Il est venu chaussé de ses gros sabots. Pour tout casser, tout rebâtir rapidement. Les grands malades se sont redressés sur leurs lits d'infortune. Et même les moribonds ont suspendu leur dernier souffle. L'homme-providence est enfin arrivé. Peut-être va-t-il les ressusciter ? De séminaires en évènements, de TV en TV, de journaux en journaux, on le voyait froncer les sourcils et promettre un changement rapide dans le secteur de la santé. C'est qu'il a le physique de ses mots. Pas de précautions oratoires, la langue est rude. Et parfois dure. Pourquoi pas, si ça donne des résultats. A défaut de changer les infrastructures, il allait changer les hommes. Il nous l'avait juré, il nous l'avait promis. L'opinion publique assistait à cette débordante activité en priant le ciel pour que ce ne soit pas que de la com. Khadidja Slimani, peintre de talent de son état, sexagénaire n'ayant pas les moyens de se soigner ailleurs, a confié son cancer aux hôpitaux algériens. Comme elle a entendu le ministre déclarer que les délais de prise en charge des cancéreux ont été écourtés dans les hôpitaux, elle l'a cru. Elle qui aime les artistes, s'est dit que Boudiaf est aussi un artiste dans son genre. Dame, il déclame qu'il a eu raison de la bureaucratie, du laxisme et du mauvais accueil. C'est plus qu'un artiste cet homme. Un ange. La tête dans un nuage, oubliant presque son sale cancer, elle se dirige vers le centre Pierre et Marie Curie de l'hôpital Mustapha. Après moult tribulations, de la fatigue, de la sueur, de la colère, de la frustration, de la déception et des interventions, elle décroche la Lune ? Non, un RDV pour une chimiothérapie dans des délais limités. Après la chimio, il faut qu'elle passe à une seconde étape : la radiothérapie. Armée de son courage, la photo de Boudiaf, son icone dans son sac, elle retourne au centre Pierre et Marie Curie. On lui fixe avec beaucoup de courtoisie un RDV en juin... 2015 ! Elle se pince pour voir si elle n'hallucine pas. Elle sort de son sac la photo de l'icône. Sur cette photo, Boudiaf a un air terrible, l'ange vengeur, c'est ce côté de justicier luttant contre la léthargie de son secteur qui a émerveillé l'artiste dont la nature sensible la pousse à idéaliser. Stupéfaite, elle l'interpelle, enfin sa photo : "Je pensais que les choses avaient vraiment changé. Que les cancéreux ne meurent plus faute de soins, je vois que rien n'a changé. Monsieur le ministre, d'ici juin 2015, j'ai tout le temps de mourir. Je ne vis plus en termes de projets, mais je survis au jour le jour, mourant un peu plus chaque jour devant la vie qui m'abandonne." Voyez l'élégance de la malade confrontée au choc du réel au-delà des promesses du ministre : elle ne l'accable pas, ne hurle pas, ne pleure pas. Si, un peu quand même. Deux ou 3 larmes de sang qui débordent, malgré elle, de son cœur. Que mille Khadidja meurent ! Puisque la vie d'un Algérien ne vaut pas celle d'un caniche ailleurs. H. G. [email protected] Nom Adresse email