Le violent accrochage de dimanche semble n'être qu'un feu de paille dans ce quartier populaire qui vit du commerce et pour le commerce. Au 77, rue Larbi-Tébessi, l'ambiance est un peu particulière. Pesante. Les passants marquent le pas devant les impacts de balles visibles sur les façades de trois boutiques. C'est ici, que vingt-quatre heures auparavant, deux terroristes eurent élu refuge pendant six heures pour échapper aux forces de l'ordre. Les rideaux sont baissés, mais les traces des balles ravivent la scène, racontent l'après-midi infernal vécu par les habitants du quartier populeux de Laâqiba. Le propriétaire, la quarantaine bien remplie, est là devant sa boutique. Assis à même le trottoir en compagnie de ses proches, il ne sait visiblement pas quoi faire. Et pour cause, son local a servi incroyablement de planque des terroristes qu'il n'a même pas vu entrer. “J'étais dehors en train de discuter avec mes amis, puisqu'il n'y avait aucun client. Quelques minutes après, mon cousin, qui est allé à l'intérieur pour se laver les mains, ressort terrifié quand un coup de feu l'a pris pour cible depuis l'arrière-boutique. Aussitôt, une grosse panique s'est emparée de la rue et les gens couraient dans tous les sens, sans que l'on comprenne vraiment ce qui s'est passé. Il a fallu l'arrivée des forces de l'ordre pour que je sache que l'individu armé qui s'est terré dans mon magasin est un terroriste.” Le récit de Mohamed — appelons-le ainsi — est à la fois poignant et hallucinant. Assister en direct à la destruction de son local bien achalandé de vêtements, qui plus est, abrite à un terroriste est, en effet, dur à avaler. Se tenant la tête entre les deux mains, notre interlocuteur semble ne pas avoir réalisé ce qui venait de se produire dans son propre magasin alors qu'il était à dix mètres. L'individu armé qui était suivi par les policiers après avoir blessé l'un d'entre eux s'est vu contraint de faire irruption dans ce local pour sauver sa peau. Durant cette course-poursuite, Mohamed n'a évidemment rien vu. “Je ne l'ai pas vu quand il est entré”, affirme -t-il. Ici, les commerçants — spécialisés, pour la plupart, dans l'habillement et la chaussure — passent leur temps à causer dehors quand les clients se font rares. Affolés par les tirs des policiers qui étaient à leurs trousses, les deux assaillants se sont engouffrés dans le local de Mohamed pendant que lui discutait allègrement avec ses amis sans faire attention à ce qui se passait “chez lui” et comme tout le monde, il a pris la poudre d'escampette juste au début de l'accrochage. “Que voulez-vous que je fasse ? Pouvais-je déloger un type armé de mon magasin?». Hier après-midi, soit vingt-quatre heures après l'attentat, Mohamed est pensif. Va-t-on lui rembourser les dégâts occasionnés à sa boutique ? La question le taraude. L'expression de son visage en dit long sur la colère qu'il couve. Manifestement gêné par les “haltes” que marquent les passants et les curieux devant son magasin dont le rideau est maintenant à demi-ouvert, il décide de fermer boutique histoire de ne pas se donner en spectacle. Il consent, cependant, à nous le faire visiter un petit instant. À l'intérieur, tout est sens dessus dessous. Les impacts de balles ornent les murs. Des pantalons jean et autres vêtements hommes se sont amoncelés au milieu du local. Des morceaux de verre et des flaques de sang sont visibles sur le sol. Seuls quelques pantalons accrochés sur le mur d'en face en guise d'exposition maintiennent un peu le décor d'un magasin. D'un signe de la main, il nous indique le lieu qui a servi de planque aux terroristes. Mohamed ne veut apparemment pas trop s'appesantir sur les détails, il préfère quitter ce lieu devenu, l'espace d'un après-midi, maudit. Quelques boutiques adjacentes à celle de Mohamed sont aussi fermées. Leurs propriétaires encore sous le choc préfèrent reprendre leurs esprits. Mais Laâqiba reste Laâqiba, le violent accrochage de dimanche semble n'être qu'un feu d'artifice. Le commerce y reprend de plus belle, comme d'habitude. H. M.