- Ton oiseau va bientôt arriver... Tu vas pouvoir le gâter ! Ouacila se tourne en souriant vers son mari. Son cœur se remplit de bonheur en pensant à ses fils. Mohamed allait bientôt arriver. Ali appelait ainsi leurs deux fils depuis qu'ils étaient venus au monde. Elle a fait plusieurs grossesses et elle a eu à enterrer plusieurs morts- nés. Pour la survie de sa petite famille et pour que ses "oiseaux" ne manquent de rien, elle s'était lancée dans la couture. Elle ne leur avait jamais permis de sortir en dehors des heures de cours. Elle craignait que les mauvaises fréquentations ne les détournent de la voie qu'elle leur avait tracée. On les appelait les fils à maman. Car elle ne les quittait jamais des yeux et ils ne faisaient rien sans son aval. Pour elle, ils devaient réussir leurs études. Que de nuits passées à s'user les yeux au travail ou à les veiller lors de leurs révisions afin qu'ils soient prêts pour les examens. Ils partaient propres et rassasiés. Elle leur glissait des morceaux de sucre dans les poches, leur recommandant de les prendre lors de la récréation. Ouacila était leur mère, leur soutien moral et financier. Leur père Ali travaillait mais n'avait pas d'entrée d'argent régulière et suffisante pour subvenir aux besoins de sa petite famille. Sans elle, leur vie aurait été misérable. Elle était ce qu'on appelait dans le dialecte algérien "m'ra ou ness", une femme et demie. Une femme capable d'assumer sa famille comme si elle était un homme. La famille et les amis la respectaient. Elle avait réussi là où d'autres échouaient. Ils n'avaient jamais raté leurs examens. Les premiers fruits récoltés, à ses yeux, étaient l'obtention du bac par Mohamed en 1977 et Rachid en 1979. Cerise sur le gâteau, les deux oiseaux iront faire des études à l'étranger. Mohamed se rendra en France et Rachid en Allemagne. A sa grande joie, ils ne connaissent pas l'échec même en étant loin de sa surveillance. Ils poursuivirent leurs études avec la même volonté à réussir. Ouacila s'accrochait à ses rêves. La solitude de l'appartement la laissait rêver. Elle avait des projets pour eux. Rachid ne pensait pas à rentrer. Mohamed avait rencontré une belle Française au doux prénom de Christiane. Ils vivaient ensemble depuis des mois. De son côté, Ouacila pensait déjà à le marier, avec une fille du pays, mais c'était compter sans les sentiments de son fils qui ne s'imaginait pas faire sa vie avec une autre. Elle n'en fit pas tout un plat, ne voulant pas se fâcher avec lui. Elle espérait qu'ils se sépareront sans qu'elle n'ait à intervenir. Elle le laissa mener sa barque à sa guise et préparer à sa thèse qu'il devait présenter à Paris. Ouacila attendait le coup de fil où il lui apprendrait l'obtention de son diplôme d'ingénieur en électricité. Ce grand jour arriva au mois de mars 1981. Ouacila était fière d'apprendre la nouvelle à toute la famille et aux voisines. Elle était heureuse d'avoir réussi sa principale mission, à instruire ses deux "oiseaux". Ils étaient un exemple dans la famille et dans le quartier. Elle était enchantée par la réussite de Mohamed, son fils aîné. Sa réussite était sa récompense. Elle ne demandait pas plus. Un mois après, Mohamed l'appelle pour lui apprendre qu'il avait l'intention de revenir au pays. - Je travaillerais dans une grande firme nationale ! J'achèterais un appartement spacieux dans un beau quartier ! Papa et toi, je vous gâterais ! - Tu me combles de bonheur, mon fils ! Je vais annoncer la nouvelle à tes tantes et à tous nos amis ! Quand rentres-tu ? - Je ne viendrais pas seul, l'avertit-il. Si tu veux mon bonheur, Christiane viendra ! C'est ma compagne depuis des mois et des mois ! - Soyez les bienvenus ! Tu es tout pour moi et j'accepte tout ce qui vient de toi ! Rentre vite mon fils ! Tu nous manques mon oiseau ! (À suivre) A. K. Nom Adresse email