Ce spécialiste prône une attitude de prudence concernant l'évaluation des réserves, relève qu'on ne peut bâtir une stratégie énergétique sur des donnés incertaines. Il souligne l'urgence de sortir de la dépendance de l'économie algérienne à l'égard des hydrocarbures et de fonder un modèle de consommation économe en énergie et axé sur le renouvelable. Liberté : Comment évaluez-vous l'évolution des réserves d'hydrocarbures de l'Algérie ? Abdelmadjid Attar : Il est difficile de répondre avec exactitude à cette question quand on n'a pas toutes les données en main, mais si on considère la baisse de production globale que le secteur lui-même affiche depuis 2008, elle ne peut être due en majorité qu'à un vieillissement des gisements dont la performance dépend en premier des volumes piégés restant à produire et des conditions de réservoir. Il est vrai qu'il y a eu aussi du retard dans la maintenance des plus anciens, mais cela signifie tout simplement que ces anciens gisements qui participent à plus de 60% de la production pétrolière et près de 80% pour le gaz n'ont plus la capacité, ni les réserves d'autrefois. Presque tous les gisements ont dépassé leur pic de production (communément appelé plateau de production), d'où la nécessité d'une maintenance continue. Cette maintenance permet souvent aussi d'augmenter le taux de récupération, et parfois même l'augmentation des réserves restantes, ce qui est déjà arrivé à plusieurs reprises et a permis un apport plus important que les nouvelles découvertes. Mon opinion est bien sûr basée sur les seules réserves prouvées (récupérables) et développées qui sont en baisse depuis quelques années, y compris pour toutes les découvertes réalisées en partenariat, notamment au cours des années 1990. Restent les réserves probables et possibles qu'on peut toujours comptabiliser, ou encore les espoirs de nouvelles découvertes, mais il faut attendre leur appréciation et leur développement. On ne peut pas bâtir une stratégie de développement sur cette catégorie de réserves. Pensez-vous que les intentions des pouvoirs publics porter les exportations de gaz à 85 milliards et la production de pétrole à 2 millions de barils/j soient opportunes ? J'aurais dit oui si vraiment chaque année en moyenne on a découvert, ou alors on est certain de découvrir à l'avenir en prouvé (récupérable) plus que ce qu'on produit, ce qui équivaudrait à la préservation de réserves stratégiques pour le long terme. Or, ce n'est pas le cas, et en a-t-on vraiment besoin aujourd'hui au risque de maintenir ainsi le pays lié à une rente pétrolière, unique ressource non renouvelable alors qu'il y a tant d'autres activités génératrices de richesses durables à développer ? Il est vrai qu'aujourd'hui et probablement encore pour de nombreuses années, l'exportation de gaz et de pétrole demeurera vitale pour l'économie du pays, comme il est vrai qu'il y a les risques dus à la compétition sur le marché mondial et une éventuelle baisse des prix. Mais à mon avis il vaut mieux se battre pour conserver ses parts de marché actuelles et un prix acceptable, garantir l'approvisionnement de ses clients, tout en continuant à n'exploiter de cette ressource que le stricte nécessaire et en laisser un peu aux générations futures. Il ne faut pas non plus croire que les hydrocarbures non conventionnels dont les volumes en place sont, certes, énormes vont bouleverser la situation et créer le "miracle US" où il semble que 45 000 puits ont été forés l'année dernière pour arriver à produire autant d'hydrocarbures non conventionnels. Ils pourront peut être, un jour, contribuer à l'augmentation des réserves récupérables après évaluation et essai de production, mais je doute fort qu'ils puissent contribuer à une augmentation de la production, vu non seulement les énormes investissements à consentir, mais surtout la performance de production de ce type de gisement. Avec les nouvelles découvertes opérées, peut-t-on être optimiste concernant nos capacités à couvrir notre demande énergétique et le soutien d'un niveau d'exploitation compatible avec nos besoins de financement de l'économie ? Pour la demande énergétique et en théorie, je pense qu'il n'y a aucun souci à se faire dans la mesure où l'approvisionnement de la consommation nationale est prioritaire. Les capacités de production d'hydrocarbures dépassent aussi très largement la demande intérieure et le demeureront encore pour longtemps, même sans nouvelles découvertes. Le problème est cependant ailleurs : jusqu'à quand continuerons-nous à dépendre essentiellement de la rente pétrolière ? Et faut-il continuer à assurer à long terme la demande énergétique croissante avec la même ressource non renouvelable ? Il y a un arbitrage à faire et des décisions courageuses à prendre en urgence : - une transition énergétique à travers un modèle de consommation de plus en plus «économe et renouvelable» qui semble être en bonne voie selon les programmes affichés par le secteur de l'énergie ; - une transition vers une rente basée sur de nouvelles richesses durables : «travail, productivité, et compétitivité». S. S. Nom Adresse email