Résumé : Ma grand-mère replonge dans ses souvenirs pour nous rappeler qu'à ses quatorze ans, elle était déjà promise à notre grand-père, et qu'elle avait été la seule élue de son cœur. Elle lui avait aussi donné un garçon. L'héritier tant attendu. Je poussai un cri. Ma dent me torturait, et Djamil, mon cousin, prendra ma défense. La femme d'oncle Wahid était la fille unique d'un grand commerçant qui avait connu notre grand-père à l'époque faste. Le mariage avait été arrangé des deux côtés pour satisfaire les intérêts des uns et des autres. La noblesse ne s'achetait pas, et la richesse pouvait s'acquérir ou s'agrandir si on sait l'attirer. Wahid ayant trouvé la fille à son goût ne s'était pas fait prier pour l'épouser. Mais comme chaque belle-mère, grand-mère voyait en elle l'intruse qui lui avait volé son fils. Jamais, au grand jamais, elle ne leur pardonnera d'avoir quitté la grande maison pour s'installer dans un appartement en ville. Mais connaissant le caractère acariâtre de sa femme, grand-père avait donné son feu vert bien avant le mariage. Djamil se rassoit et grand-mère reprend sa place sur le "trône". C'est la mama de la tribu. D'ailleurs, on lui avait donné ce surnom des années plus tôt, alors que nous étions encore dans nos couches. Hormis ses enfants, tout le monde l'appelait mama, y compris le personnel de la maison. Le téléphone se remet à sonner. Je revins vers la réalité du moment. Quelqu'un devrait venir décrocher. Depuis que mon oncle Wahid s'est installé dans la grande maison, c'est-à-dire depuis le décès de ma grand-mère, quelques années plus tôt, beaucoup de choses ont changé. Le personnel qui y travaillait avait pris sa retraite, et l'entretien des lieux était revenu à ma tante. Il n'y avait rien à dire là-dessus. La maison luisait de propreté. La cour, la terrasse, le jardin, les escaliers..., tout respirait l'hygiène et la sérénité. On a envie de se laisser aller dans un fauteuil devant la grande fenêtre et de remonter le temps... Ah ! le temps ! Il filait tellement vite, qu'on a souvent du mal à nous rendre compte qu'on était déjà des adultes ! Djamil dévale les escaliers pour s'approcher du téléphone. Il me vit et me fait un sourire : - Tu es là Narimène ? Pourquoi restes-tu donc seule ? Je n'eus pas le temps de répondre, car il venait de décrocher le combiné. Je l'entendis répondre d'une voix suave tout en grimaçant, puis il donne un numéro de téléphone et une adresse, avant de lancer un merci hâtif et de raccrocher. Il revint vers moi : - Alors ma chère cousine ? Je hausse les épaules : - Alors quoi ? - Tout va pour le mieux ? Je hausse encore les épaules : - Si on veut... Je tente de faire contre mauvaise fortune bon cœur. - Ton nouveau boulot ne te plaît pas ? - Pas vraiment... Mais vu le chômage, je préfère prendre ce qui se présente. Il soupire : - C'est le cas de tous les jeunes de notre génération. Je suis dans l'administration et je t'assure que ce n'est pas le grand bonheur. - Ton père aurait pu t'aider à dénicher quelque chose dans ton domaine... Il a de bonnes relations et... Djamil lève la main, et je remarque ses traits tirés. - Tu connais mes relations avec mon père... Nous sommes les amis-ennemis. Depuis le décès de mama, il est devenu taciturne et autoritaire. A croire qu'elle lui a légué son caractère en héritage. - Tout de même Djamil, oncle Wahid n'est pas aussi sévère que ça. - Tu le penses ? Détrompe-toi. Il est devenu égoïste et avare... L'argent, rien que l'argent. Rien d'autre ne compte plus pour lui. Il a d'ailleurs laissé tomber les traditions et les mœurs familiales et tout ce qui pouvait faire de lui le digne descendant d'une longue lignée de nobles. - Voyons Djamil... Ne sois pas trop vieux jeu toi aussi. N'en as-tu pas marre de ces après-midi ennuyeux qu'on passait avec grand-mère, et des cérémonies religieuses qui s'organisaient avec tant de sérieux qu'on se croirait dans un couvent ? Les temps ont changé mon cher cousin... - Je ne dis pas le contraire, mais papa aussi a changé. Il pousse un soupir puis reprend son souffle avant de me demander : - Pourquoi restes-tu là, seule et mélancolique... Viens au salon, nous pourrions prendre un café et discuter. - J'aimerais bien, mais maman ne doit pas tarder à redescendre. Elle est avec... - Avec papa et le notaire. Oui, je le sais... Mais je pense qu'ils en ont encore pour un temps. Les affaires de famille sont tellement compliquées. - Hanifa pense que les filles ne doivent pas s'impliquer. (À suivre) Y. H. Nom Adresse email