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Quarante-deux ans de relations empoisonnées
Algérie-Maroc
Publié dans Liberté le 02 - 06 - 2005

Entre Alger et Rabat, c'est une histoire de malentendus à répétition doublée d'une affaire de frontières que les souverains marocains n'ont jamais digérée.
Au lendemain de l'indépendance de l'Algérie, les Marocains ont faussé la donne en tentant d'occuper une partie du territoire algérien, dans ce que l'histoire a retenu comme “la guerre des sables”. Taisant sa prétendue revendication territoriale durant la colonisation française, Rabat a tenté de prendre par la force ce qui, légalement, revenait à l'Algérie conformément aux traçages des frontières par la puissance occupante. La politique expansionniste du royaume alaouite faisait alors ses premiers pas.
Expansionnisme
Dans l'esprit de feu Hassan II, le “Grand Maroc”, qui englobe une bonne partie de l'ouest et du sud-ouest algérien et s'étend vers le Sud jusqu'à pratiquement le fleuve Sénégal, devait voir le jour. Affaiblie par sept ans et demi de guerre contre l'occupation coloniale, l'Algérie présentait une proie facile pour le souverain chérifienne qui pensait saisir l'occasion pour lancer son projet expansionniste. Mal lui en pris, car les Algériens, plus solidaires que jamais, repoussèrent l'offensive de l'armée régulière marocaine. Devant la pression internationale et la résistance des Algériens sur le champ de bataille, Hassan II renonce à son expédition expansionniste et retire ses soldats. C'était là le mauvais départ dans les relations algéro-marocaines. La confiance n'était plus de mise entre les deux parties. Depuis, les choses semblaient rentrer dans l'ordre. Aucun différend notable n'a été enregistré entre Alger et Rabat, dont les rapports étaient des plus corrects. Il a fallu que le général Franco d'Espagne décide de mettre fin à la colonisation du Sahara occidental pour que les vieux démons royaux refassent surface. Hassan II revendique alors ce territoire. Mais avant que les soldats ibériques ne quittent ce pays, ses habitants créent le Front Polisario en 1973 et optent pour l'indépendance.
La rupture totale
Après le départ des Espagnols en 1975, le roi du Maroc occupe, dans un premier temps, le nord du Sahara occidental après sa “marche verte” et cède la partie sud à la Mauritanie de Mokhtar Ould Dadah. Quatre années plus tard, il fait main basse sur tout le territoire, à la suite du retrait des Mauritaniens. Ces dernier, en butte à de sérieux problèmes internes, s'étaient ravisés car n'ayant pas les moyens d'assurer leur présence dans ce territoire. Dans toutes ces péripéties, l'Algérie soutient le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui, pour avoir connu les affres de la colonisation et bataillé dur pour arracher ce droit à la communauté internationale. Prenant la position algérienne pour une attaque contre le Maroc, Hassan II rompt les relations diplomatiques avec Alger le 7 mars 1976. Pourtant, quelques mois auparavant, la Cour internationale de justice de La Haye reconnaissait le droit à l'autodétermination de la population de ce territoire. C'est un véritable climat de tension qui s'est instauré alors entre les deux capitales. C'est la rupture totale. Pendant sept ans, les dirigeants des deux pays n'ont cessé de s'accuser de tous les maux. Il y eut même des accrochages militaires entre les deux armées, dont les plus célèbres furent Amgalla I et Amgalla II.
Chadli-Hassan II, le tête-à-tête historique
Devant les liens linguistiques, religieux, géographiques et historiques entre les deux peuples, la rupture ne pouvait durer éternellement. Des petits pas de part et d'autre ont permis d'aboutir à la rencontre du 26 février 1983 entre le président Chadli Bendjedid et le roi Hassan II. Face au refus de l'un et de l'autre d'aller chez le voisin, les deux hommes tinrent leur sommet à la frontière des deux pays. Six semaines plus tard, soit le 7 avril, la libre circulation est rétablie pour les résidents des deux pays. Le 28 mai 1983, un accord sur la libre circulation progressive des personnes et des biens et l'ouverture des lignes aériennes et ferroviaires est signé. Alors que l'on pensait que la hache de guerre allait être enterrée définitivement, surgit alors le traité d'union maroco-libyen le 13 août 1984 qui jette à nouveau le froid entre les deux capitales. Il a fallu une médiation saoudienne, menée par le roi Fahd, pour que les relations se normalisent graduellement. Pour rappel, un sommet tripartite avait réuni, encore une fois à la frontière algéro-marocaine, le 4 mai 1987, Hassan II, le président Chadli et le roi Fahd. S'ensuit alors toute une série de rencontres entre officiels des deux pays. Le 16 mai 1988, c'est la reprise des relations diplomatiques, qui est suivie le 5 juin de la même année par la réouverture des frontières. Quarante-huit heures plus tard, le souverain alaouite effectue sa première visite officielle en Algérie.
Il participe à l'occasion au sommet de la Ligue arabe du 7 juin 1988. La réconciliation est scellée à l'occasion de la visite officielle de Chadli Bendjedid à Ifrane du 6 au 8 février 1989. Les deux chefs d'Etat signent un accord sur un projet d'un gazoduc devant relier l'Algérie à l'Europe, à travers le Maroc. Les autres rencontres à haut niveau qui suivirent, notamment celle de Tunis, à l'occasion d'un sommet de l'UMA en 1990, et la visite de Hassan II à Oran du 27 au 29 mai 1991, et la promulgation par Rabat de la convention du 15 juin 1972 ayant mis fin aux problèmes frontaliers maroco-algériens qui avaient été à l'origine d'un conflit armé entre les deux pays, connu sous le nom de “guerre des sables”, en octobre 1963, ont fait croire à une véritable normalisation.
1994, le clash !
Le 16 août 1994, les déclarations du président du Haut Conseil d'Etat algérien, Liamine Zeroual, dans lesquelles il affirmait qu'il ne restait en Afrique qu'un “pays illégalement occupé”, dans une allusion au Sahara occidental, sont très mal perçues à Rabat. Quelques jours plus tard, soit le 26 août 1994, une attaque terroriste meurtrière menée par des Franco-Maghrébins contre un hôtel de la ville marocaine de Marrakech fait deux morts et plusieurs blessés parmi les touristes espagnols. Sans attendre les conclusions d'une enquête sérieuse, les autorités marocaines désignent les services de sécurité de l'Algérie du doigt et décident d'instaurer le visa pour les ressortissants algériens désireux de se rendre au Maroc. Ne se limitant pas à appliquer la réciprocité dans ce genre de situation, Alger décide de fermer la frontière terrestre entre les deux pays, qui facilite l'infiltration des armes et des terroristes vers l'Algérie. Ce fut alors la coupure totale. Rabat demandera officiellement le gel de toutes les institutions de l'Union du Maghreb arabe. Depuis, les frontières sont toujours fermées, malgré de nombreuses éclaircies dans les relations bilatérales, marquées particulièrement par la décision marocaine de supprimer le visa pour les ressortissants algériens, et la mesure réciproque de l'Algérie cette année.
Une victime : l'UMA
Passage obligé pour le développement de la région dans ce monde des grands ensembles, l'Union du Maghreb arabe n'existe que sur papier. À chaque fois que l'on amorce une tentative de relance de cette institution, un différend algéro-marocain surgit et annihile les efforts des uns et des autres. Rabat exerce son chantage sans relâche. En effet, dès qu'il est question de tenir un sommet de l'UMA, les Marocains font pression. Ils exigent le silence de l'Algérie dans la question du Sahara occidental en échange de leur présence à ces rendez-vous.
Ce qui s'est passé récemment à Tripoli est l'exemple type des pratiques marocaines. Il a suffi que Abdelaziz Bouteflika réaffirme le soutien de l'Algérie au peuple sahraoui dans sa lutte pour arracher le droit à l'autodétermination pour que Mohamed VI annule sa participation à ce rendez-vous. Les concessions algériennes visant à tenir ce sommet sans traiter du dossier sahraoui, comme cela avait été convenu auparavant, ont été catégoriquement rejetées par les représentants de Mohamed VI. C'est dire la mauvaise foi des diplomates marocains, qui exécutaient les instructions venant directement du palais royal. Ce qui s'est passé dans la capitale libyenne n'est qu'un remake de ce qu'ont réservé les Marocains aux précédentes tentatives d'organiser un sommet de l'Union du Maghreb arabe depuis onze années maintenant.
Régler le dossier du Sahara occidental d'abord
Désormais, il ne fait plus aucun doute que l'amélioration des rapports entre l'Algérie et le Maroc passe inévitablement par une solution finale du conflit sahraoui. Tant que cette affaire restera en suspens, il n'y a pas lieu d'espérer un rapprochement définitif entre Alger et Rabat.
C'est, du moins, l'avis des observateurs de la scène maghrébine. En effet, à chaque fois que cette question est traitée au niveau international, le souverain alaouite déverse son fiel sur l'Algérie. Ce sujet, qui constitue le meilleur moyen de faire taire les revendications sociales du peuple marocain, est brandi très haut par les autorités chérifiennes pour exacerber le sentiment nationaliste et rassembler sur le dos de l'Algérie.
Partant de là, le dossier du Sahara occidental est entretenu savamment dans ce sens, parce que rien n'explique le refus du Maroc de tenir un référendum dans ce territoire, surtout quand on sait que les ressortissants sont plus nombreux que les Sahraouis. Ainsi, Mohamed VI n'a même pas confiance en ses sujets déportés dans ce qu'il appelle les “provinces du Sud”. Il s'est allié avec le temps, poursuivant sa fuite en avant. Jusqu'à quand ? Un jour, il négocie avec le Polisario.
Le lendemain, il revient sur ses engagements, comme tout colonisateur digne de ce nom. En attendant, ce sont les peuples du Maghreb qui paient les pots cassés. Les déclarations royales du genre : “Les positions algériennes affectent directement les intérêts supérieurs du royaume et sont attentatoires au sentiment national du peuple marocain” montrent à quel point l'Algérie dérange les visées expansionnistes marocaines.
K. ABDELKAMEL


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