ne doivent pas simplement prêter plus, elles doivent prêter mieux, c'est-à-dire prêter aux "bonnes" entreprises et de la "bonne" manière. Nom Adresse email