Le ministre de la Communication a réussi à faire passer son projet de loi sur l'audiovisuel à l'APN. M. Messahel a dû néanmoins consentir à amender l'article 7 controversé de sorte à ce qu'il englobe une définition plus large du concept de chaînes thématiques. L'article devient : "Une chaîne thématique ou service thématique est un programme télévisuel ou sonore à l'adresse d'une catégorie déterminée de public, s'articulant autour d'un ou plusieurs sujets spécialisés". A l'APN, le vote sur le projet de loi relatif à l'activité audiovisuelle s'est déroulé en présence de 247 députés, ceux de l'Alliance de l'Algérie verte (AAV), du groupe parlementaire du Parti du développement et de la justice (PDJ) et du Front des forces socialistes (FFS) ayant voté non. Ce refus était motivé par le fait de ne pas limiter les activités audiovisuelles à des chaînes thématiques, de donner une indépendance à l'autorité de régulation audiovisuelle et faire en sorte que ses membres soient élus et non pas choisis et surtout de supprimer le droit à cette autorité de retirer les autorisations aux télévisions privées, entre autres. Par contre, pour le ministre de la Communication, la loi est une preuve de l'élargissement et l'approfondissement de la démocratie et consacre la liberté de la presse et d'expression dans tous les domaines, sans définir de chasse gardée pour le secteur public. Cependant, il est faux de prétendre que les chaînes thématiques soient moins rentables que les chaînes généralistes ou que le concept ne séduit pas beaucoup d'annonceurs. D'ailleurs, l'expérience des télévisions existantes montre que le caractère généraliste n'est pas aussi porteur qu'on le croit bien que ces entreprises facturent l'annonce publicitaire beaucoup moins cher que les chaînes publiques. Les annonceurs ne distribuent pas leur pub selon le caractère généraliste ou thématique d'une chaîne mais en fonction de sa qualité et de son audience. Au vu du contenu de certaines chaînes algériennes établies à l'étranger, le concept de généraliste n'est qu'un fourre-tout. Or, il suppose une véritable ligne éditoriale, une programmation rigoureuse élaborée dès la départ et sur l'année et non pas au jour le jour, ainsi qu'une production audiovisuelle et même cinématographique qui fournit des films, séries et documentaires de qualité, outre les reportages, émissions et programmes conçus et réalisés au quotidien. Si le public algérien se tourne de plus en plus vers les chaînes européennes ou arabes (tunisiennes, marocaines, libanaises, syriennes, saoudiennes ou même irakiennes), c'est que le bouquet national n'est point au niveau des attentes, que ce soit en matière de programmes politiques ou de divertissement, de sport et de culture. Dans son article 53, la loi stipule la création d'une Autorité de régulation de l'audiovisuel (Arav), chargée notamment de veiller au libre exercice de l'activité audiovisuelle, de veiller à l'impartialité du secteur public de l'audiovisuel et au respect de l'expression plurielle des courants de pensée et d'opinion dans les programmes des prestations de diffusion radiophonique et télévisuelle. Tout en étant supposée être une instance indépendante, l'Arav comprend cinq membres désignés par le président de la République, ainsi que quatre membres non parlementaires proposés par le président du Conseil de la nation et par le président de l'APN. Aucun membre n'est choisi par ses pairs des médias ; et c'est ce qui attesterait, selon certains, d'une volonté du pouvoir de verrouiller l'expression démocratique et plurielle. Or, en focalisant sur l'aspect politique et de liberté d'expression, ces critiques oublient des aspects beaucoup plus importants, qui nécessitent la collaboration de l'Etat et des professionnels et non pas des confrontations et des antagonismes permanents. D'ailleurs, ses concepteurs de la loi n'ont pas essayé de se débarrasser de leurs susceptibilités en passant en revue des évidences que tout journaliste est supposé connaître, comme le respect de l'unité, de la sécurité et de la défense nationales, des intérêts diplomatiques du pays, de ses valeurs et symboles et tutti quanti... Il est maladroit qu'une loi énonce ces obligations d'autant que l'une des missions premières du journaliste est justement d'informer sur le respect des lois. L'article 46 stipule qu'aucune autorisation d'exploitation d'une prestation de diffusion radiophonique ou télévisuelle n'est délivrée à une personne morale déjà titulaire d'une autorisation d'exploitation dans l'activité audiovisuelle. Cela signifie que les gérants d'entreprises de production audiovisuelle et cinématographique n'ont pas le droit de créer des chaînes de radio ou de télévision. La raison n'est pas donnée. Or, le lien entre les secteurs de la production audiovisuelle et cinématographique est fondamental pour le développement de ces secteurs. Les grandes chaînes de télévision, à l'exemple de Canal +, sont aussi productrices de films et de documentaires et c'est ce qui permet leur développement et rayonnement. Sans vases communicants entre les secteurs de la production télévisuelle et cinématographique et les chaînes de télédiffusion et de radiodiffusion, aucun de ces secteurs ne pourra se développer. Ce travers suppose que les auteurs de ladite loi n'ont pas travaillé en collaboration avec les cadres du ministère de la Culture, comme on le montrera avec d'autres points. D'ailleurs, le ministère de la Culture n'a pas non plus travaillé avec le secteur de la communication lorsqu'il a élaboré sa "loi sur le cinéma". S'agissant du contenu, le cahier des charges oblige les chaînes à diffuser 60% de programmes nationaux produits en Algérie dont plus de 20% consacrés annuellement à la diffusion d'œuvres audiovisuelles et cinématographiques. C'est le seul point qui met le secteur de la communication en symbiose avec celui de la culture et permet de stimuler la production cinématographique nationale. Mais pour être de son temps, il fallait que la loi n'oublie pas les productions théâtrales et les multimédias ni les expressions de l'art contemporain. En outre, la loi ne fait pas obligation aux chaînes de ne pas interrompre la diffusion de programmes ou de films par des annonces publicitaires à tout moment comme le font les chaînes arabes, sans respect aucun pour le téléspectateur. Par exemple, le CSA français interdit plus de deux interruptions publicitaires dans les œuvres cinématographiques et audiovisuelles qui ne doivent pas dépasser six minutes en tout. Outre les coupures publicitaires pour toutes les chaînes, en France, les chaînes publiques n'avaient pas le droit de diffuser de la publicité entre 20 h et 6 h, avant sa suppression totale. Or, la loi algérienne est handicapée de ce point de vue. Si cette lacune n'est pas comblée par de nouvelles dispositions règlementaires de l'ARAAV, elle ouvrirait la voie à toutes les dérives. Par ailleurs, le texte consacre l'importance du secteur public dont il lie la pérennité au critère de performance et la qualité, ce qui est à espérer car bien que nos chaînes publiques soient plus étoffées que les chaînes privées actuelles, elles sont en retard par rapport à celles de certains pays arabes qui ne savaient même ce que le mot télévision voulait dire il y a à peine trente ans de cela ! Si le critère de qualité doit être le maître-mot des chaînes privées et publiques, il est évident que les annonceurs eux-mêmes ne donneront leur publicité qu'aux meilleures chaînes. C'est d'ailleurs ce critère de qualité qui fera la différence entre les deux secteurs. La rupture avec le passé consiste en le fait que le secteur public sera lui aussi placé sous le contrôle de l'Arav. Le contenu technologique et esthétique Les débats sur cette loi, à l'APN comme dans les médias, se sont limités aux seules questions dites de "liberté d'expression", ignorant carrément les aspects technologique et culturel. Or, une loi sur l'audiovisuel ne sert pas uniquement à libérer l'expression et à donner le droit à la parole : elle sert surtout à promouvoir le pays et la société sur le plan des sciences et des technologies de la communication en général ainsi que dans les domaines artistique, scientifique et technique y afférents. Voulant cerner le côté politique et gêner l'opposition, la loi a complètement occulté le rôle de l'audiovisuel dans le développement, y compris au sens économique du terme. Lieu de créativité et d'inventivité, la télévision joue un rôle fondamental dans le développement en général et précisément dans la promotion des technologies de la communication et de l'audiovisuel et des médias en général. C'est aussi à l'aune de ses médias que se mesure l'importance et la grandeur d'un pays, outre le fait que ceux-ci, en général, et l'audiovisuel, en particulier, sont des vecteurs économiques importants en plus de leur participation à la création d'œuvres et de richesses artistiques et symboliques qui concourent au rayonnement international de ce pays. D'ailleurs, il est indéniable que le développement des arts et de la littérature est aujourd'hui intimement lié au développement des médias, qui jouent un rôle capital dans la diffusion et la promotion des œuvres de l'esprit, tous genres confondus. En temps de paix, comme en temps de guerre, les moyens de communication jouent un rôle essentiel ; et si des pays comme la Libye, la Tunisie et l'Egypte ont été fragiles durant le "printemps arabe", c'est parce qu'ils n'ont pas pu faire face à la guerre médiatique que les grands pays leur ont livrée, y compris par le biais d'Al Jazeera, grande chaîne d'un tout petit pays. Faute de faire de l'audiovisuel un outil de développement ou le vecteur d'une stratégie globale de développement mais un simple instrument de maintien d'un clan au pouvoir, la loi en question n'en fait pas non plus un vecteur offensif de la politique étrangère nationale. D'ailleurs, ces dernières années, notre télévision publique est hors jeu sur nombre de questions, dont celles relatives au Sahara occidental, au Mali ou à la Syrie où elle n'a fait preuve d'aucune imagination. Pourtant, la radiodiffusion et la télévision algériennes comptent parmi les premières au monde. Elles ont été créées durant l'époque coloniale par la France, qui était alors à la pointe de la technologie télévisuelle et radiophonique. Remontent à 1929, elles faisaient partie d'une station régionale dépendante de l'Office de la radio-télévision françaises, ORTF. Dans les années 1950, des techniciens de souche algérienne, comme M. Ouchikh, ont même participé à l'amélioration des techniques de diffusion et d'enregistrement. Aujourd'hui, les défis pour nos médias publics ou privés sont plus grands, d'autant que la communication en général et l'audiovisuel en particulier sont devenus des moyens stratégiques de positionnement et d'influence politique, économique et même militaire. Il n'y a qu'à voir l'importance qu'accordent des pays comme l'Arabie Saoudite et le Qatar à ces secteurs pour imposer leur idéologie et leur influence à travers le monde. Des pays comme la Tunisie et le Maroc, voire la Libye, ont beaucoup avancé ces dernières années dans un domaine où l'Algérie était en tête de file et qui se retrouve malheureusement dépassée. La forêt de paraboles qui couvre nos villes, villages et lieux-dits montre que les nouvelles chaînes privées n'ont pas apporté du changement ni répondu aux attentes du public national qui est toujours aussi sinon plus branché sur l'étranger que sur les chaînes locales. D'ailleurs, en 2006 l'institut algérien Abassacom a fait un sondage pour la Télévision nationale montrant que seulement 45% des Algériens se branchaient "une fois par jour" sur les chaînes nationales (ENTV, Canal Algérie et Algérie Canal 3) et 20% sur les chaînes panarabes. Venaient ensuite les chaînes françaises qui étaient regardées, selon l'étude, par 10 millions de téléspectateurs. Or, cette loi ne semble pas faite pour encourager le processus inverse bien que M. Messahel ait déclaré que "la principale préoccupation consiste en la réponse aux revendications des citoyens en matière de communication pour faire face à la concurrence étrangère". Certes, il est important que le taux de couverture des chaînes nationales dépasse actuellement 85% de l'ensemble de la population et devrait atteindre 95% en 2015, comme il est important que l'entreprise de télédiffusion d'Algérie (TDA) œuvre à l'élaboration d'un bouquet de six chaînes numériques, mais à condition que l'objectif soit de redorer l'image du pays sur la scène mondiale, pas celle du pouvoir. Ce n'est pas avec les images de remise des lettres de créances au président de la république ni celles relatives à l'activité ministérielle que la télé publique pourra reconquérir son audience nationale et toucher de nouvelles mais avec des informations crédibles et des programmes attrayants... Ne trouvant pas mieux que le Maroc pour se comparer, certains officiels disent que le royaume ne possède pas de chaînes privées mais seulement des télévisions à capitaux mixtes publics privés, comme Med1 ou 2M, qui sont cofinancées par des organismes publics et des sociétés locales et étrangères privées. Or, loin d'être une mauvaise chose, l'expérience marocaine est une très grande avancée par rapport à la vision manichéenne de ceux qui cherchent le clivage entre le secteur public et le secteur privé. Il est même souhaitable que l'Algérie reprenne l'expérience marocaine, qui existe aussi dans certains pays européens. Si le Maroc est bien avancé dans le domaine télévisuel, c'est la Tunisie qui a fait le plus de progrès en matière d'audiovisuel et la plus ouverte au privé. C'est d'ailleurs l'ex-président Ben Ali qui a ouvert ce secteur avec le lancement de deux chaînes privées, Nessma TV et Hannibal TV, et une radio privée, Mosaïque FM, lancée le 7 novembre 2003. La loi sur l'audiovisuel est une réelle avancée pour l'Algérie d'autant qu'un dispositif règlementaire n'est jamais figé ; mais pour être complète, une vision audiovisuelle doit aussi penser à l'indépendance du pays en matière de satellite TV, et pourquoi pas à la création d'un satellite africain pour être indépendant vis-à-vis d'Arabsat qui dépend d'une Ligue arabe versatile comme l'a montré le blocage des chaînes syriennes par celle-ci. A. E. T. Nom Adresse email