Du beau monde était présent, hier, à la maison de la presse Tahar-Djaout. Le rassemblement, auquel a appelé le comité national pour la libération de Mohamed Benchicou et de Hafnaoui Ghoul, est une réussite éclatante. Il a drainé la foule. Plusieurs centaines d'hommes et de femmes de tous les segments de la société (des journalistes, des avocats, des acteurs de la société civile, des responsables de partis politiques, des moudjahidine…) ont bravé le temps pluvieux pour marquer leur présence à “la citadelle des libertés” et exprimer leur solidarité avec Mohamed Benchicou et Ghoul Hafnaoui, jetés en prison injustement. Exiger leur libération aussi. L'espace d'une heure, la société civile a prouvé, à elle-même d'abord, puis à ses adversaires du jour, que sa verve contestataire est loin de s'être émoussée. Ses ressorts sont plus que jamais intacts pour livrer bataille malgré la douche écossaise du 8 avril. Son message ne souffre d'aucune ambiguïté. Elle ne compte pas se laisser faire et s'opposera de toutes ses forces à l'entreprise liberticide rampante. Mais quelque temps avant la tenue de la rencontre, la pluie qui commence à tomber suscite quelques appréhensions chez certains confrères quant à la réussite de la rencontre. “Même les cieux sont avec Bouteflika”, plaisante Kamel Amarni. Même sous la pluie des grappes de personnes se formaient çà et là discutant de tout et de rien. Les rangs grossissaient au fur et à mesure que se rapprochait l'heure de la tenue du rassemblement. L'élément féminin est dominant. Des jeunes filles et des femmes d'un certain âge rajoutent du charme et du piquant à cette belle communion de la grande famille des défenseurs des libertés. Outre des citoyens anonymes, il y a la présence de personnalités plus au moins connues. La mère de Benchicou et le frère de Hafnaoui étaient là. Même très âgé et malade, l'impénitent et infatigable militant des droits de l'Homme, le président de la LADDH, Ali Yahia Abdenour, y a fait le déplacement. Remarquable aussi la présence de représentants de partis politiques, tels Djamel Ferdjellah, Khalfa Mammeri, Saïd Azzamoum et Mohsin Bellabes du RCD et Yacine Teguia du MDS. Celle de l'ex-ministre délégué auprès du Chef du gouvernement chargé de la communauté nationale à l'étranger, Fatiha Bouchemla et des moudjahidate Louisette Ighilahriz et Fatma Ouzeguène n'étaient pas passées inaperçues. Ont pris part aussi à cette rencontre des acteurs de la société civile comme l'ex-ministre de la Culture, Abdelaziz Rehabi, Abdelhak Bererhi et M. Zerrari dit le commandant Azzedine du CCDR, le président du SNPSP et des animateurs des archs, à l'image de Belaïd Abrika, des avocats de Mohamed Benchicou et bien sûr les professionnels de la presse. C'est avec une petite demi-heure de retard qu'ont commencé les prises de paroles devant le siège d'El-Khabar où une banderole sobrement écrite en rouge portant le slogan “Libérez Benchicou et Hafnaoui” est juste élevée. Le premier à prendre la parole, Rabah Abdellah, secrétaire général du SNJ, qui s'est dit être là “pour défendre notre droit d'informer. C'est aussi le droit du peuple algérien”. Après avoir brocarder “l'entreprise liberticide officiellement assumée”, il s'est félicité de ce rapprochement entre la société civile et la presse. “On ne doit absolument pas nous résigner à la fatalité. Il faut mener combat pour l'Algérie. Il faut une forte mobilisation pour que cesse le harcèlement contre la presse et arrêter l'entreprise de normalisation totalitaire”, s'est-il écrié. “C'est inadmissible et intolérable qu'un journaliste soit jeté en prison. Il ne faut pas se tromper d'ennemi et de mobile. Au Matin on ne déviera pas de notre ligne. Parce que nous avons raison”, estime, pour sa part, Ghania Khelifi, directrice de rédaction du Matin. En prenant la parole, le frère de Hafnaoui a assuré de la disponibilté de sa famille au sacrifice face “à la machine répressive” Incontestablement, l'intervention la plus émouvante est celle de Ali Yahia Abdenour qui, du haut de ses 80 ans, trouve la force pour crier haut toute son indignation de cette nouvelle escalade contre la presse indépendante. Pour lui, trois enseignements sont à retenir. D'abord l'émotion qui, à ses yeux, doit “rester chez tous les Algériens”. Ensuite, la condamnation estimant qu'il n'y a pas lieu d'“accepter que l'intolérable soit tolérée, l'inexcusable soit excusé”. Enfin la réflexion. “Nous faisons tous ici le même diagnostic, à savoir que nous vivons dans un pays de dictature. Nous partageons le même constat et nous sommes tous mobilisés pour la même idée et la même orientation, la démocratie, la défense des droits de l'Homme et la liberté d'expression… Ce sont les acteurs politiques qui sont divisés. Il faut dépasser toutes les contingences et les différends personnels.” Se référant au cas Bouras, il pense que sous la pression internationale, Benchicou sera relaxé au bout de trois semaines. “Le pouvoir écrase tout le monde, mais s'incline devant la pression internationale”, explique-t-il. “L'Algérie est en danger, mobilisons-nous. Nous triompherons quelles que soient les difficultés” conclut-il. Pour sa part, Omar Belhouchet, directeur d'El Watan, s'est dit “réjoui qu'il y ait tant de monde. C'est prometteur. Car, en face, les autorités sont décidées à mettre entre parenthèse l'expérience démocratique et toutes les libertés démocratiques”. “Nous ne sommes pas impressionnés. Nous allons nous battre. Nous leur livrerons une lutte implacable. Hier, la mort ne nous a pas fait peur. Ce n'est pas le spectre de la prison qui nous ébranlera”, a-t-il promis avec force. Un professeur à l'Université de Québec, Rachid Beguenane, sa petite entre les mains, n'a pas manqué d'attirer l'attention en s'écriant, la voix larmoyante, “Y en a marre !”. La harangue de Belaïd Abrika, venu exprimer “sa solidarité agissante aux camarades journalistes incarcérés par le pouvoir assassin”, est souvent entrecoupée par des slogans des archs comme “Ulac smah ulac” et “Pouvoir assassin”. Un représentant des citoyens de T'kout déplore que “l'Algérie est devenue une grande prison”. C'est aux environs de 13 h 20 que le rassemblement a pris fin. “Nous n'allons pas baisser les bras”, lance Rabah Abdellah à l'adresse de la foule. A. C.