La rue Haï El-Badr (ex-lotissement Michel) a vécu durant deux jours (lundi et mardi derniers) dans un climat de tension extrême qui rappelle une époque qu'on voudrait effacer à tout jamais de nos mémoires. L'expulsion de deux familles du n°73 de la même rue, hier, a dégénéré en affrontements. Une décision de justice que les voisins, venus nombreux manifester leur solidarité, considèrent injuste à l'égard de ces deux familles (Nefraoui) de 24 personnes, installées ici depuis plus de quarante ans. “Nous sommes arrivés dans ce quartier au lendemain de l'indépendance. Tous nos enfants sont nés dans cette maison, et il est inacceptable pour nous de quitter les lieux du jour au lendemain, sans faire de bruit comme si nous étions des intrus”, dira en pleurs une dame. La rue était déjà bouclée lundi dernier en fin de matinée par des cordons d'agents de la brigade antiémeutes. Des officiers de police tentaient par intermittence d'engager de négociations avec les familles. Peine perdue. Les jeunes perchés sur la terrasse, armés de blocs de pierre, de bouteilles et de toutes sortes d'objets métalliques, ne laissaient aucune chance aux pourparlers. Des femmes au bord de l'hystérie criaient à l'injustice. “Nous souhaitons que la presse soit en force pour décrire les dépassements dont nous faisons l'objet”, crie une femme d'un certain âge. Un jeune, sur le toit d'une maison, caméra au poing, filme les scènes de violence. Les policiers essaient de trouver le moment opportun pour donner l'assaut. “Ce n'est pas toujours facile d'intervenir dans de pareilles circonstances. Vous savez, après tout, ce n'est pas de gaieté de cœur que nous sommes là. Nous sommes obligés d'accomplir la mission pour laquelle nous avons été chargés”, avouera cet officier. Vers 16h, un petit briefing entre les différents intervenants aboutira à l'arrêt de l'assaut et au départ des policiers. Mais ce n'est que partie remise. Hier, tôt dans la matinée, un nombre impressionnant d'agents en boucliers étaient sur place. C'est dire que la décision est irrévocable. L'affaire traîne, selon l'huissier de justice, depuis 1997 et les Nefraoui auraient reçu injonction par quatre fois de quitter les lieux. “La dernière en date est du début du mois courant. Un membre de cette famille avait même demandé par écrit un délai de 10 jours pour évacuer les lieux”, expliquera l'huissier de justice. Du côté de cette famille, un autre son de cloche précise que personne n'aurait été avisé de l'ultimatum. La tension monte avec l'intervention des agents qui prennent position sur le mur d'enceinte de la villa. “Nous avons été surpris par ces policiers alors que nos enfants dormaient encore. Ils n'ont même pas respecté l'intimité familiale”, fera savoir une vieille dame, les yeux rougis par les larmes et le manque de sommeil. D'autres femmes sortent et s'accrochent avec les policiers au moment où un bulldozer arrive sur place. Il fonce sur le grand portail sous un déluge de pierres et de bouteilles. La rue se transforme au moment de l'assaut en arène. Les femmes s'en prennent aux policiers. Elles tombent par terre. Les jeunes, qui lançaient tout ce qui pouvait leur tomber sous la main, y compris les bouteilles de butane, sont maîtrisés après une opposition qui n'aura duré qu'un moment. Menottes aux poignets, ils sont conduits au panier à salade. Les pleurs fusent de partout. Une jeune femme, son bébé collé à la poitrine, n'arrive pas à comprendre ce qui vient de se passer. à 10h30, les policiers étaient à l'intérieur de la villa. Ses occupants étaient déjà des étrangers à leur désormais ex-maison. Cette expulsion vient encore une fois poser le problème des familles qui iront grossir le rang des sans-logis alors que l'hiver n'est plus qu'à un mois ou deux, tout au plus. Cependant, ce genre de mesure rappelle aussi qu'une décision de justice est faite pour être appliquée même si, au passage, elle fait beaucoup de dégâts. Il reste que la question qui taraude l'esprit est de savoir pourquoi l'Etat laisse-t-il les choses jusqu'à atteindre le stade de non-retour ? A. F.