Parce qu'il avait l'accent algérois nous l'appellerons, faute de mieux, Boualem. C'est un prénom qui sonne comme un coup de canon : Bou-alem. Et il ressemble bien à notre homme. Nous sommes le 5 juillet dans un métro parisien. Il est 22 heures. Les lumières sont tamisées et les visages pales et défaits. Voilà qu'un homme monte dans la le wagon. Il toise des filles, blondes comme des épis, fixe agressivement les hommes dans un long travelling de défi. Et lance d'une voix forte : "Vous savez qu'aujourd'hui c'est la fête nationale d'indépendance algérienne, hein est-ce que vous le savez au moins bande d'ignorants ?" Et il ajouta un gros juron. Je fus le premier surpris : quoi un Français interpelle d'autres Français sur la fête nationale ! Car le bougre, au teint très clair ressemblait plus à un Allemand qu'à un Algérien type vivant en France. Vous voyez le genre : visage en lame de couteau, brun, trapu et la mine soit agressive, soit aux abois, dans tous les cas pas de quoi vous rassurer. Admonestés, fustigés, nobody n'a répondu. Même l'accordéoniste qui faisait la quête après nous avoir bercé avec "La vie en rose" a tout suspendu : et sa quête et sa musique. Il tendait l'oreille sous son béret basque. N'ayant pas eu de réponse, Boualem a poursuivi en reluquant les blondes créatures, accompagnées svp de leurs petits amis : "Vous nous avez colonisé plus de 130 ans et pas un mot gentil, pas un mot de félicitations ! Vous avez tout pris, vous avez massacré plus d'un million de personnes et pas un mot d'excuses !" Emporté par sa fougue, il oublia et les filles et leurs accompagnateurs, il recadra large en s'adressant à la multitude bigarrée : "C'est ça la France la mère des droits de l'homme ! Mon œil ! Si vous aviez tué autant de juifs que d'Algériens, vous auriez fait d'une 5 juillet le jour du grand pardon, une autre shoah, mais que vaut à vos yeux la peau d'un bougnoule !" La charge était rude. On s'attendait à ce que ce gaillard, long comme un jour de ramadhan, au style punk réponde. Silence de mort. Et cet autre au crâne rasé et à la mine patibulaire va-t-il mettre fin aux attaques de notre compatriote ? Va-t-il le pulvériser, car il le fait deux fois. Silence de mort. Enfonçant le couteau dans la plaie, Boualem remua profondément ce couteau acéré qu'est sa langue : "Personne ne répond ? Personne ne présente d'excuses ? Je m'y attendais ! Pas un seul homme digne de ce nom capable d'assumer les crimes de ce pays ! Bandes de lâches vous me dégoûtez !" Et à la station suivante, il quitta le wagon. Il fut le seul à descendre. Ce qui ne manqua pas de m'étonner, car la station était très fréquentée. Du coup la tension retomba. Les visages cramoisis reprirent des couleurs. J'entendis même des respirations, et je vis, oui je vis, quelques sourires éclairer quelques visages. L'ambiance redevint normale. La guerre d'Algérie est descendue du métro. H. G. [email protected]