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changement démocratique
Slogan publicitaire ou processus en cours de construction ?
Publié dans Liberté le 19 - 05 - 2014

Ô combien est chère la notion de démocratie pour l'être humain en général et pour l'intellectuel en particulier. Elle s'apparente, dans une large mesure, étroitement à la liberté et au droit ; ces concepts étant généralement indissociables. Et tout comme la liberté, elle s'impose en permanence en sujet d'actualité. Cependant, elle est exposée à la spéculation, qui va bon train de nos jours, de sorte qu'elle devient pour certains un instrument de campagne, voire de guerre, envers et contre tous. Un bref rappel des fondements de la démocratie est donc nécessaire. Etymologiquement, le terme démocratie est composé de deux mots grecs : dêmos, qui veut dire peuple et kratos, qui signifie autorité. Elle représente un régime politique où le pouvoir est exercé sous le contrôle du peuple, souverain, suivant le principe de la majorité. Le pouvoir est ainsi remis entre les mains de représentants élus au suffrage universel. Pour ce faire, un cadre constitutionnel et juridique est instauré. La liberté, dans toutes ses formes, et l'égalité, sans distinction de sexe, d'origine ou de rang social, sont les fondements de la démocratie. La diversité des nations, des coutumes, des religions, des besoins et des intérêts a conduit à l'introduction de notions dérivées. On parle par exemple de démocratie libérale, démocratie sociale, démocratie participative, démocratie économique, démocratie chrétienne, etc. Il y a lieu de souligner que si la démocratie se pratique en dehors de la morale, elle est inévitablement vidée de toute sa substance et devient un clinquant slogan sans plus.
C'est pour cela que les qualités morales sont à placer au-dessus de la démocratie. En effet, lorsque les représentants à qui le peuple a confié "son destin'' ne sont pas dotés d'un haut degré d'intégrité, d'honnêteté, de probité et de désintéressement, toutes les dérives sont à craindre. Aussi, si les valeurs dont se prévalent les personnes ne sont pas acquises de façon naturelle et avec vive conviction elles sont superficielles, éphémères et non productives, voire dangereuses. Être de bonne foi vaut bien mieux qu'avoir simplement la foi. À proprement dire, dès lors que la croyance en une idéologie ou une religion est enracinée au profond des êtres, ils se conforment spontanément, même avec empressement, aux concepts moraux véhiculés, auxquels ils témoignent une fidélité sans faille. La fidélité étant une noble qualité, une vertu, à ne pas apparenter à la servilité. Des générations entières de femmes et d'hommes se sont battu depuis fort longtemps pour la liberté et la démocratie. Sommes-nous arrivés, un tant soit peu, à approcher ce rêve ancestral ? Une des raisons majeures qui m'ont amené à m'exprimer à travers ces lignes est l'usage à tout va et disproportionné du concept de démocratie, sans lendemains. En effet, on entend par-ci et par-là des gens s'approprier le terme et pousser même l'indécence au point de s'autoproclamer "dépositaires de la démocratie". Ayant réquisitionné cette qualité, ils se sont arrogés le droit de la servir, au compte-goutte, à qui bon leur semble. Faut-il les remercier pour ce rôle ? Comme le ridicule ne tue pas, ils se permettent même le luxe de traiter tous ceux qui ne partagent pas leurs idées, parfois même ceux de leur camp, d'antidémocrates.
J'invite ce beau monde à balayer les discours éculés et les certitudes vacillantes en raison de leur obsolescence, à dépassionner les relations, à apaiser les esprits, à revenir au bon sens et à faire preuve d'humilité pour prendre en charge de façon propre, claire et simple, mais pas simpliste, les préoccupations de nos concitoyens; ce qui serait bien plus bénéfique pour tous mais surtout pour l'Algérie. Cette Algérie qu'on ne peut réellement servir avec dévouement et abnégation qu'en l'aimant et en aimant son peuple. Loin d'être une sinécure, Il s'agit là d'un exercice fastidieux subordonné à une relation passionnée et une discipline morale indéfectible et quotidienne. Une philosophie de vie qui évite de sombrer dans le vice, la corruption et la déchéance. Enfin, être nationaliste c'est être corps et âme dans son peuple comme un poisson dans l'eau. Est seigneur qui est habité de seigneuriales qualités de respect, de magnanimité et autres nobles sentiments pour ses semblables. C'est évidemment par l'éducation, bonne et continue, qu'on peut atteindre une telle "hauteur''.
À la lecture de ce qui se rapporte dans la presse, on peut tirer des rencontres dans différents forums organisés par l'opposition, ou du moins ce qu'il en reste, et aussi de ce qui se dit dans les cercles gravitant autour du pouvoir un heureux présage d'enclenchement d'un processus de changement démocratique de manière douce et pacifique. On ne peut que s'en réjouir. Pour relever un tel homérique défi, le commun des mortels vous dira qu'il faut réunir les porteurs du même projet autour de la table.
Le dialogue constructif, la concertation et le compromis au bénéfice de l'intérêt général doivent constituer le leitmotiv dans les débats à engager. Une question lancine cependant les esprits face à la foultitude de ratages : sommes-nous mentalement prédisposés à accomplir une si belle œuvre ? Mon Dieu, c'est que nous avons pris la mauvaise habitude de convoquer l'histoire et de rater à chaque fois le rendez-vous. C'est comme si ce valeureux peuple algérien était frappé d'un mauvais sort de décalage temporel entre lui et son désir de liberté et de démocratie. Il s'en ressent une affliction qui me rappelle ce que disait Ernest Hemingway au sujet de Marlène Dietrich, pour laquelle il fantasmait tant : "Nous avons été les victimes d'une passion mal synchronisée''. Les causes de la débandade ne sont plus à démontrer. Une société en grande partie phagocytée par les turpitudes des apôtres de l'obscurantisme et de l'intrigue aura du mal à s'organiser efficacement pour porter et faire aboutir la revendication démocratique. Une élite en grande partie peu ou mal engagée, souvent simple spectatrice, et des acteurs politiques, pour bon nombre d'entre eux, soucieux de leur carrière bien plus que des intérêts de la nation, sont d'amères réalités qui forcent le pessimisme. Les batailles de leadership compliquent d'avantage la tâche.
Ces fléaux ont été largement débattus dans la presse et autres forums pour ne pas trop s'étaler dessus. Il me semble en revanche pertinent d'ouvrir une parenthèse sur le phénomène de la suspicion et de l'absence de confiance, devenus avec le temps presque des traits de caractère collectif national. Ils sont à mon sens, après l'ignorance, des facteurs bloquants du développement et de l'établissement du processus démocratique. Lorsqu'on ne fait confiance ni à l'Etat et ses institutions, ni aux politiques, ni aux élus, ni aux entreprises économiques et leurs dirigeants, ni aux intellectuels et hommes de savoir, ni même à son voisin, on fait du sur- place. Même l'innovation est suspecte.
Le mal est présent à tous les niveaux et dans toutes les couches sociales. À ce propos il me vient à l'esprit une belle petite histoire du terroir, simple mais percutante par le message qu'elle nous livre. Un bon vieux père, habitant en pleine compagne, voulait initier son fils aux affaires du marché hebdomadaire du grand village. Pour ce faire, il lui confia la charge de vendre une vache au marché des maquignons et de faire ensuite des achats pour les provisions nécessaires à la famille, comme la farine, le sucre, le café, .. Il prit soin de lui prodiguer quelques conseils avant de le laisser partir. Mon fils, lui dit-il, le lieu pullule d'escrocs et de malins spéculateurs, tu devrais faire très attention. Le jeune homme, tout ouïe à son paternel et prenant très au sérieux sa délicate mission, s'en alla, imprégné des précieuses directives, accomplir son devoir familial avec une totale assurance. Au premier client potentiel qui s'approcha de la vache, il adressa un regard oblique, le toisant de haut en bas.
Le pauvre homme jugea plus sage de s'éloigner sans mot dire. Un éleveur de bétail, ne prêtant aucune attention à la mine contractée et sévère de notre héros, son vis-à-vis, proposa un prix. Et voilà que notre malin bonhomme lui répondit, en fronçant les sourcils : "Mais pour qui me prenez-vous, monsieur". Le malheureux s'éloigna sans demander son reste. Le jeune homme a ainsi passé tout son temps à distiller des politesses du genre "Vous pouvez la faire à d'autres", "Vous croyez que je suis né de la dernière pluie" , etc.. Même lorsqu'un vendeur voisin, voyant la bête beugler de faim, lui proposa un peu de foin, il repoussa l'offre avec une vive arrogance qui dissuada son interlocuteur d'insister. Ombrageux qu'il est, il s'est dit au fond de lui-même qu'il s'agissait d'une ruse pour tromper sa vigilance. Enfin, lorsqu'il ne resta sur les lieux du marché que la bouse, les cartons et autres légers sacs flottant en tous sens au gré du vent, il se résigna à rentrer au bercail. Les réserves de semoule, de café et autres aliments de base presque épuisés, le vieux papa et sa famille attendaient avec impatience le retour de "l'enfant prodigue''. Rentré les mains vides, exténué, traînant la pauvre bête au bout d'une corde, notre héros lança, au seuil même de la porte, fièrement au père déçu et fulminant : "Personne n'a réussi à me rouler". S'il y a un enseignement à tirer de ce modeste récit bien de chez nous, c'est que lorsque la prudence se transforme en suspicion maladive, elle peut entraîner au désastre.
Il est vrai que dans la couleur politique, les nuances sont bien plus nombreuses qu'il ne parait, mais les professionnels savent parfaitement pratiquer l'art de l'équilibre, pour peu qu'ils soient animés de bonnes intentions. L'espoir est donc permis. Mais sous réserve que les acteurs du dialogue national, annoncé aussi bien par le pouvoir que par l'opposition, convergent vers la seule option de la transition démocratique sans préjugés, sans conditions préalables, sans ambitions personnelles démesurées, en cultivant la tolérance et la quiétude, en s'affranchissant du paternalisme condescendant et en acceptant les différences et le débat contradictoire. À méditer la devise de la comédie française : "Être ensemble tout en étant soi-même''.
Pr B. T.
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