"Vous êtes tous là, c'est une preuve que vous n'avez pas oublié combien ce pays a souffert et ce qu'il mérite", dira Saïd Sadi qui ne comptait pas prendre la parole, mais qui a dû s'y plier sous la pression de la marée humaine. Qui aurait cru qu'une marche à Tizi Ouzou pourrait encore drainer une telle foule que celle qui a déferlé, hier, dans les rues de la ville à l'appel du Rassemblement pour la culture et la démocratie, le RCD, qui aura réussi une véritable démonstration de force en faveur du boycott de l'élection présidentielle de ce jeudi, pour la transition démocratique et l'officialisation de tamazight. Des milliers de personnes ont pris part à cette marche populaire qui n'est pas sans rappeler les moments forts du combat démocratique et identitaire qu'a connu la région. Plus de 10 000, selon les organisateurs, environ 6 000, selon des observateurs. À 10h, le carrefour du 20-Avril était déjà noir de monde. Un dispositif policier discret est déployé dans les environs, mais aucune velléité d'empêchement n'est affichée. Des centaines de drapeaux en jaune, vert et bleu de la Kabylie et en jaune et bleu du RCD sont déjà déployés. "Pour une transition démocratique", "Pour l'officialisation de tamazight", "Démocratie = alternance au pouvoir", "Le boycott de l'espoir", "Ulac L'vot Ulac", "Non aux urnes de la maffia", "Pour un Etat unitaire régionalisé", "Système dégage", "La Kabylie n'est pas à vendre", "126 assassinats et aucun coupable", lit-on sur les banderoles arborées par-dessus les têtes des marcheurs répartis sur plusieurs carrés. 11h, la marche s'ébranle. Elle n'arpente pas encore la montée du stade du 1er- Novembre lorsque le président du RCD, Mohcine Belabas, apparaît à la tête d'un carré en compagnie du maire de Tizi Ouzou, Ouahab Aït Menguelet et plusieurs autres cadres de son parti. Quelques minutes plus tard, c'est l'ancien leader du parti, Saïd Sadi, qui fait irruption à la tête d'un autre carré. La foule devient alors hystérique. Elle scande à tue-tête et à gorge déployée les habituels slogans : "Y en a marre de ce pouvoir", "Mazalagh Dhimazighen" (nous sommes toujours des Amazighs), "Nidhal, nidhal, hatta yasqout ennidham" (la lutte, la lutte, jusqu'à la chute du régime), "Pouvoir assassin" ... La marche avance progressivement sur le boulevard Lamali Ahmed, puis le boulevard Abane Ramdane, plus communément appelé la Grande rue, pour se diriger vers le centre-ville de Tizi Ouzou où la marche s'est achevée sur un meeting animé par Saïd Sadi et Mohcine Belabas, qui se relayaient au micro sous les tonnerres d'applaudissements des milliers de présents tout autour du jet d'eau. "Il était temps que les fondations de ce pays soient refaites ; refaites avec la citoyenneté, avec vous tous, avec le peuple, parce que c'est le peuple qui va sauver l'Algérie. Ce n'est ni John Kerry, ni un diplomate espagnol, ni la France, ni le Qatar dont le candidat du régime a attendu le quitus avant d'annoncer sa candidature. Aujourd'hui, personne n'ignore que la main de l'étranger est à El-Mouradia", lancera Mohcine Belabas, avant de s'en prendre à Amara Benyounès qu'il défie après ses menaces. La foule répliquait en clamant : "Ulac L'vot Ulac !" "Si vous êtes tous là, c'est que le greffon de la vérité a pris et que le combat de la Kabylie qui a été long et dur se poursuivra, parce qu'il est juste. C'est une preuve que vous n'avez pas oublié combien ce pays a souffert et ce qu'il mérite", dira, pour sa part, Saïd Sadi, qui ne comptait pas prendre la parole avant que la marée humaine ne le réclame. L'occasion lui fut donnée alors pour plaider pour la transition démocratique, ce projet cher à toute l'opposition au système. "La transition démocratique est un mécanisme qui permet de sortir d'un système pour en construire un autre. On le dit depuis le temps de Zeroual et on nous demande de voter massivement, puis aller vers un mandat de transition. La transition démocratique n'est pas un garage de mécanique générale pour faire une révision du système. C'est plutôt l'arrêt du système, et sans cela, chaque jour de plus est un nouveau pas vers le chaos", explique Saïd Sadi. Et d'appeler à disqualifier l'élection présidentielle et de se mobiliser massivement pour le boycott : "Le boycott de la Kabylie aura un poids décisif sur l'avenir du pays tout entier. Il aura un poids parce qu'on va aller vers une nouvelle Constitution où on va pouvoir imposer l'officialisation de tamazight. Il faut aussi disqualifier cette élection pour la stabilité du pays", conclut Saïd Sadi, avant que la foule ne se disperse dans le calme, sans aucun incident. S L Nom Adresse email