Le Président a sa façon bien à lui de faire de la politique : c'est lorsque tous les voyants virent dangereusement au rouge dans son pays qu'il préfère se trouver à l'étranger. La coïncidence est remarquable, voire saisissante : c'est au moment où le président Bouteflika tente, à Madrid, de convaincre les hommes d'affaires espagnols d'investir leurs fonds en Algérie que le Parlement européen se propose d'adopter une résolution qui est plutôt de nature à les en dissuader. Comme il l'avait fait maintes fois auparavant, devant les représentants du Medef notamment, Abdelaziz Bouteflika, flanqué d'une “importante délégation” comme on dit à l'ENTV, a fait devant les détenteurs madrilènes de la finance, un long exposé des opportunités d'investissements qui s'offrent à eux en Algérie. Un exposé exhaustif et, bien entendu, soutenu par le “discours-démarchage” habituel : “La paix revient progressivement et nous nous sommes attelés à reconstruire notre pays sur des bases démocratiques et libérales.” Cette phrase, extraite de l'allocution du chef de l'Etat devant le Parlement espagnol, aura certainement sonné faux aux oreilles des députés européens dont le projet de résolution porte, précisément et pour l'essentiel, sur les réformes économiques et sociales d'une part et la démocratie et les droits de l'homme, d'autre part. Si tant est que ces sphères de la vie publique peuvent faire l'objet d'approches séparées ou encore déconnectées des véritables luttes qui sont encore à mener : celles contre le terrorisme et contre la prédation économique. Autant de dossiers envers lesquels le Parlement européen se montre très sensible, très regardant, allant jusqu'à en tirer des exigences à l'endroit de l'Algérie. Il fut un temps, certes, où une telle initiative de l'“assemblée des Quinze” pouvait, à juste titre, être inscrite dans la logique de l'“algéro-scepticisme” qui, pendant longtemps, avait grandement contribué à l'isolement du pays. Mais, a contrario, l'on se trouve forcé, à présent, d'admettre que le constat des députés européens est nettement plus proche des réalités algériennes que les incantations répétées et, par ailleurs vaines, du chef de l'Etat. Ces députés, comme leurs concitoyens hommes d'affaires et investisseurs, savent qu'en Algérie le terrorisme frappe toujours, menaçant encore les personnes et les biens, et que la rapine n'a jamais été aussi florissante dans notre pays, aujourd'hui que des affaires de corruption éclaboussant les plus hautes sphères de l'Etat sont devenues du domaine public. Ces députés savent que le pouvoir d'Alger, au centre duquel se trouve le tandem Bouteflika-Zerhouni, préfère mobiliser des dizaines de milliers de policiers en Kabylie pour protéger des bureaux de vote et des électeurs fictifs qu'à Relizane, Aïn Defla, Chlef et Médéa où des centaines de familles vivent quotidiennement avec l'angoisse d'une descente terroriste nocturne. Il est vrai que, chez nous, seuls les dentistes et médecins, fraîchement sortis des facultés, sont sommés d'aller exercer dans les lointaines contrées du pays profond, sans doute par populisme plutôt que par souci d'assurer quelque couverture sanitaire décente aux populations rurales. Les corps de sécurité, eux, sont plus utiles, aux yeux du pouvoir, en Kabylie où la contestation citoyenne bat son plein qu'ailleurs où le terrorisme islamiste sévit. Tout cela, les députés espagnols auxquels s'est adressé le chef de l'Etat le savent aussi bien que les représentants du Medef. Et les parlementaires européens ne font que le reprendre à leur compte. Abdelaziz Bouteflika peut, dès lors, et à satiété, discourir sur le monde de l'après-11 septembre. Il sera écouté le temps de son discours. Car son auditoire, dont les sources d'informations sur l'Algérie sont loin de se limiter aux thèses officielles, sait également qu'à Alger, on s'attelle à organiser, demain, des élections qui promettent affrontements et répression et qui ne garantissent que la fraude. Mais Bouteflika a sa façon bien à lui de faire de la politique : c'est lorsque tous les voyants virent dangereusement au rouge dans son pays qu'il préfère se trouver à l'étranger. Et cela procède de son triomphalisme à toute épreuve. S. C.