Comme il fallait s'y attendre, la Cour suprême a rejeté, jeudi dernier, les pourvois introduits par la défense des prévenus en vue de casser l'ordonnance de renvoi de la chambre d'accusation. Cela signifie que l'affaire de l'autoroute Est-Ouest sera renvoyée à nouveau au niveau du tribunal criminel de Sidi-M'hamed en vue de la programmation d'un procès qui s'appuiera sur l'arrêt de renvoi initial. En d'autres termes, les chefs d'inculpation resteront les mêmes, les demandes de liberté provisoire, la levée du contrôle judiciaire formulées par certains détenus sont refusées et les vices de forme relevés par les avocats n'ont pas été pris en compte. Cela veut dire aussi, que certains hauts responsables — ministres et intermédiaires — cités par les accusés lors de leurs auditions devant la justice ne seront pas inquiétés et qu'aucune expertise ne sera effectuée pour évaluer le préjudice financier. Au nombre de dix-huit, quatre des accusés sont en détention préventive et un est en fuite. Dans le lot des entreprises incriminées, des sous-traitants étrangers de Citic-CRCC. Tous doivent répondre des chefs d'inculpation suivants : association de malfaiteurs, trafic d'influence, corruption et blanchiment d'argent. Mais à lire leurs dépositions, la plupart des accusés ne sont que des acteurs secondaires dans le vaste système de corruption. L'ex-ministre des Travaux publics en charge du projet à l'époque des faits, Amar Ghoul, a été auditionné par écrit par le juge, en tant que témoin. Il a répondu à dix-sept questions, notamment concernant la réalisation de ce projet qui devait se faire selon le principe "pétrole contre autoroute", sur sa relation avec l'homme d'affaires et marchands d'armes Pierre Falcone et Boussaïd Nasreddine dénommé Sacha et le lien de ces derniers avec le projet de l'autoroute Est-Ouest. Cité par l'homme d'affaires Sid-Ahmed Tajeddine Addou comme l'architecte du système de corruption mis en place, Pierre Falcone n'a même pas été entendu par le juge en charge de l'affaire. À croire Sid-Ahmed Tajeddine Addou, Pierre Falcone aurait empoché 9% des deux contrats (lots centre et ouest) enlevés par le consortium Citic-CRCC. Mais, c'est l'homme d'affaires et puissant lobbyiste Chani Medjdoub qui devient vite l'accusé principal d'un scandale dont le total des commissions et pots-de-vin est évalué à près d'un milliard de dollars. Chani Medjdoub aurait, selon des enquêteurs du DRS, profité de ses relations à différents niveaux de l'Etat pour favoriser les compagnies chinoise et japonaise lors des procédures d'appels d'offres. Chani Medjdoub sera donc, le premier suspect à avoir été arrêté par les services de sécurité, à sa descente d'avion en provenance de Paris. Ses aveux ont permis l'arrestation de six autres personnes. Deux groupements chinois et japonais avaient remporté le marché de l'autoroute Est-Ouest algérienne, le plus grand chantier de l'histoire du pays sur 1 216 km de bitume. Le groupement Citic-CRCC chinois avait des contrats de 5,2 milliards de dollars signés au printemps 2006 pour la réalisation des tronçons ouest (399 km) et centre (169 km). Plus tard, le groupement Citic-CRCC exigera une rallonge de 650 millions de dollars pour financer une solution pour la chaussée non prévue dans le cahier des charges, pouvant entraîner 10 à 15% de coût supplémentaire. Actuellement, le coût de réalisation de cet important projet autoroutier est estimé officiellement à plus de 11 milliards de dollars contre une prévision initiale d'environ 7 milliards de dollars, sans les annexes et travaux de réfection, sous réserve que n'existent pas d'autres réévaluations. Le montant du marché est le plus élevé pour un contrat en Afrique. L'ancien directeur des nouveaux projets de l'Agence nationale des autoroutes, Mohamed Kheladi, a révélé à la justice que le groupe chinois Citic-CRCC a proposé une matière première qui ne répond pas aux normes et au cahier des charges du projet de l'autoroute Est-Ouest. En l'occurrence, le tuf traité au ciment et les poutres précontraintes au lieu du gravier non traité (GNT) tel qu'il a été convenu dans le contrat. Il a, par ailleurs, soutenu que le groupe chinois a tenté de comptabiliser cette matière première de second choix au prix du gravier non traité. Le procès public, en attente de sa programmation, permettra-t-il d'établir la part de vérité dans les révélations de Sid-Ahmed Tadjeddine Addou, mais aussi dans celles de Mohamed Kheladi, ancien directeur des nouveaux projets à l'Agence nationale des autoroutes (ANA), concernant l'ex-ministre des Travaux publics, aujourd'hui ministre des Transports, accusé d'avoir empoché des commissions de la part de Citic-CRCC ? Connaîtra-t-on le lien de Ahmed Béjaoui, l'ex-ministre des Affaires étrangères, cité comme devant faire partie d'un conseil ministériel restreint boycotté à la dernière minute par le ministre de l'Energie, Chakib Khelil, qui aurait contesté, selon Chani, la présence de Pierre Falcone. Au train où vont les choses, ce procès, en attente de sa programmation, a toutes les chances de laisser en suspens beaucoup de zones d'ombre.