Coincé entre Israël en guerre contre le Hamas, et une Syrie en proie, comme l'Irak, son voisin, à une offensive djihadiste, le Liban n'explose pas. La guerre civile attendue comme une évidence par tous les experts n'éclate pas. Une énigme dans une région totalement bouleversée. Début août, plus de 3000 djihadistes syriens du Front al-Nosra traversaient la frontière pour attaquer la ville libanaise d'Ersal à l'est. Ils venaient défendre l'un de leurs chefs arrêté par les autorités libanaises. Une semaine de combat, plus de 100 morts et 16 soldats libanais enlevés, dont certains égorgés. Sous-équipée, l'armée libanaise a rapidement plié face aux miliciens islamistes. Mais pressée par tout un peuple qui soutenait ses militaires, une délégation d'imams sunnites libanais a finalement négocié un retrait des agresseurs. Du 8 juillet au 26 août, c'est à sa frontière sud que le pays du Cèdre a connu sa deuxième guerre de l'été. Cette fois, entre l'armée israélienne et les miliciens islamistes du Hamas. Quelques roquettes furent tirées en direction de l'Etat hébreu, qui a immédiatement répliqué en bombardant le sud Liban. Deux conflits venus d'ailleurs qui auraient pu avoir des conséquences graves pour Beyrouth, mais qui pourtant n'ont pas dérapé. Depuis des années les 10 000 km2 du territoire libanais frisent la guerre civile, comme celle qui dévasta le pays entre 1975 et 1990. Mais le drame annoncé par les experts n'éclate pas. "Aujourd'hui, le monde entier s'attend à ce que le conflit syrien déborde chez nous", explique Waël, un homme d'affaires beyrouthin, et que "la communauté chiite avec son bras armé, le Hezbollah, affronte des milices sunnites soutenues pas l'Arabie saoudite très présentes au Liban. Mais notre pays tient". Depuis des mois pourtant, le Liban est secoué par des attentats réguliers entre chiites pro-iraniens et sunnites pro-saoudiens. Les enlèvements, les assassinats se multiplient, mais le conflit reste circonscrit à des quartiers, des communes, sans se propager au pays. Au nord, les régions d'Akkar ou du Hermel sont minées par les conséquences du conflit syrien. Tripoli, la grande ville du nord Liban, est le théâtre d'un face-à-face meurtrier entre la communauté alaouite, des chiites partisans du régime de Bachar al-Assad, et le clan sunnite anti-régime syrien. Une situation explosive à laquelle s'ajoutent les réfugiés syriens qui chaque jour traversent la frontière, plus nombreux, renforçant un sentiment d'insécurité très fort. Plus d'un million de Syriens. Un vrai problème pour ce petit pays de 4 millions d'habitants qui, depuis mai, n'a même plus de président, et dont la classe politique se déchire entre pro et anti-régime syrien. "Conséquence, analyse Mahmoud, médecin à Tripoli : nos institutions sont paralysées. Nous n'avons plus d'Etat. Tout nous conduit au désastre". Et pourtant le Liban ne s'embrase pas. Malgré une situation politique catastrophique, la guerre annoncée par le monde entier n'éclate pas. Le conflit syrien ne déborde pas. Dans les rues du centre de Beyrouth, dans les villes côtières, voire à Tripoli, à la vue des terrasses de cafés bondées, des restaurants qui affichent complet, des boîtes de nuit où la fête bat son plein, comment croire que la guerre peut frapper demain ? Sur l'autoroute du front de mer, les pare-chocs des grosses cylindrées encombrent la voie. Les émigrés libanais reviennent comme chaque été dépenser leurs euros et leurs dollars sur le marché libanais. Le pays se gouverne tout seul. Sur les places publiques, si les propos sont violents, ils ne dérapent pas. A l'image des Algériens, fatigués d'une guerre civile de plus dix années (1988-1999) et qui, en 2011, n'avaient pas suivi la Tunisie et la Libye sur la voie de révolutions arabes, les Libanais se remémorent les affres du conflit interlibanais qui a détruit leur pays entre 1975 et 1990. Ils n'ont plus envie de se battre. "Les jeunes, souvent hyper diplômés, savent où la guerre mène", analyse Tony, un chirurgien qui a vécu plus de dix ans aux Etats-Unis, mais qui est revenu s'installer au pays natal. Autre motif invoqué par un général libanais à la retraite : "Si le Liban s'embrasait, si l'islamisme s'y développait, les conséquences seraient désastreuses pour les pays du Golfe, l'Iran, Israël et l'Occident." "La communauté internationale a besoin d'un territoire stabilisé dans la région, d'une plate-forme pour se rencontrer et négocier", confie l'ancien officier, sous le couvert de l'anonymat. Pour toutes ces raisons, le Liban reste préservé. Un miracle ! ... Certes, mais jusqu'à quand ? Nom Adresse email