L'Algérie et le Maroc viennent de signer, à titre officiel et de façon palpable, l'acte premier de leur laborieuse entreprise de réchauffement diplomatique. Auteur de l'erreur historique qui l'a vu instaurer, en août 1994, une stupide procédure de visa pour les ressortissants algériens, le royaume fait symboliquement le pas inaugural du renouveau bilatéral. Le roi Mohamed VI, en décidant, vendredi, de supprimer cette procédure, répond à la fois à une condition ferme et à un souhait réglementaire exprimés par le président Abdelaziz Bouteflika et par ses prédécesseurs à la tête de l'Etat. Il fallait absolument réparer l'erreur pour prétendre à une quelconque réhabilitation de relations diplomatiquement normales et acceptables, voire profitables aux deux parties. À l'été 1994, au moment où l'étau se resserrait sur un pays ensanglanté par le terrorisme islamiste, boycotté par les grandes capitales du monde, rongé par ses carences administratives, étouffé par ses engagements économiques et ses exigences sociales, l'hospitalité des voisins présentait une importance majeure. Les attentats de Marrakech, perpétrés en juillet, avaient, au contraire, conduit le Maroc à aggraver l'isolement, à précipiter l'écroulement. Le royaume fait donc amende honorable, dans un contexte international marqué par la pression occidentale à propos de la question sahraouie, la résurgence apparente du conflit d'influence entre l'Europe et les Etats-Unis et, surtout, la recherche accélérée d'extension de zones économiques par le Vieux continent et le Nouveau monde. Mohamed VI n'a pas cédé à sa politique de prudence excessive à l'égard de son voisin, il a simplement lâché du lest dans la perspective des futures négociations groupées concernant l'inéluctable nécessité d'intégration régionale, dictée par des mouvements incontrôlés de part et d'autre. L'Algérie prend acte, avec satisfaction, mais se donne le temps d'apprécier à sa juste valeur la décision. Le temps est en effet déterminant parce que la résorption, les questions de fond ne sauraient découler d'une mesure symbolique qui lave l'affront d'une dizaine d'années extrêmement préjudiciable, au plan moral. La détente va encourager Alger à entreprendre des démarches mieux ciblées, plus maîtrisées dans le but de permettre aux commissions techniques de s'extraire des efforts de rapprochement et s'employer, en toute sérénité, à assainir les différends, aplanir les divergences et régler les contentieux. Le processus — dont fait partie cette décision de suspension des visas — ne devrait pas être court, les dossiers étant tellement lourds, complexes et profonds : sécurité aux frontières, coopération dans le domaine terroriste, lutte contre l'immigration illicite, répression de la contrebande, etc. Si la patience a été de mise pendant dix ans, elle doit se prolonger doucement, sans heurts ni affolement. L'opportunité est si grande de réexaminer les termes de la mésentente mot-à-mot, les analyser à la virgule près, les réétudier de manière plus efficiente, histoire d'éviter leur reproduction et de les renouveler dans un modèle à garantie de succès maximum. L'immaturité a abouti au déclenchement de la “Guerre des sables”, à l'automne 1963, la boulimie a occasionné la première fermeture des frontières, en décembre 1975, la méchanceté a ramené les deux pays à une situation identique, en juillet 1994. Depuis l'accession de M. Bouteflika au pouvoir, en avril 1999, et l'accession du roi Mohamed VI au trône, en juillet de la même année, les intentions de bonne volonté réciproques ont succédé à des accusations unilatérales en tout genre. Les visites, au niveau des ministres de l'Intérieur et des Affaires étrangères, ont foisonné mais la concrétisation des objectifs ultimes a échoué. Abdelaziz Belkhadem avait affirmé, au moment (les 19 et 20 juillet dernier) de la visite à Alger de Mostafa Sahel, homologue marocain de Noureddine Yazid Zerhouni, que le sommet entre le chef de l'Etat et le souverain chérifien ne pouvait se tenir ailleurs qu'en Algérie ou au Maroc. Car seul un sommet présente la probabilité d'un début de règlement des questions de fond entre les deux pays. La suppression des visas est susceptible, à terme, de préparer la rencontre suprême. Et la réouverture des frontières serait alors à l'ordre du jour. L. B.