C'est un taxieur parisien. Il a une bonne bouille de maghrébin, des pommettes saillantes, le cheveu frisé et le regard doux, presque résigné. On commence à parler. Il a l'accent du bled à couper au couteau. Il me dit : "Vous êtes Algérien ?" Je réponds par l'affirmative. Il insiste : "Vous êtes vraiment Algérien ?" Je lui réponds :"Ça se voit un peu, non ?" Il s'excuse : "Je veux dire du bled, quoi ! Moi aussi, je suis Algérien, de Kabylie, et je m'appelle Arezki. Je peux vous raconter une histoire qui m'est arrivée avec le passager précédent, vous comprendrez alors mes précautions !" Il semblait agité. Il raconte d'abord son long combat à Paris où il vit depuis 8 ans, il a bouffé de la vache enragée, ne trouvant comme recours qu'un autre Maghrébin. Après avoir campé le décor, il en vient au cœur du sujet : "Je viens juste de déposer un monsieur d'un certain âge, très clair de peau, les yeux bleus, un Nordique quoi !" Il m'interroge : "Vous êtes d'où ?" Je lui réponds : Français, monsieur ! Il s'esclaffe: "Mais arrêtez de dire des bêtises, vous n'avez pas une tronche de Français !" J'ai été outré par son langage, mais comme j'ai appris le self-control dans un stage de formation que j'ai effectué pour devenir taxieur, je me suis retenu et j'ai répondu poliment : "Je vous assure, je suis Français, monsieur !" Il hausse le ton et me lance : "Je ne vous crois pas, avec votre tête et votre accent, vous m'avez tout l'air d'un Maghrébin !" Je réponds : "Je suis Kabyle !" Il rit : "Kabyle ? Vous voulez dire Algérien, vous voyez bien que j'ai raison !" Il se tut quelques minutes et me relance avec ironie : "Dites, pourquoi vous êtes venu en France ?" Je réponds : "Je suis venu pour travailler !" Il s'indigne : "Mais travaillez chez vous, nom de Dieu ! Votre pays est riche et tout reste à faire là-bas !" Je lui rétorque que je suis comme un oiseau qui vole de branche en branche et qui s'arrête là où il est le plus heureux. Il éclate de rire : "Admettons que vous êtes un oiseau, restez chez vous et ne venez pas bouffer le pain des Français !" Là, je n'ai rien répondu. Que répondre ? Je l'ai emmené dans la banlieue parisienne, dans une zone de beaux pavillons. Il me demande d'arrêter devant l'un d'eux. Et me lança : "Chhal kho ? (Combien frère ? )". Je suis resté bouche bée. Quoi, cet homme est un compatriote qui m'a mené en bateau pendant une bonne heure ? Puis je me suis dit que c'est peut-être un pied-noir nostalgique. Comment savoir s'il est l'un ou l'autre ? Ces pensées me compressaient la tête si bien que je n'ai pu articuler que difficilement le prix de la course. Il paya et me dit : "Au revoir kho !" en rigolant à la vue de ma face éberluée. Quel cauchemar ! Arrivé à Orly, il me fit une ristourne que j'ai refusée me permettant de lui laisser un pourboire. Il me lança : "C'est à ça qu'on reconnaît les vrais Algériens !" Si ce ne tenait qu'à ça... H. G. [email protected] Nom Adresse email